Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 11 Juillet 2023
Mois après mois, les informations fournies sur le secteur du bâtiment semblent confirmer un changement radical de paradigme. Confrontés aux dernières réflexions de France Stratégie, les éléments conjoncturels annoncés il y a quelques jours par la Fédération française du bâtiment apparaissent comme un déni de crise d’un système à bout de souffle.
Si la direction de la FFB (Fédération française du bâtiment) montre encore les muscles – un CA total du secteur en 2022 de 166 Mds€, 76 Mds€ (46%) dans le neuf, 90 Mds€ (54%) en entretien-rénovation ; 97 Mds€ (58,4%) avec le logement dont 44 Mds€ (45%) avec le neuf et 53 Mds€ (55%) avec l’entretien-amélioration – c’est surtout pour souligner l’impact des derniers trimestres sur la situation économique qui se profile.
Déjà, les calculs effectués sur la dernière année écoulée présentent une dégradation impressionnante. Les chiffres sur 12 mois arrêtés fin Mai sont dans de nombreuses régions marqués d’une teinte rouge sang pour indiquer des chutes supérieures à -10%.
Sous différentes pressions (crise du crédit, inflation, coût de la construction, …), le marché de la construction neuve recule violemment
En non-résidentiel neuf, si les surfaces autorisées restent globalement stables (-0,3%, mais avec des -24% en Normandie ou dans le Centre), en revanche, les surfaces commencées plongent de -13,4%. Étudiées sur les cinq derniers mois, les données dessinent une pente encore plus forte : -23%.
La situation est encore plus contrastée pour le logement neuf. Les mises en chantier affichent -11% et les dépôts de permis de construire enregistrent -18% ; dans certaines régions, le bilan vire au noir : -24% à -28% dans les régions Bretagne, Pays-de-Loire et Aquitaine (La FFB a conservé le découpage des anciennes régions) ; jusqu’à -34,8% en ex-Champagne-Ardennes.
Pour compléter le tableau, les ventes de maisons individuelles en diffus s’érodent de -35% et les ventes d’appartements par les promoteurs suivent à -22%.
Face à cela, l’activité de rénovation-entretien est loin de pouvoir rétablir les plateaux de la balance. En glissement annuel sur un trimestre, ces interventions affichent +1% : si on atteint les +2% de croissance en province, la région parisienne est en situation légèrement négative : -0,2%.
Le marché de l’entretien-rénovation (55% de l’activité du bâtiment) reste stable
En conséquence, la FFB anticipe les effets de cette conjoncture : une reprise des défaillances d’entreprise au niveau connu en 2019 (entre 10 000 et 11 000 disparitions en 2023), et surtout un creusement de la baisse d’activités déjà annoncée les mois précédents : un chiffre d’affaires ramené à 163,7 Mds€ cette année, une perspective à 154,5 Mds€ en 2025, et une diminution de plus de 100 000 salariés dans le secteur d’ici 2025 (1,38 millions en 2022, 1,25 millions en 2025).
La décarbonation change les priorités
Face à cet état des lieux, la FFB demande à être soutenue. Pourtant, plus d’un mois après le Conseil national sur le logement (CNL) ainsi que la publication par France Stratégie de son rapport sur « Les incidences économiques de l’action pour le climat », il semble évident que des messages sont en train de s’implanter très fortement dans les esprits. Ils n’ont rien de nouveaux.
Le travail mené pour France Stratégie par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz décrit pratiquement la mise en place d’une économie de reconstruction. Pour ces auteurs, il s’agit plus précisément de « faire en dix ans ce qu’on a peiné à faire en trente ».
Ce rapport éclaire sur les outils économiques à mettre en œuvre pour atteindre la neutralité carbone telle qu’elle est annoncée dans les discours politiques. Étudié dans le détail, il montre qu’il y a loin de l’incantation à l’application : il va falloir en passer par des mesures d’orientation vers des changements profonds.
En bâtiment, cela signifie rénover les constructions et adopter des équipements décarbonés. Ces efforts sont chiffrés : 48 Mds€ de mesures nouvelles d’ici 2030, dont 21 Mds€ pour le résidentiel, 10 Mds€ pour les bâtiments publics et 17 Mds€ pour le tertiaire. Ce qui permettrait à ce secteur de réduire les émissions de CO₂ de 44 Mt d’ici 2030, soit un tiers de l’objectif global à ce terme.
