Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 29 Novembre 2019
Comment faire en sorte que le BIM développé en conception-construction bénéficie à l’exploitation-maintenance des ouvrages ?
C’est la question à laquelle quatre orateurs ont répondu lors d’une table ronde organisée fin Novembre par MBAcity, entreprise du groupe BTP Consultant, spécialiste de l’intégration du BIM en gestion du patrimoine.
« Le BIM conception-construction n’est pas une fin en soi. C’est un outil, et il n’a pas d’intérêt s’il ne perdure pas au niveau de l’exploitation », souligne Patrick Vrignon, PDG du groupe BTP Consultant, en ouverture du 56e BTP Morning qui s’est déroulé le 22 Novembre 2019 et qui avait pour thème : BIM & Foncières : Quelle stratégie et pour quel rendement ?
Comment le Building Information Modeling peut-il contribuer à mieux exploiter son bâtiment ou son patrimoine ?
Exploiter les données pour optimiser les bâtiments
« La partie visible du BIM qui fait « whaou ! » c’est la 3D ; mais le sujet, c’est la base de données », précise David Ernest, directeur Développement & Innovation chez Vinci Facilities. Il poursuit : « Le véritable usage du BIM, ce n’est pas la conception ou la construction, c’est l’exploitation : c’est là que se retrouvent les coûts et la valeur d’un bâtiment. »
Son propos est en phase avec l’avis exprimé par Constance de Batz, Directrice des opérations chez MBAcity : « Tout ce qui a été mis en place ces dernières années en matière de numérisation de la conception-réalisation va servir dans les années à venir. Il est important de s’investir dans cette deuxième phase du BIM, en exploitation et maintenance, car 75% des coûts d’un bâtiment portent sur l’exploitation. Des études ont montré que l’on pourrait gagner 25% en maintenance en exploitant le BIM. »
Définir les besoins
« Le BIM nous intéresse pour gérer les bâtiments en exploitation », affirme Gabrielle Millan, directrice de la Maîtrise d’ouvrage chez Allianz Real Estate qui gère un patrimoine de 200 immeubles en France. « Nous profitons du départ d’un locataire pour implanter le BIM lors des opérations de rénovation-restructuration d’un immeuble. » Baptisé Signature, ce projet global de déploiement du digital a pour vocation de gérer les communications, le confort, les usages, … En retour, il fait remonter des informations des immeubles. « Nous allons utiliser la maquette numérique pour y héberger de l’information, l’objectif étant de créer une data-room pour chaque bâtiment afin d’y recueillir les informations disponibles et développer du service pour les occupants. En interne, nous disposons en retour des informations élémentaires, comme les baux de chaque niveau d’immeuble, … Le BIM devient à ce titre un outil de transformation digitale des métiers de l’exploitation du patrimoine. »
François Caumont, directeur Patrimoine et Logistique au sein de l’Université de Caen, présente une expérience riche depuis ses premiers pas dans le domaine du BIM dans son service, en 2014. S’il considère cette transition à la gestion numérique du patrimoine comme inéluctable, il a cependant développé une approche précise et prudente. Elle repose sur :
- un programme de définition des besoins établi en 2014,
- la rédaction dès 2015 d’un plan de charge sur 15 ans – avec les tâches, les budgets annuels affectés et le bénéfice prévisible au terme de 2030 –,
- la création en 2016 d’un « groupe pilote » dédié à gestion en BIM du patrimoine et composé pour partie de techniciens et pour l’autre de gestionnaires BIM,
- puis, depuis 2018, à une préfiguration des méthodes BIM sur deux bâtiments – l’un tertiaire, l’autre de recherche.
Les premiers résultats seront audités en 2021, et ce retour d’expérience doit permettre de définir les priorités du développement BIM pour l’exploitation des bâtiments avant d’étendre la démarche à l’ensemble du campus ; celui-ci compte 17 sites sur 118 ha, soit 97 bâtiments totalisant 285 000 m² exploités.
D’ores et déjà, selon François Caumont, passer au BIM Exploitation Maintenance repose sur une conduite du changement : « Nous sortons de notre périmètre de confort ! ». À ce titre, il souligne que la signature, en 2018, de la charte « Objectif BIM 2022 » par la présidence de l’Université a constitué « un portage politique et manifesté la volonté de l’établissement de rentrer dans un management d’exploitation maintenance vertueux. » De manière générale, les orateurs reconnaissent tous que le succès d’une gestion d’exploitation sur la base du BIM repose fondamentalement sur l’engagement du maître d’ouvrage. Gabrielle Millan partage cet avis : « Il est important pour le maître d’ouvrage d’exprimer son besoin avant de mettre en place le BIM. »
Retenir les bons outils
Quels sont les outils à disposition de l’exploitation-maintenance ? « Nous avons deux types de données dans une maquette numérique, explique David Ernest : des données statiques qui appartiennent au propriétaire sur bâtiment, et des données dynamiques qui appartiennent à l’utilisateur du bâtiment. » Vinci Facilities et Allianz Real Estate indiquent avoir rédigé des chartes réglementant l’exploitation de la maquette numérique en exploitation. Ces documents permettent notamment de régler les questions de partage d’information entre propriétaire et occupant d’un site, sujet à préciser par exemple dans la rédaction des annexes aux baux numériques.
