Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 18 Janvier 2023
Nul n’ignore les mauvais chiffres sur l’état des lieux de l’activité économique en France, ni les perspectives du secteur du bâtiment en particulier. La rénovation et le non résidentiel se maintiennent.
Refroidissement, coup de froid …
Ces expressions ont été largement usitées par les observateurs de la conjoncture et les médias ces dernières semaines pour décrire l’année à venir.
Début Décembre, les organisations professionnelles du bâtiment ont été les premières à sortir leurs pronostics.
Dans la foulée, l’INSEE a fourni un panorama large et approfondi, mais guère plus réjouissant, le mot « Refroidissement » titrant même les 80 pages de sa note mensuelle de Décembre.
L’accumulation des épreuves sanitaires, géopolitiques et énergétiques rencontrées, fournit en effet un cocktail des plus toxiques pour l’économie.
Stagflation en perspective pour 2021
L’expression très « seventies » de stagflation a été employée par Olivier Saleron, Président de la FFB, lors de la présentation mensuelle de l’activité de la filière bâtiment pour décrire le « coup de froid » qui se profile pour 2023. À savoir, une croissance faible et une inflation relativement importante.
L’Insee confirme cet état des lieux, en rassurant par ailleurs que l’expression refroidissement est selon elle synonyme de rhume passager. Elle souligne que la dépression s’est emparée, dans la foulée de la crise sanitaire, de la totalité des économies sous les coups conjugués de l’inflation des énergies, des matières premières et des produits alimentaires de base. Et déjà, des distinctions se manifestent : aux États-Unis et en Espagne, l’inflation recule depuis quelques mois ; en Allemagne, Italie, Royaume-Uni et France, la courbe est toujours à la hausse.
L’inflation relancée dès la fin de l’année 2020, a connu une accélération dès le déclenchement de la guerre en Ukraine
et devrait connaître son point d’orgue ces mois de Janvier de Février
Les auteurs du cahier de prospective de l’Insee notent : « […] Plus de la moitié des entreprises industrielles françaises interrogées en Novembre 2022 apparaissent ainsi particulièrement exposées à la hausse du prix de l’électricité, parce qu’elles dépendent soit d’un contrat à prix fixe sur une durée contractuelle arrivant à échéance fin 2022 ou courant 2023, soit d’un contrat directement indexé sur le prix de marché ».
Concrètement, l’inquiétude porte sur l’exposition des entreprises au choc des prix de l’énergie. Ainsi, on constate que les hausses de prix unitaire facturé (avant éventuel recours au guichet d’aides) qui sont anticipées pour 2023 par les entreprises industrielles sont très hétérogènes, avec une moyenne de 132% pour l’électricité, après +75% pour 2022, et +144% pour le gaz en 2023 contre +114% en 2022.
Les questionnaires envoyés aux entreprises en Novembre dernier afin d’analyser les réponses à ces contraintes livrent de manière très nette les réponses qui seront apportées : les entreprises manufacturières déclarent majoritairement (65% des réponses, sur plusieurs choix) avoir l’intention de répercuter au moins une partie de la hausse des prix énergétiques sur leurs propres prix de vente. D’autres comportements sont envisagés : investir pour réduire les coûts énergétiques (52%), changer de méthodes de production (50%), réduire les marges (35%). Changer de contrat de fournisseur n’est alors envisagé que par un peu plus de 10% des industriels.
Côté sociétés de services, les réactions sont moins radicales : les réponses et leur classement sont pratiquement les mêmes, sauf que les taux de réponses sont moins élevés par le simple fait que beaucoup semblent encore être dans la sidération et le déni : près de 25% déclarent ne vouloir rien changer ! La même question posée aux entreprises de service ce mois de Janvier recevrait certainement des réponses toutes différentes.
La stratégie du dos rond
Quels seront les effets de ces violents mouvements ? De recul de la production industrielle en contraction de la consommation des ménages, la prévision de croissance s’établirait à +2,5% en 2022, contre +6,1% de 2021, année après Covid. Les études conjoncturelles récentes indiquaient cependant un climat des affaires en baisse. L’indice de la production industrielle a baissé de près de 5% par rapport à 2019 et se maintient au niveau de celui de l’année 2015.
