Par Alain MAUGARD, président de QUALIBAT le 04 Juillet 2019
Les matériaux de construction sont principalement inorganiques (minéraux, métal, béton, pierre), cependant nous voyons apparaître de plus en plus des matériaux biosourcés (qui sont issus du monde du vivant). Ces matériaux ont consommé du carbone pour arriver à maturité (c’est la notion de puits de carbone). Les matériaux traditionnels, eux, ont nécessité de l’énergie (donc dégage du carbone) pour être fabriqués. On voit bien que le bilan carbone va être différent, que cela donne un avantage compétitif aux matériaux biosourcés. Ceux-ci vont se développer, se diversifier et, sans doute, contribuer à une biodiversité que l’on peut qualifier de « ex situ » car elle a lieu en dehors du bâtiment lui-même.
Gare Masséna (Paris 13e) - Source ®DGT (Dorell.Ghotmeh.Tane / Architects) - www.reinventer.paris
D’autre part, sur le plan du parti architectural, nous commençons à voir beaucoup de projets avec des façades végétales, des toitures végétalisées, …, c’est dire que la nature s’invite par la voie des hommes et s’intègre progressivement dans le bâtiment, c’est en quelque sorte, la biodiversité « in situ ». Il n’y a qu’à voir le résultat de l’appel à projets « réinventer Paris », bon nombre de réponses, si ce n’est la quasi-totalité, intègrent la nature dans le bâtiment et autour du bâtiment.
Ainsi, par le double jeu « in situ » « ex situ », on ne peut plus opposer comme avant le minéral et l’organique et dire que le bâtiment n’est que du minéral.
Cette arrivée d’une nature au cœur de la densité de la ville, c’est bien une nature, même si elle pousse sur des milieux artificiels. Prenons l’image suivante : après l’éruption destructrice d’un volcan, on voit apparaître petit à petit par-dessus la matière minérale qu’est la lave, une vie et une terre des plus fertiles. Pourquoi avec le bâtiment et la ville que l’on classe dans la catégorie minérale, ce phénomène ne pourrait-il pas avoir son équivalent ?
Le bâtiment pourrait être ainsi créateur de biodiversité ! Il n’y a pas d’obstacle majeur (nous avions pris la même phrase avec le BEPOS !). Il n’y a que des obstacles mineurs. Certes l’homme civilisé est attiré par la nature agréable et non pas par la nature hostile.
Rappelons que l’homme a développé aux origines la ville pour se protéger d’une nature hostile, à part qu’il a eu tendance à se couper de toute la nature globalement et sans nuances distinctives.
Ainsi, nous pouvons prendre conscience que la biodiversité - peut-être celle que nous choisissons de développer - peut se greffer sur le minéral et le bâtiment en général.
Parmi les politiques volontaristes qui peuvent de temps en temps faire sourire, citons l’exemple du développement des ruches en ville lié à la variété nouvelle des cultures florales en ville (certainement plus importantes en diversité que dans les zones rurales à monoculture).
La biodiversité grise
Si l’on continue la comparaison avec l’énergie, nous avons à traiter une question similaire au fait de produire de l’énergie. Le problème peut être abordé de la même manière avec la biodiversité. Peut-on produire de la biodiversité pendant la période d’exploitation des bâtiments et « consommer » moins de biodiversité pendant la période de construction - déconstruction ?
Commençons par étudier le cas où l’on construit des bâtiments et nous reviendrons sur l’exploitation plus tard. Ainsi préoccupons nous d’une dimension à laquelle nous n’avions pas pensé et similaire à l’énergie grise, c’est la notion de « biodiversité grise » dans la construction de bâtiments ; c’est-à-dire lors de la construction avec l’utilisation de matériaux non organiques et organiques, utilisation qu’il faut analyser tout au long du cycle de vie des matériaux.
On va chercher à minimiser la dégradation de la biodiversité ? De la même manière que la question de l’énergie grise se pose pour les matériaux employés dans la construction, la question demeure identique : quelle biodiversité grise ai-je détruite pour la construction de mon bâtiment ?
Lorsque l’on utilise des matériaux de construction fabriqués par des méthodes plus ou moins industrialisées, ai-je appauvri la biodiversité pour les obtenir ? Voire même lorsque l’on utilise des matériaux biosourcés, nous pouvons nous poser la question, quitte à égratigner ceux qui les défendent ai-je appauvri la biodiversité où ai-je créé de la biodiversité ?
La question se pose aussi pour les matériaux minéraux a priori handicapés ; en effet, il est même possible avec des méthodes de production industrielle de récréer de la biodiversité ; pensons au reconditionnement de carrières avec des aires plantées de végétation, nouvelles qui deviennent de nouveaux milieux naturels ; gravières et plans d’eau où s’installent nouvelles formes de vie et de nature.
À partir du moment où l’on décide de ne pas dégrader la biodiversité et même de contribuer à sa reconstitution, nous découvrons un champ nouveau de progrès qui peut donner une dimension supplémentaire aux projets responsables et durables.
Se donner ainsi le challenge de la biodiversité du bâtiment et de la ville ; loin d’être une contrainte supplémentaire, représente au contraire, un support à l’imagination de l’homme et à sa créativité.
Alain Maugard