Construire avec l’environnement

Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 29 Novembre 2019



À l’occasion des Entretiens du Cadre de Ville du 15 Octobre dernier, les questions de l’environnement et de l’aménagement ont été au cœur de plusieurs tables rondes techniques. S’adapter, exploiter le potentiel du site … Les solutions sont multiples lorsqu’il s’agit d’améliorer les conditions de vie ou de réduire son empreinte environnementale.

On ne construit plus en 2019 avec les mêmes contraintes qu’il y a une dizaine d’années. Une banalité, certes, mais un sujet qu’il est bon d’apprécier de manière concrète et surtout un thème de travail désormais central pour les urbanistes et aménageurs. En témoignent les interventions lors des Entretiens du Cadre de ville, colloque organisé le 15 Octobre dernier par le site d’information spécialisé sur l’aménagement urbain éponyme, « Cadre de Ville ».


Ventiler et climatiser naturellement suppose de prendre en compte de l’impact des ouvrages dans le détail


Une série d’exposés a permis aux intervenants de présenter le traitement de la ville sous les angles de la qualité de l’air. Premier exemple décrit : l’éco-quartier Cœur de Ville de La Possession, sur l’Île de la Réunion. Ce projet repose sur une véritable ambition : ventiler et rafraîchir en s’affranchissant de la climatisation. Intervenant via Skype – communication « bas carbone » oblige – Antoine Perrau, architecte et co-gérant du Laboratoire d’écologie urbaine – LEU Réunion – présente le contexte de ce projet commencé en 2015 et primé de deux trophées « Green Solutions » par Construction 21. « Cette ZAC de 34 ha est située en zone cyclonique et très peu ventilée. La démarche de co-conception porte sur la mise en œuvre d’une ville éolienne bioclimatique tropicale. Elle prend ainsi en compte la ventilation naturelle en ville, le rôle du végétal et la gestion des eaux pluviales. »


Intégrer l’aéraulique à la conception architecturale

Pour naturelle qu’elle soit, cette solution a cependant fait appel aux moyens techniques de conception du laboratoire Eiffel, du site CSTB de Nantes, structure piloté par le spécialiste de l’étude aéraulique urbaine, Jacques Gandemer. Les études de formes des ouvrages par rapport aux vents dominants ont permis de mesurer les interactions entre les bâtiments, l’impact des choix en matière de réduction des effets d’îlots de chaleur, de la végétalisation et de la valorisation des fossés et berges afin que les eaux restent sur le terrain et s’y infiltrent par tout un réseau de noues … Un travail innovant qui a montré aussi les lacunes des pratiques courantes en construction, notamment, le défaut de fiabilité des données locales sur le vent. Cette expérience a aussi mis en avant l’importance d’intégrer un « conseil aéraulique » dans l’équipe d’architectes, ce dès la phase d’esquisse. D’ailleurs, ce projet a eu pour intérêt « d’intégrer les concepts aérauliques dans les appels d’offres publics locaux ainsi que des objectifs de consommation énergétiques dans le plan local d’urbanisme », retient Antoine Perrau. L’innovation a été poussée jusqu’à la définition d’un droit à la ventilation naturelle opposable.


Éco-quartier Cœur de Ville de La Possession, Île de la Réunion. La première tranche de cette ZAC a été lancée en 2015 ; la seconde va bientôt commencer, tirant profit de l’expérience de conception déjà acquise


Ville et qualité d’air

En France métropolitaine, l’initiative menée l’aménageur EPA Marne, l’urbaniste Sathy et son assistant à maîtrise d’œuvre AIA Environnement sur les 40 ha de la ZAC d’entrée de ville de Bussy-Saint-Georges, ville-champignon au cœur de Marne-la-Vallée (en Seine-et-Marne) répond de manière originale au souci de qualité d’air en milieu urbain.

Le contexte de ce site est exemplaire : l’agglomération longe l’autoroute A4 où transitent 70 poids lourds par minute ; une sortie donne accès, d’une part, au centre-ville (185 PL/h), d’autre part, à une zone logistique (190 PL/h).
Le constat prend en compte le fait que 90% de l’espace est dédié à l’auto, et seulement 10% aux piétons. Par ailleurs, cette ville nouvelle compte une importante population d’enfants, de jeunes de moins de 20 ans et de personnes de 60 à 80 ans. Des publics dits sensibles aux problèmes de qualité d’air. Comment appréhender la qualité d’air dans les quartiers résidentiels en extension continue depuis pratiquement 30 ans ? Comment penser les aménagements en tenant compte de ce critère ? Un des motifs d’étude a été la mise en évidence des parcours sportifs empruntés par les résidents : l’espace public est privilégié !


Le travail d’AIA Environnement à Bussy-Saint-Georges a commencé par une cartographie des nuisances, et s’est poursuivi par des préconisations selon les critères de niveaux de pollution et d’activité


Simon Davies, vice-président de la Fondation AIA, présente la méthodologie développée par le BET AIA Environnement. « L’objectif est d’établir un référentiel territorial en tenant compte de l’aménagement et de la santé afin d’engager des opérations sanitaires pilotes à différentes échelles. L’approche repose sur un diagnostic territorial socio-sanitaire, la hiérarchisation des enjeux, des études de scénarios d’aménagement, et enfin, des préconisations finales détaillées. »
Les ingénieurs d’AIA Environnement se sont attachés à cartographier les îlots récents – bâti et végétation – pour discerner les microclimats urbains et comprendre la propagation des pollutions. La valeur de référence de concentration d’oxyde d’azote retenue est celle de l’OMS : 40 µg/m³. Ces informations ont ensuite été croisées avec les usages afin d’établir des démarches de réduction des populations vulnérables. En outre, les maîtres d’œuvre ont fourni des scénarios pour réduire les sources de polluants, notamment tout nouveau trafic routier.