Face à ce constat, les perspectives de croissance en 2023 présentent un profil plat : +0,1% au premier trimestre, +0,3% au deuxième, et un « acquis de croissance annuelle » (sans accident au second trimestre 2023) de +0,4%. Quand on se compare, on se console : l’Insee estime que l’Allemagne ferait -0,2%, l’Espagne, +1,1% et l’Italie, +0,3%.
Cet état des lieux impacte aussi l’emploi. Si la baisse du chômage est continue depuis 2015, la courbe devrait redevenir horizontale dans les mois à venir, le taux de 7,3% étant appelé à perdurer durant toute l’année 2023. L’Insee explique que le nombre d’entrées dans l’emploi passe de 103 000 salariés au 3ᵉ trimestre à 33 000 au 4ᵉ – dont un tiers d’alternants et d’apprentis. Les visées pour le 1ᵉʳ trimestre 2023 sont de 27 000 nouveaux salariés, et, pour le second, de seulement 12 000 ; la création nette d’emplois (salariés et non-salariés) au 1ᵉʳ semestre 2023 serait de 50 000.
En aparté, le statisticien rapproche l’évolution de l’emploi, en particulier l’essor de l’apprentissage depuis mi-2020, de la productivité. Il fait le constat d’un décrochage de 3,6% par rapport à fin 2019, ce, alors qu’elle n’a pas bougé en Allemagne.
L’Insee met notamment en cause l’apprentissage en raison du fait que les alternants sont considérés comme des personnels à temps complet, alors qu’ils poursuivent leurs cours, et qu’à qualification égale, ils sont moins productifs que les salariés expérimentés. L’alternance serait ainsi responsable de la moitié de la baisse de productivité en France.
Inflation : produits manufacturés et alimentation prennent le relai des énergies
Bien que l’inflation de Décembre ait été, tout récemment, mentionnée plus faible qu’anticipée par l’Insee lors de sa communication de mi-Décembre – 5,9% au lieu de 6,2%, de nouveaux chiffres élevés sont attendus pour les premiers mois de 2023.
Les graphiques produits par les statisticiens montrent d’ailleurs que la relance de l’inflation par l’augmentation du prix des énergies depuis le début de l’année 2021 a, depuis 2022, été relayé par l’augmentation de l’alimentation, des produits manufacturés et des services : ils comptent pour 70% de l’inflation ce début d’année.
En Janvier et Février 2023, la hausse projetée est d’environ +7%. Cette aggravation tient aux produits alimentaires (+13% en moyenne), à l’augmentation de 15% du gaz et de l’électricité, et à la fin des aides aux carburants à la pompe. Par la suite, la prise en compte de la réduction du prix des énergies devrait faire retomber l’inflation jusqu’à 5,5% en Juin – ce, sur l’hypothèse d’un prix de baril de pétrole à 86 $ …
Question subsidiaire : quels effets ces événements inflationnistes auront sur les revenus et le pouvoir d’achat ? Si en 2022, le revenu disponible des ménages a augmenté de 5,2%, le pouvoir d’achat a concrètement baissé de -0,6%.
Pour l’année 2023, l’Insee calcule un « acquis » à la mi-année (c’est-à-dire, à impact nul du deuxième trimestre) plus négatif : l’augmentation du revenu disponible serait de +5,8%, et, compte tenu de l’inflation – et malgré l’abandon de le redevance audiovisuelle et la poursuite de la suppression de la taxe d’habitation –, le pouvoir d’achat devrait chuter de -0,9%.
Le logement à la peine
La dernière livraison des statistiques sur la construction de logements et de bâtiments non résidentiels confirme la tendance perceptible depuis le début de l’année 2022. La courbe des autorisations de constructions de logements montre une cassure nette depuis la mi-2022 (+5,6% de Décembre 2021 à Novembre 2022, soit 491 200 projets, mais -23,8% sur les mois de Septembre à Novembre 2022). Les ouvertures de chantiers diminuent (-3,1% sur un an à fin Novembre) et affichent un niveau de 377 600 constructions.
Si l’individuel se maintient sur un an (129 300 logements, soit +4,6%), il affiche une baisse sur les derniers mois (34 400 logements, soit -5,4%).
