Par Thiébaut PARENT - Ingénieur INSA Strasbourg Génie Cli-matique et Energétique– Ingénieur projet chez Drees & Sommer Schweiz AG
L’acoustique est l’un des principaux critères d’insatisfaction des utilisateurs d’open spaces (bureaux ouverts) [1]. Plusieurs études scientifiques ont démontré que des niveaux de bruit trop élevés combinés à une bonne intelligibilité de la parole (Speech Transmission Index « STI » élevé) entraînent une gêne importante dans les open spaces, ce qui réduit significativement l’efficacité de travail [2][3].
Par ailleurs, des signaux sonores comprenant des informations de langage sont perçus comme plus dérangeants que des bruits de même intensité sans contenu informatif (bruits de circulation ou de ventilation par exemple). Ainsi, l’un des objectifs de la planification acoustique des bureaux ouverts serait de réduire l’intelligibilité des conversations [4].
Ce constat établi, une question se pose : est-il envisageable de réduire efficacement l’intelligibilité des conversations, et ainsi d’améliorer l’acoustique dans des bureaux ouverts, en dimensionnant le réseau de ventilation mécanique contrôlé de manière adéquate (clapets de régulation de débits, pièges à sons et bouches) ?
Nous allons répondre à cette question à travers l’étude d’exemples réels tirés de la planification technique de trois bâtiments présentant des systèmes de ventilation différents.
Rappel d'acoustique
Pour un réseau aéraulique donné, il est possible de calculer le niveau de puissance acoustique Lw en fonction de la composition du réseau. La directive allemande VDI 2081 donne une méthode approfondie permettant d’effectuer ce calcul. Lw dépend :
- De la composition du monobloc (en particulier du ventilateur)
- Du réseau aéraulique et de ses composants (coudes, clapets de réglage de débits, pièges à sons, bouches de soufflage et de reprise etc.)
- Du type de bouches d’aération.
Dans un bureau ouvert (open space), l’hypothèse du champ sonore diffus est admise (longueur, largeur et hauteur de la pièce du même ordre de grandeur et importante diffusion sonore). Le niveau de pression acoustique Lp (ou « niveau de bruit ») correspond donc à l’addition du niveau de bruit direct et du niveau de bruit « diffus » ou réfléchi et dépend :
- De la puissance acoustique des sources sonores Lw
- Du nombre de sources sonores n (par exemple bouches de soufflage et de reprises)
- De la distance r du point d’émission (=récepteur) aux sources (plus on s’éloigne d’une bouche, plus le niveau de bruit baisse)
- Des caractéristiques acoustiques de la pièce (plus la pièce présente des surfaces absorbantes, moins les réflexions sont importantes – le niveau de bruit global est donc plus faible).
Une fois ces informations connues, le calcul s’exprime ainsi selon VDI 2081 :
L_p (r)=L_w+10log[〖r_0〗^2/(4πr^2 )+(4A_0)/A]
Simulation acoustique du niveau de bruit de fond dans trois open spaces
Pour trois projets distincts, nous avons effectué des simulations acoustiques afin de déterminer le niveau de bruit ambiant pour différents types de ventilations et cas d’utilisations, selon la démarche suivante :
- Calcul du niveau de puissance acoustique en sortie de bouche Lw en décibels dB(A)
- Conversion des niveaux de puissances acoustiques Lw en niveaux de pression acoustique Lp (r = 1m) dans les différentes bandes de fréquences en dB(A)
- Modélisation des bureaux (y compris propriétés d’absorption acoustique des surfaces) en 3D dans un programme de simulation acoustique (EASE V. 4.4.13.15), puis intégration des valeurs de niveaux de pression acoustique Lp des bouches de soufflage et d’extraction (sources sonores) en tant que paramètres d’entrée de la simulation
- Simulation de la répartition du niveau de de pression acoustique Lp dans l’open space pour quatre variantes (deux réseaux aérauliques différents et deux scénarii d’utilisation différents) :
- Variante 1a
Présence de piège à son avant la bouche de soufflage
100% de présence (i.e. 100% de bouches de soufflage actives) - Variante 1b
Présence de piège à son avant la bouche de soufflage
70% de présence (i.e. 70% de bouches de soufflage actives et 30% inactives, c’est-à-dire registres fermés) - Variante 2a
Cas 1 et 2 : Pas de piège à son avant la bouche de soufflage 100% de présence (i.e. 100% de bouches de soufflage actives)
Cas 3 : Piège à son dans la gaine technique avec absorption plus faible dans le domaine de fréquence de la parole 100% de présence (i.e. 100% de bouches de soufflage actives) - Variante 2b
Cas 1 et 2 : Pas de piège à son avant la bouche de soufflage 70% de présence (i.e. 70% de bouches de soufflage actives)
Cas 3 : Piège à son dans la gaine technique avec absorption plus faible dans le domaine de fréquence de la parole 70% de présence (i.e. 70% de bouches de soufflage actives)
Systèmes de ventilation étudiés
Les figures suivantes illustrent de manière schématique la composition des trois réseaux étudiés.
