Par Alain MAUGARD, président de QUALIBAT le 04 Juillet 2019
L’esprit d’équipe
Le but est de construire désormais avec une économie de 30% en changeant nos méthodes de travail et nos habitudes. Tous les acteurs doivent donc se mettre autour de la table en amont dans une démarche commune d’un projet économique. Nous l’avons signalé, les appels d’offres séquentiels, conduisant successivement au choix de l’architecte, puis du BET, puis des entreprises et de leurs fournisseurs, du mainteneur, ont un coût qui apparaît de plus en plus incompressible. La notion d’appel d'offre est saine, elle peut demeurer, il faut qu’elle se déplace et s’opère en amont au niveau de la conception ou après une première phase de conception pour le choix des entreprises, de sorte de sélectionner une équipe globale le plus tôt possible. Pour prendre un exemple dans l’automobile où le projet collaboratif fait loi, pourrait-on imaginer un appel d’offre au milieu du processus de fabrication pour choisir les bons moteurs et les bonnes suspensions ?
Le mot accolé conception-réalisation-exploitation n’est donc pas tabou si l’on se place dans un objectif d’optimisation du bâtiment et de son cycle de vie qui intègre l’exploitation.
Garder les équipes qui gagnent
Par ailleurs, le bâtiment étant considéré comme un prototype, faut-il renouveler à chaque fois l’équipe qui travaille sur une forme de prototype ? Alors qu’elle s’est habituée à travailler sur un premier prototype qu’elle a optimisé en travail collaboratif, faut-il continuer sur un deuxième prototype avec cette même équipe ? Nous soulevons là une autre solution pour des gains de productivité, c’est dans la passation des marchés. En ayant déjà opté pour une équipe qui travaille en mode collaboratif, faut-il donc à chaque fois, à chaque appel d’offre, changer cette équipe ?
Prenons une comparaison dans le sport d’équipe ; on peut considérer que chaque match est un prototype. Alors faut-il changer chaque fois l’équipe qui gagne un match ? Certes, il peut y avoir des différences de matchs selon le type d’équipe adverse, ce qui veut dire qu’à chaque match je dois adapter mon équipe en fonction du match à disputer, en fonction du prototype. Mais je ne la remplace pas en totalité.
Les invariants de la construction : une source importante d’économie
Par ailleurs, au sein même d’un même match, nous pouvons considérer qu’il y a des « invariants ». Par exemple la touche au rugby, qui nécessite un entraînement spécifique et intense pour cette phase de jeu. Autre exemple, les tactiques d’attaque, etc, … Toutes ces phases-là sont répétées et préparées d’une manière intense à l’entraînement, et pourtant chaque match est différent. Ainsi, dans le bâtiment, ne faut-il pas travailler avec les mêmes équipes de conception-réalisation parfaitement rodées et entraînées à traiter les invariants ?
Les invariants, cela peut être des enchaînements sur chantiers qui sont toujours les mêmes. Par exemple l’articulation des pièces humides s’effectue très souvent de la même manière. La réalisation de gaines techniques avec les différents fluides d’eau, d’air et d’électricité, également. Ainsi, sans tomber dans la standardisation et en laissant s’exprimer la liberté architecturale, il y a nombres d’invariants que l’on peut donc largement optimiser en conception. Une équipe (du bâtiment) qui est donc parfaitement entraînée à traiter toujours les mêmes invariants va savoir forcément les gérer plus rapidement et obtenir une baisse de coût conséquente. En continuant cette comparaison, et à contrario, peut-on imaginer que dans une équipe de rugby que la touche qui est un invariant puisse être improvisée en plein match ? On connaît le résultat, il sera catastrophique.
Si l’on envisage des marchés groupés pour les HLM par exemple, les invariants seront nombreux et les gains de productivité également, encore faut-il travailler avec les mêmes équipes qui ont l’habitude d’œuvrer ensemble dans un esprit de travail collaboratif. Tous les bâtiments sont certes différents avec un nombre d’invariants variable, mais c’est dans le logement que les invariants sont les plus nombreux. Pièces de vie, pièces humides, besoins de chauffage, d’eau chaude, de connectique, …, les invariants sont en nombre dans le logement. Autres exemples également où l’on trouve nombre d’invariants, les hôtels à vocation fonctionnelle, les bureaux non personnalisés.