Comment utiliser rationnellement le flux d’informations disponibles ? Constance de Batz décrit l’état des lieux : « La gestion technique de bâtiment – GTB – fournit des points de mesure en mode dynamique, la gestion de maintenance – GMAO – proposera le planning de changement d’équipements à un instant ‘t’, et la maquette numérique géolocalisera ces données dans le bâtiment. » Elle poursuit : « Le challenge est de faire communiquer ces systèmes différents », car il est encore nécessaire de paramétrer l’interopérabilité entre eux. « Cette phase est encore délicate et longue, souligne-t-elle. La maîtrise de l’interopérabilité produirait un gain estimé à 2,3 €/m².an. »
Cette difficulté trouve aujourd’hui une solution avec le BOS, le Building Operating System, dont l’intérêt central est de pouvoir connecter ces trois systèmes afin de lire les données de manière dynamique pour fournir un référentiel commun, une information centralisée et mise à jour. »
David Ernest souligne l’importance stratégique de la maîtrise de ce savoir-faire pour optimiser les ouvrages : « Plus on accède aux données d’usage, plus on accède aux données de valeur. Le service de gestion BIM de l’exploitation et de la maintenance va créer cette valeur. »
Gabrielle Millan indique qu’Allianz Real Estate met actuellement en place ces BOS pour récupérer des informations d’usage sur les immeubles. « Il devient ainsi possible d’utiliser le modèle BIM pour visualiser des données par graphiques, pour comprendre l’utilisation des immeubles sur le long terme … L’objectif est d’effectuer des actions de gestion. » David Ernest témoigne pour confirmer : « Il faut pousser la "data visualisation" via la maquette pour livrer des informations telles que le taux d’occupation, la température, la qualité de l’air, les niveaux de loyer … L’historisation de la donnée extraite des capteurs donnera par ailleurs la possibilité aux techniciens de comprendre les raisons d’une défaillance ou d’une surconsommation dans tel espace ou telle zone. »
Chez Vinci Facilities, ces capacités d’analyse des données constituent un gisement plein de promesses : « Le fait que le technicien ait accès en temps réel à la GMAO, à la GTB, aux fiches techniques du bâtiment et qu’il puisse géolocaliser l’installation, c’est un gain de productivité énorme », remarque David Ernest. « On peut aussi utiliser la maquette numérique pour gérer la performance énergétique et environnementale : en connectant la GTB, j’apprends le fonctionnement du bâtiment. Et il sera prochainement possible de faire de la simulation thermique dynamique d’exploitation ! puisque dans la maquette j’ai toutes les données techniques du bâtiment pour optimiser la gestion énergétique. »
Le BIM, pour les ouvrages existants !
François Caumont révèle que les premières actions sur le patrimoine de l’Université de Caen produit déjà des résultats tangibles. Déjà, il entrevoit le potentiel de ces nouveaux moyens de travail, que ce soit en matière de gestion virtuelle des bâtiments pour la gestion des locaux de cours, ou le développement d’un CIM – un City Information Modeling – en analysant les flux des piétons pour améliorer les déplacements des étudiants, définir les accès pompiers … « Cette démarche qualitative et globale de la gestion de notre documentation a permis de fiabiliser nos surfaces et d’acquérir une connaissance à 100% de nos actifs patrimoniaux et fonciers. » Ce nouveau mode de gestion a déjà permis une optimisation des surfaces qui s’est traduite par des locations d’espaces libres aux autres administrations locales, voire la création de foncières pour les gérer. « Une réalité qui n’était pas initialement envisagée par l’Université de Caen, et qui se traduira par de nouveaux revenus », reconnaît François Caumont.
« Le BIM est-il réservé aux projets neufs ? » interroge David Ernest. « L’existant est le grand projet devant nous. Le problème est celui de l’investissement pour l’amorçage du projet pour en tirer la valeur. » Il donne quelques pistes méthodologiques : « Il faut exploiter les données que l’on a déjà : des plans en 2D, la GMAO, la GTB, les plans de sécurité … Les bâtiments fourmillent de données de patrimoine qui d’ailleurs représentent un coût pour les maîtres d’ouvrage qui procèdent déjà à leur maintenance. Ensuite, on réalise une détection de “clashs” dans ces documents, pour les mettre en cohérence. »
Deuxième temps : « On compare les documents à la vraie vie du bâtiment. Ce recollement d’informations sera très important pour la suite du travail, car – de l’avis même des techniciens – si la maquette numérique n’est pas conforme à la réalité, personne ne va l’utiliser ! »
Deux précautions valent mieux qu’une. Constance de Batz indique que même dans le neuf, « les maquettes DOE ne sont parfois pas cohérentes avec les plans DOE, ni même la réalité de l’ouvrage. Nous préconisons de contrôler le bâtiment avec un scan 3D pour vérifier l’exactitude des informations. » D’ores et déjà, de nouveaux métiers se mettent en place pour collecter, fiabiliser et maintenir ces données.
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.