Figure 1: Coupe de principe et position des bouches de soufflage et de reprise (plan) - Cas 1
Figure 2: Coupe de principe - Cas 2
Figure 3: Coupe de principe et position des bouches de soufflage et de reprise (plan) - Cas 3
Le tableau suivant résume les paramètres des trois cas étudiés :
Tableau 1 : Cas étudiés
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Cas 1 |
Cas 2 |
Cas 3 |
Temps de |
Environ 0.6 s |
Environ 0.6 s |
Environ 0.7 s |
Système de ventilation |
Ventilation à 1 bouche de soufflage au niveau du sol par module (=2 places de travail) Reprise centralisée au niveau du noyau central en plafond |
Ventilation à déplacement 1 bouche de soufflage au niveau du sol par module (=2 places de travail) Reprise centralisée au niveau du noyau central en plafond |
Ventilation par mélange 1 bouche de soufflage et 1 reprise par place de travail au niveau du plafond |
Régulation |
Régulation par module uniquement Pas de clapet de réglage de débit en gaine technique 1 clapet de réglage de débit par module combiné à un piège à son 1 bouche de soufflage par module, reprise centralisée au niveau du noyau Détecteur de présence (module non occupé = régulateur de débit fermé (=OFF) |
Régulation à 2 niveaux (par étage et par module) 1 clapet de réglage de débit en gaine technique combiné à un piège à son 1 clapet de réglage de débit par module combiné à un piège à son 1 bouche de soufflage par module, reprise centralisée au niveau du noyau Détecteur de présence (module non occupé = régulateur de débit fermé (=OFF) |
Régulation à 2 niveaux (par étage et par module) 1 clapet de réglage de débit en gaine technique combiné à un piège à son 1 clapet de réglage de débit par module combiné à un piège à son Détecteur de présence (module non occupé = régulateur de débit fermé (=OFF) |
Pour chacun des réseaux étudiés, les niveaux de puissance acoustique Lw (exprimés en dB(A)) ont été calculés selon la directive VDI 2081 au niveau des bouches de soufflage et de reprise. Ces derniers sont résumés dans les tableaux suivants :
Tableau 2: Niveaux de puissances acoustiques
Cas 1 |
Cas 2 |
Cas 3 |
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Niveau de puissance acoustique Lw au niveau des bouches
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Soufflage : Soufflage : |
Soufflage : Soufflage : |
Soufflage: Soufflage: |
Nous remarquons que, selon le réseau, les niveaux de puissance acoustique varient fortement. Des disparités importantes sont aussi observées dans les bandes de fréquence (jusque 15 dB(A) d’écart entre les cas 1 et 2 par exemple, dont l’agencement des bouches de soufflage au sol est comparable– cf. Figure 4). Cette figure montre bien que les caractéristiques du bruit au niveau des bouches de soufflage sont très différentes d’un système à l’autre :
Figure 4: Comparaison des niveaux de puissances acoustiques pour les cas 1 et 2
Paramètres de simulation
Les bouches de soufflage et de reprise sont modélisées en tant que sources sonores. Leur directivité est prise en compte dans la simulation. Les niveaux de pression acoustique des sources sont renseignés dans les bandes de fréquence (octaves).
