Par Alain MAUGARD, président de QUALIBAT le 04 Juillet 2019
Dans le parcours du bâtiment responsable 2020, 2030 voire 2050, nous avions noté plusieurs rendez-vous. Le rendez-vous sur la question énergétique qui a donné le BEPOS, le rendez-vous bas carbone qui a amené la loi sur la transition énergétique et environnementale, le rendez-vous que nous aurons sur les questions d’usages, et le rendez-vous sur la santé environnementale que nous aborderons également plus tard lors de prochaines chroniques. Cependant, il y a un rendez-vous qui n’était pas prévu en première réflexion car il pouvait être considéré comme un peu éloigné du secteur de la construction. C’est celui de la biodiversité.
1/ Y a-t-il des liens entre la construction et la biodiversité ?
Néanmoins ce rendez-vous arrive plus vite que prévu. En effet, dans le calendrier de beaucoup d’États, la question de la biodiversité est posée au même niveau et avec la même urgence que la question de l’effet de serre. Et en ce qui concerne la France, une loi sur la biodiversité est actuellement en discussion au Parlement …
À notre niveau de réflexion, la question doit être posée, y a-t-il des liens entre la construction et la biodiversité ? Pendant longtemps la réponse a été éludée. Cependant, la position actuelle dans le cadre de notre réflexion a été de dire « oui », il y a une similitude entre la question de l’énergétique et du bâtiment, et celle de la biodiversité et du bâtiment.
La première similitude est de se demander si le bâtiment est un obstacle ou bien une réponse à la biodiversité. Pour l’énergie et l’effet de serre pendant longtemps le bâtiment avec une part contributive de 40% est apparu comme étant à l’opposé des objectifs environnementaux. Pour la biodiversité effectivement, en première réponse, le bâtiment prend lieu et place de la nature ; en effet, toute progression de la civilisation urbaine a besoin d’espace et prend du territoire naturel pour implanter les constructions dues au développement urbain. Au premier degré, il a semblé que la progression de la construction s’était faite contre (et avait détruit) la nature, et par conséquent la biodiversité.
De la même façon, pour l’énergie et l’effet de serre, nous avions pour le bâtiment l’idée négative d’un consommateur excessif d’énergie et d’un contributeur actif à l’effet de serre. Or, avec le concept du BEPOS, nous avons inversé l’analyse pour présenter le bâtiment comme « une solution » à la question énergétique, puisqu’il devenait producteur d’énergie et de plus décarbonée !
2/ Et si les questions du bâtiment et de la biodiversité étaient liées ?
En fin 2015, un rapport a été établi, à la demande du Plan Bâtiment Durable, par un groupe de travail présidé par Yves Dieulesaint (Gecina), Thibaud Gagneux (Poste Immo / Synergiz) et Ingrid Nappi-Choulet (Essec). Nous allons donc en utiliser les bonnes feuilles tout en rendant hommage aux auteurs.
Première interrogation : pourquoi la question de la biodiversité est-elle importante ? Pour les questions énergétiques et environnementales dues à l’effet de serre, nous connaissons l’implication de l’activité humaine et les conséquences environnementales sur le climat, avec leurs corollaires sur certaines populations d’individus et sur la biodiversité elle-même. La biodiversité mérite-t-elle une analyse au même niveau et avec la même urgence ?
Il y a bien une similitude avec la question du carbone
La biodiversité est le fruit d’une histoire cumulée de la biodiversité ou « l’effet Darwin » est à l’œuvre depuis des centaines de millions d’années et même plusieurs milliards d’années. Par le fait du hasard (la mutation) et de la nécessité (la sélection), nous sommes arrivés à cette extrême variété de la biodiversité du monde vivant. L’Homme a ainsi hérité de cette richesse (il ne l’a pas créée), de la biodiversité ; dont il fait partie. Comme de même il a hérité de toutes les ressources fossiles.
3/ Détruire la nature et la biodiversité, c’est comme détruire des livres !
Aujourd’hui, est-ce que l’homme profite de cette biodiversité ou bien est-il en train de l’appauvrir ? Comme pour les énergies fossiles, actuellement tout nous amène à dire que l’homme appauvrit cet héritage ! Sous l’égide de la rentabilité alimentaire, l’homme sélectionne de plus en plus et appauvrit son stock alimentaire que ce soit pour la nourriture animale comme végétale. En construisant de plus en plus, il diminue le stock des territoires naturels et donc ceux de la biodiversité ; tout en constituant un stock de bâtiments.
Se priver de la biodiversité c’est se priver d’un champ d’innovations naturelles : qui concernent des secteurs comme la médecine, la physique, la chimie, la biologie, la lumière. De nombreux phénomènes non élucidés ont certainement des réponses dans l’étendue de la biodiversité. Faut-il alors diminuer nos capacités et nos chances d’innovations ?
Au fond, détruire du savoir de la nature, c’est comme détruire des livres. Certes, nous sommes à la croisée d’une autre école plus « mécanique » qui prédit que par l’intelligence artificielle appliquée aux robots (et aux hommes ?) on pourra atteindre des formes inédites d’innovations, mais qu’en savons-nous exactement ? Les robots pourront accélérer les mutations artificielles qui n’auraient pas eu lieu naturellement ; avec un darwinisme adapté et accéléré par les robots eux-mêmes ? Oui des pistes de recherches existent et sont prometteuses.
Le cas de l’apprentissage de la marche à pied par un robot est éloquent. L’homme créé des robots et leur fournit un logiciel pour marcher : la marche s’avère maladroite. On décide ensuite de tester une centaine d’autres logiciels créés par hasard. On sélectionne alors le logiciel qui donne une démarche plus harmonieuse. Puis au stade suivant, on confie au robot cette tâche. Créer des algorithmes de marche au hasard et sélectionner le meilleur : Voici le darwinisme accéléré par « l’homme d’abord puis par la machine ; dans les deux cas », à la place de dame nature !
Même si l’homme est capable de créer artificiellement de l’innovation, ce n’est pas une raison pour se priver de l’immense héritage de la biodiversité encore à disposition et dont le potentiel est loin d’avoir été exploré. Ainsi ce qui va dans le sens du progrès semble de maintenir plus que jamais la biodiversité et de la développer.
Cette question de la biodiversité est donc aujourd’hui primordiale. Alors nous allons voir si le Bâtiment (de même qu’il a pu être envisagé à Energie Positive) peut ne pas être destructeur de la biodiversité mais producteur de biodiversité ! Après l’échelle du bâtiment, nous élargirons notre réflexion à l’échelle du quartier et de la ville, pour nous amener à la notion de biodiversité urbaine.
Alain Maugard