La démarche n’est pas nouvelle en cela qu’elle figurait déjà dans les discours sur la rénovation énergétique au cours des années 2000 – il était toujours souligné que le neuf, comptant pour seulement 1% du parc bâti, il fallait prioritairement agir sur l’existant. Le Grenelle de l’environnement avait ranimé cette vision, et la loi de transition énergétique de 2015 renchérissait sur les volumes annuels de rénovation dans le parc social.
La rénovation mise en avant
Le changement de paradigme est là : le discours économique demande de s’éloigner du neuf. À ce titre, France Stratégie éclaire ce sujet à l’occasion de sa seconde conférence, le 4 Juillet dernier, sur les enjeux de l’emploi dans le cadre de la transition écologique. Dans sa présentation de la rénovation énergétique des bâtiments, Hélène Garner, Directrice du département Travail Emploi Compétences de France Stratégie, reprenait quelques informations diffusées lors de la réunion du Conseil national de la transition énergétique (CNTE) du 22 Mai et dans la feuille de route « bâtiments » du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), un service auprès du Premier ministre, datée du 12 Juin. Ainsi, les objectifs de rénovation énergétique performante des logements seraient fixés entre 270 et 550 000 par an – le CNTE affiche même un histogramme présentant une progression des rénovations jusqu’à 2,5 millions en 2030, dont plus de 1,5 millions d’un niveau dit « Efficacité » ; et la construction neuve baisserait de 2 à 18% par rapport à la moyenne des mises en chantier entre 2010 et 2020.
Pour Hélène Garner, le défi prioritaire est de renforcer l’offre de rénovation performante. Ce qui nécessiterait, selon elle, un recrutement de 170 000 à 250 000 compagnons, et une massification des qualifications « Reconnu garant de l’environnement » (RGE) : seuls 7% des entreprises peuvent actuellement revendiquer cette appellation. Par ailleurs, elle relance le thème lui-aussi très rebattu de l’attractivité des métiers et du développement de la formation initiale.
Deux visions à réconcilier
La confrontation quasi directe entre ces planificateurs et les instances de la FFB confine pratiquement au bras de fer. Pour ces derniers, le neuf reste bel et bien la locomotive du bâtiment, notamment en matière de développement technologique des produits et systèmes.
Pour les constructeurs de maisons individuelles et de logements collectifs formés depuis des décennies à ces chantiers, ce secteur est perçu comme techniquement efficace et financièrement profitable. Les problèmes de normes en matière de crédit – la FFB demande à nouveau la renégociation des restrictions de crédits fixées par le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) – ou de technique de construction constituent des sujets de négociation en vue d’assouplissement afin de franchir les obstacles. Face à cela, la rénovation énergétique est perçue comme un domaine très incertain, qui subit depuis des années les à-coups fiscaux et financiers. Cela étant, France Stratégie a établi que l’ensemble des aides à la rénovation énergétique ont, depuis 2008, augmenté de 160%.
Pour les autres, prendre l’existant à bras-le-corps pour massifier la rénovation énergétique recèle un potentiel plus important de réductions de gaz à effet de serre ; pour eux, le neuf est perçu comme émetteur direct de CO₂ – la RE2020 le met en évidence – et est en lien avec l’artificialisation des sols. Certes, Hélène Garner reconnaît que la rénovation globale est lourde et compliquée. Mais elle constate aussi que la culture très « prégnante » du neuf enregistre quelques infléchissements : la prochaine version du Rome, le répertoire opérationnel des métiers et emplois, devrait intégrer des métiers de la rénovation énergétique.
La démarche des uns ne se fera pas sans les autres. Le bâtiment est bel et bien au cœur d’une bataille idéologique et stratégique.
En référence :
2023-07-03-FranceStratégie-Dares-CAM.pdf - (13 pages) - Cliquez ici
2023-07-03-FranceStratégie-ZoomREB.pdf - (16 pages) - Cliquez ici
2023-incidences-economiques-rapport-pisani-5juin.pdf - (158 pages) - Cliquez ici
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.