Résultats
Les niveaux de pressions acoustiques pondérés moyens simulés à hauteur des places de travail (1,20 m) sont résumés dans le tableau suivant :
Tableau 3: Niveaux de pression acoustiques simulés
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Cas 1 |
Cas 2 |
Cas 3 |
---|---|---|---|
Niveau de
pression acoustique Lp (h=1.2 m) ↓ |
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Variante 1a : Lp,1a = 100% bouches
ON |
Lp,1a = 33-35 dB(A)
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Lp,1a = 33-35 dB(A)* | Lp,1a = 34 dB(A) |
Variante 1b : Lp,1b = 70% ON + 30% OFF | Lp,1b = 31-33 dB(A)
|
Lp,1b = 31-33 dB(A)*
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Lp,1b = 32 dB(A) |
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Sans piège à son avant la
bouche : |
Sans piège à son avant la
bouche : |
Sans piège à son avant la
bouche : |
Variante 2a : Lp,2a = 100% bouches ON | Lp,2a = 37 dB(A) | Lp,2a = env. 38 dB(A)* | Lp,2a = 36 dB(A)
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Variante 2b : Lp,2b = 70% ON + 30% OFF | Lp,2b= 36 dB(A) | Lp,2b = env. 37 dB(A)* | Lp,2b= 35 dB(A) |
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Lp,max = 41 dB(A) | Lp,max = env. 43 dB(A)*
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*valeurs interpolées
(=non simulées), cas similaire au cas 1 |
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Cas 1
La figure 5 résume les résultats pour les quatre variantes étudiées.
Figure 5: Niveaux de pression acoustique simulés – Cas 1 (Nord en haut)
On observe une répartition inégale du niveau de bruit dans la pièce. En effet, le niveau de bruit dépend fortement de la position des bouches : des différences de 6-7 dB(A) sont à noter entre la zone Est et la zone Nord. Ceci s’explique par le fait que les bouches de reprise sont situées en partie Nord (plus de sources sonores, cf. figure 1).
Sans piège à son avant les bouches de soufflage, nous notons une augmentation des niveaux de pression acoustique de l’ordre de 3 à 5 dB(A) dans la pièce. Par ailleurs, des niveaux de bruits locaux de 40 à 41 dB(A) sont atteints. De tels niveaux de bruits sont généralement perçus comme dérangeants par les utilisateurs.
La présence ou non d’utilisateurs joue un rôle restreint sur le niveau de bruit. La différence entre les niveaux observés entre les variantes 1a et 1b ou les variantes 2a et 2b varie en effet uniquement de 1 à 2 dB(A). De telles différences ne sont pas (ou à peine) perceptibles par l’utilisateur.
Cas 2
Pour ce cas, aucune simulation n’a été effectuée. La situation est comparable à celle du cas 1 (pièce étudiée de même hauteur sous plafond et donc volumes similaires + matériaux utilisés au plafond, au mur et au sol ayant des propriétés là aussi comparables). Ainsi, les résultats ont été interpolés à partir de ceux du cas 1.
Une répartition inégale du niveau de bruit dans la pièce est à attendre. Les mêmes conclusions que dans le cas 1 peuvent être tirées. Les niveaux de bruits attendus pour la variante 2 (sans piège à son) devraient toutefois être légèrement plus élevés que dans le cas 1, en raison de niveaux de puissances acoustiques plus élevés calculés en sortie de bouches. Le niveau de bruit atteint localement sans piège à son (env. 43 dB(A)) est, comme pour le cas 1, généralement perçu comme dérangeant par les utilisateurs. La mise en place de pièges à sons est donc recommandée.
Cas 3
Figure 6: Niveaux de pression acoustique simulés – Cas 3 (Nord en haut)
Dans ce cas, les bouches de soufflage et de reprise sont placées à intervalles réguliers au niveau du plafond technique ouvert (cf. figure 3). Nous notons que les niveaux de bruits sont globalement plus homogènes dans la zone étudiée (écarts de 1 à 2 dB(A)). Ceci est, entre autres, dû au fait que la distance entre la source sonore et le récepteur (placé à 1,20 m de hauteur) est plus importante que dans le cas des bouches de soufflages situées à même le sol : la diffusion sonore est donc plus importante.
Le même constat que dans les cas 1 et 2 est établi : le taux de présence d’utilisateurs (et donc le taux d’activation de bouches de ventilation) a peu d’influence sur le niveau de bruit ambiant - de l’ordre de 1 à 2 dB(A).
Le choix d’un autre piège à son dans la gaine technique permet d’augmenter le niveau de bruit ambiant de 2 à 3 dB(A), selon le degré de présence. Cette mesure a une influence positive sur l’acoustique dans cet open space, puisque les niveaux de bruits atteints - de l’ordre de 35 à 36 dB(A) - correspondent à un niveau de bruit suffisamment élevé pour masquer efficacement une grande partie des bruits de parole (et ainsi réduire significativement l’intelligibilité dans l’open space). Toutefois, il est important de préciser que le niveau de bruit émis au niveau des bouches de soufflage ou de reprise ne peut pas être contrôlé (aucune régulation possible).