La majorité des ouvrages est donc basée sur des invariants et par conséquent autorisent des économies d’échelle et de conception-réalisation conséquentes. Pour les ouvrages plus complexes avec moins d’invariants, le travail collaboratif de conception-réalisation-exploitation en amont peut tout à fait s’appliquer en générant encore d’importantes économies financières. Les noyaux durs techniques peuvent très facilement s’insérer dans une architecture contextuelle et libre. Au final, les invariants quel que soit leur nombre s’ils sont bien maîtrisés, n’influeront pas sur la forme du bâtiment et donneront ainsi toute liberté architecturale dans un cadre économique.
La maquette numérique comme outil
Le moment est venu de changer nos habitudes de travail et de construire différemment avec d’autres méthodes. Il faut vaincre ce frein qu’est notre résistance au changement, en communiquant avec toute la pédagogie possible. C’est un changement de culture important et brutal qu’il faut engager rapidement. Que la maquette numérique soit rendue obligatoire dans les projets publics est une décision qui va dans ce sens. La maquette numérique est un outil, le vrai changement culturel, c’est le travail collaboratif. Les freins que nous avons identifiés ne sont pas des obstacles, ils ne sont pas insurmontables et nous allons les faire sauter. Comme rappelé, pour la commande publique, la maquette numérique est irréversible (obligation dès 2017), De plus en plus de concepteurs, notamment les jeunes architectes sont habitués au numérique et adhèrent à l’outil de la maquette numérique, tous les chantiers importants publics puis privés seront donc conduits à passer sous l’ère de la maquette numérique. Cependant, pour les petites réalisations, il nous faut trouver une maquette numérique simplifiée accessible aux artisans et aux petites équipes.
Rénovation et baisse drastique des coûts
Peut-on espérer des baisses de coût drastiques en rénovation ? La réponse est oui, sachant qu’en rénovation, nous resterons très dépendants de la précision dimensionnelle. Le « scan 3D » est un outil fondamental pour y arriver car il nous amène sur la maquette numérique et nous ramène donc à un même travail collaboratif comme pour le neuf ! Dans la construction neuve, on annonce à l’avance les dimensions puisqu’elles sont décidées dès l’avant-projet détaillé. En rénovation, on part d’un existant. La condition est donc d’accéder à cette précision dimensionnelle et donc à permettre la maquette numérique grâce au scan 3D. Le coût de ce type d’outils chute avec le temps et l’augmentation des ventes de sorte qu’à l’échelle d’un an ou deux, les professionnels du bâtiment auront accès à cet outil à un coût raisonnable.
En phase de conception, les architectes, les métreurs, les ingénieurs gagneront un temps précieux dans leur tâche. Deuxièmement, à partir du moment où nous disposons de la précision dimensionnelle, il y a possibilité de gagner également du temps sur chantier, notamment en pré-fabriquant le plus possible en atelier, et en installant rapidement, répondant ainsi aux contraintes de l’existant et de son occupation et générant, par la même, d’importantes économies et une diminution de la gêne.
Par ailleurs et pour optimiser le coût de la rénovation dans le bâtiment, il faut aussi se poser la question du nombre des corps d’état notamment sur les petits chantiers. Traiter des chantiers à faibles coûts, admettons à 10 ou 20 000 €uros avec plus de 5 corps de métiers, pénalisent le coût de la réalisation. Il est nécessaire de réaliser les petites rénovations avec un nombre réduit de corps d’état. Par exemple, le chauffagiste pourra tirer ses réseaux d’eau en même temps que les réseaux électriques. Le maçon, comme c’est déjà le cas, montera les cloisons et réalisera enduits et carrelages, si nécessaire, etc, … Une réfection de salle de bains devrait par exemple ne faire intervenir que 2 corps d’état. Un exemple, certes différent, qui va dans ce sens, c’est la prestation des cuisinistes qui utilisent le numérique 3D systématiquement et interviennent avec 1 ou 2 corps d’état, le plus souvent en une journée seulement !
Maintenant que nous avons les méthodes identifiées pour faire baisser les coûts, il s’agira de se concentrer sur la mutation maintenant des acteurs. Nous nous intéresserons aux nouvelles qualifications, à la formation, aux règles de l’art et au rythme.
Par ailleurs, le contexte politique et économique aura également toute son importance pour observer et doser intelligemment la relance du bâtiment dans la durée et éviter les erreurs du passé (stop and go des aides) avec plus de travail collaboratif également entre ministères notamment du logement et de l’économie.
Alain Maugard