Le collectif est en panne depuis la rapide remontée de mi-2021. Au cours de l’année écoulée, le volume commencé a atteint 178 700 logements, en recul de 6,7%. À noter que les autorisations de chantiers ont enregistré une chute de -23,5% au cours du dernier trimestre (44 100).
Quelles sont les causes de cette baisse aussi forte que rapide ?
L’affluence des projets de construction en Décembre 2021, avant l’application de la RE2020, se conjugue avec une inflation et des incertitudes (prix des énergies, coût de la construction, ...) qui ne peuvent manquer de semer des doutes chez les accédants déjà confrontés aux difficultés d’aide au financement.
Après une année de crises inédites, la construction neuve se retrouve confrontée à une baisse forte et rapide
Référence - Construction de logements : résultats à fin Novembre 2022 (France entière)
Année 2023 : activité étale
Dans un environnement peu propice au développement de leurs activités – augmentation du coût des matières premières, augmentation du coût des constructions pour répondre à la réglementation RE2020, les organisations professionnelles entrevoient mal une sortie du tunnel en 2023.
La Fédération Française du Bâtiment fait les comptes : après une année 2021 en creux (-5,1%) et une année 2022 qui devrait se terminer en croissance (+3,7%), 2023 devrait être étal, se maintenant à +0,7%. Selon cette fédération, le logement neuf devrait décroître de -2,6% (+5,1% en 2022 selon son service économique), le non résidentiel maintenant la dragée haute à +1,7% (contre +6,6% en 2022) et principalement entraînée par le marché de l’amélioration-entretien (+2% prévus). En clair, la crise du neuf, toujours redoutée par les professionnels du bâtiment, se dresse face à eux.
Les autorisations de chantiers ne devraient pas dépasser les 380 000 logements individuels et collectifs en 2023 (contre 490 000 en 2022 d’après les statistiques du ministère de l’Écologie), et les ouvertures de chantiers devraient se limiter à 360 000 logements (contre près de 380 000 en 2022).
Le marché des locaux tertiaires, industriels ou logistiques poursuit sa relance après-Covid mais connaît un ralentissement sensible
En reprise soutenue depuis le choc de 2020, le non résidentiel sauverait la mise puisque les autorisations seraient du même niveau qu’en 2022, soit 40 millions de m² de plancher, et les chantiers d’environ 27 millions de m², rejoignant presque l’étiage de 2019.
En outre, l’activité d’amélioration-entretien, dopée par les aides et les incitations à l’investissement dans le secteur hors logement, atteindrait son meilleur niveau depuis plus de dix ans : près de 84,5 Mds€. Globalement, le niveau d’activité de 2023 devrait se situer entre ceux de 2018 et 2019, à environ 155,4 Mds€.
L’amélioration-entretien compte pour plus de la moitié des marchés du bâtiment et est le plus dynamique
Pour répliquer à la morosité, la FFB développe un catalogue de demandes d’ajustements, mais il reste, somme toute, assez classique. Y figurent des assouplissements sur le financement de la construction neuve, que ce soit par le crédit (par le relâchement des règles d’octroi de crédit décidées par le Haut Conseil de Stabilité Financière – HCSF pour éviter le surendettement, la révision de la formule de calcul des taux d’usure, l’indexation des prix jusqu’en bout de chaîne) ou l’aide à l’accession (un prêt à taux zéro pouvant atteindre 40% du montant de la construction en zones B2 et C).
Sans que le texte sur la réglementation RE2020 ne soit frontalement remis en question, les surcoûts qu’il induit – estimés à environ 10% et surtout en logement individuel obligé de s’équiper d’une pompe à chaleur, alors que le collectif dispose d’un délai de quelques mois encore – sont évoqués à travers la mise en place d’un crédit d’impôt sur les annuités d’emprunt pour les absorber. De même, le sujet du « zéro artificialisation nette », cheval de bataille du groupement Pôle Habitat, figure toujours au chapitre des demandes d’assouplissement.
Pour autant, secteur traditionnellement créateur d’emplois, le bâtiment suit les tendances dessinées par l’Insee : un maintien à 1,37 millions de salariés et aucune création d’emploi.
Une année blanche … ou noire, c’est selon.
Lecture conseillée - La note de conjoncture de l’Insee de Décembre 2022
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.