Conclusion
Le niveau de bruit ambiant a une influence majeure sur l’intelligibilité de la voix. Trop faible, il entraîne un inconfort notable en raison d’une forte intelligibilité de la parole (bonne compréhension des conversations alentours, ce qui perturbe fortement la concentration). Trop élevé, il s’avère source de nuisance, de déconcentration et d’inconfort. Il s’agit donc d’un paramètre primordial à prendre en compte lors de la planification d’un open space.
À travers cette étude, nous avons pu montrer que :
- Le niveau de bruit émis par un système de ventilation mécanique contrôlée ne peut pas être régulé activement (voir disparités de niveaux de bruits sur les figures 5 et 6). C’est pourquoi il est inefficace de chercher à optimiser une installation de ventilation dans le but d’atteindre des niveaux de bruits « adéquats » pour garantir une acoustique de qualité dans l’open space.
- Le niveau de bruit dû à la ventilation peut fortement varier dans l’open space selon le système de ventilation, la composition du réseau aéraulique et l’emplacement des bouches de soufflage et de reprise (figure 5 par exemple).
- Le recours à des pièges à sons est, en règle générale, nécessaire, non seulement pour limiter les niveaux d’émission sonore au niveau des bouches, mais aussi afin de garantir les exigences en termes de protection de bruits pour les murs intérieurs en cas de traversement d’un mur par une gaine (« effet téléphonie »).
Ces trois points entraînent la conclusion qu’il s’avère nécessaire de recourir à d’autres moyens pour atteindre un niveau de bruit ambiant suffisant pour « masquer » efficacement les bruits de conversation (systèmes de masquage sonore actifs par exemple). En complément, nous pensons qu’il est important de combiner les trois paramètres suivants en vue d’améliorer l’acoustique dans les bureaux ouverts :
- 1. Concevoir et traiter efficacement l’acoustique des locaux (séparation physique des zones bruyantes et des zones de travail, réduction de la taille des groupes de travail – max. 10-12 personnes - par le biais de séparations physiques ou d’éléments acoustiques, réduction du temps de réponse selon Sabine – t ≤ 0,7 s, réduction des réflexions latérales et ainsi des effets d’écho en raison de surfaces trop réfléchissantes etc.)
- 2. Atteindre un niveau de bruit ambiant suffisant pour assurer une réduction de l’intelligibilité de la parole (de l’ordre de 35-38 dB(A) - généralement, le système de ventilation seul ne permet pas d’atteindre ces niveaux de bruits dans les bâtiments neufs).
- 3. Appliquer une charte de bonne conduite acoustique en open space (conversations longues dans locaux fermés, utilisation généralisée de casques avec microphones pour les conversations téléphoniques, ce qui permet un abaissement du niveau de bruit de parole de l’ordre de 6 dB(A), etc...).
Le respect de ces trois points permet de réduire les nuisances acoustiques rencontrées en open space. Selon la directive allemande VDI 2569 traitant de la protection contre le bruit et l’acoustique dans les bureaux, les aspects psycho-acoustiques (c’est-à-dire non liés au bâti, tels que l’utilisation des locaux, le degré d’activité, la luminosité, la température etc.) influent de manière prépondérante (jusqu’à 70% !) le ressenti de la qualité acoustique d’une ambiance.
C’est pourquoi l’inclusion des futurs utilisateurs dans le processus de planification de leurs locaux est recommandée. Planifier et concevoir l’acoustique de locaux de travail pour correspondre aux besoins des utilisateurs augmente l’acceptation de leur environnement de travail. Plus que la productivité, c’est le bien-être au travail des utilisateurs qui est ainsi mis au cœur du projet !
Par Thiébaut PARENT - Ingénieur INSA Strasbourg Génie Cli-matique et Energétique– Ingénieur projet chez Drees & Sommer Schweiz AG
[1] Brookes, M. J. and Kaplan, A. (1972) “The office environment: Space planning and affective be-havior”, Hum. Factors 14(5), 373-391
[2] Banbury, S. P., and Berry, D.C. (2005). “Office noise and employee concentration: Identifying causes of disruption and potential improvements”, Ergonomics 48(1), 25-37
[3] Schlittmeier, S. J. et al. (2008), “The impact of background speech varying in intelligibility: Effects on cognitive performance and perceived disturbance”, Ergonomics 51(5), 719-736
[4] Happakangas, A., Hongisto, V. et al. (2017), “Distraction distance and perceived disturbance by noise – An analysis of 21 open-plan offices”, The Journal of The Acoustical Society of America 141