Mesurer pour préconiser

Les résultats sont déclinés par usages : préconisation d’architecture-écran dans les lieux les plus exposés, positionnement des accès – escaliers, entrées – selon l’impact de la pollution de l’air en façade du bâti. Le travail a aussi permis de conseiller l’éloignement des zones d’activités sportives des sources de polluants, de rédiger un catalogue d’essences végétales adaptées … Le conseil des ingénieurs est complété de campagnes de mesures et d’un monitoring, de préconisations d’aménagements intérieurs pour les ouvrages prioritaires (écoles, locaux d’associations culturelles et sportives), de campagnes d’information des résidents et exploitants de bâtiments tertiaires sur les comportements au regard de la qualité de l’air (choix des matériaux de construction et d’aménagement, renouvellement d’air …) ainsi que de campagnes de mesure de la qualité d’air intérieur.
Simon Davies souligne l’importance de « l’accompagnement et de la sensibilisation des acteurs pour qu’ils s’approprient ce travail. » La principale difficulté rencontrée est l’impact en termes économiques et de délai des études complémentaires – 20 à 30 jours – dans une telle démarche innovante qui progresse de manière forcément itérative.
Pourtant, sa conclusion est sans appel : la prévention en matière de qualité d’air a en réalité un faible impact économique sur les projets d’aménagement, et leur prise en compte s’avère, en termes de bénéfice sanitaire, aussi importante que la qualité des soins médicaux ou hospitaliers.


La ville, ressource de matériaux et d’énergie

On construira de moins en moins sur du foncier vierge ; depuis le lancement des éco-quartiers, les aménageurs ont acquis l’expérience du réemploi de sites tertiaires ou industriels. À tel point que l’existant n’est plus un handicap, mais se révèle une ressource.
L’exemple est donné à Gardanne (Bouches-du-Rhône), ou le puits de mines de charbon, exploité du milieu des années 80 à 2003 pour alimenter une centrale thermique, laisse désormais place au pôle tertiaire, universitaire et industriel Yvon-Morandat.

Autour du puits de 1 100 m de profondeur désormais totalement ennoyé, la ville de Gardanne et la société d’économie mixte SEMAG 13 ont imaginé exploiter la ressource géothermique du site : les 30 à 35 millions de m³ d’eau à 28 °C dans ce sous-sol sont à même d’alimenter un réseau de chaleur tempéré.
Le chevalement en béton armé au centre du carreau constitue désormais le cœur d’une installation géothermique. Une série de colonnes plonge à 330 m pour capter de l’eau à 20-30°C ; une seconde série de colonnes de réjection va à 1 km de profondeur.


Le puits de mine ennoyé constitue la source d’énergie principale et décarbonnée du future site de quelque 80 000 m² de plancher


Charbon hier, zéro CO2 demain

Après passage en échangeur, l’eau est stockée dans deux ballons de 50 m³. À terme, ces colonnes de stockage seront aussi alimentées en énergie par une installation thermodynamique alimentée en électricité par capteurs solaires.
Cette énergie fatale sera distribuée aux futurs 80 000 m² de surface de plancher construits sur les 14 ha ; elle sera exploitée pour tous les usages : chauffage, eau chaude sanitaire, rafraîchissement direct et source froide de climatisation. Tous les bâtiments construits – de conception bioclimatique, répondant systématiquement au label BDM (Bâtiments Durables Méditerranéens) et eux-mêmes producteurs d’énergie – devront afficher une consommation d’énergie 20% inférieure à ce que demande localement la RT 2012.

La géothermie sera épaulée par une solution thermodynamique alimentée par énergie renouvelable. Tous les bâtiments seront basse consommation d’énergie


Semag 13 s’est associée avec Dalkia (groupe EDF) au sein d’Energie Solidaire, exploitant de ce démonstrateur « zéro CO2 » qui rendra ce nouveau quartier pratiquement autonome en énergie ; la SAS Énergie solidaire est détenue à 76% par la Semag et à 24% par Dalkia. Ce projet a consommé un budget de 9 M€ (1 M€ de fonds propres, 6 M€ d’investissements privés, 2 M€ d’investissements publics). Les investisseurs sont aussi techniquement accompagnés par Flex Grid. Le rôle de cette entreprise sera de piloter tous les apports d’énergie du site et la distribution simultanée de chaleur et de froid. Elle installera aussi 1 100 m de fibre optique dans le puits de mines pour éviter que la ressource de chaleur ne s’épuise. D’ici 5 ans, ce site doit rassembler 1 000 emplois et commencer à développer une activité de tourisme industriel.

Voir le site :   Gardanne Terre d’énergie


Que faire des déblais du Grand Paris Express ?

Le projet d’aménagement du Grand Paris Express – quelque 200 km de métro et près de 70 stations à réaliser d’ici 2030 – est en train de susciter un mouvement de redécouverte des techniques de construction vernaculaires sur la base d’un principe d’économie circulaire : construire avec de la terre crue.
Le projet est dans les têtes depuis de très nombreuses années, mais le volume de déblais produit par les chantiers de cette future ceinture ferroviaire le ranime très vivement. Il faut dire que les chiffres ont très tôt fait réfléchir les responsables de ce méga-projet de construction : le seul percement des tunnels va produire 45 millions de tonnes de terre, et l’ensemble des chantiers d’ici 2030, dix fois plus !


Les terres des importants chantiers du Grand Paris Express seront-ils à l’origine d’une nouvelle activité industrielle et circulaire ?


Un groupe de professionnels – les architectes du cabinet Joly & Loiret, les ingénieurs de l’IFSTTAR, la mairie de Sevran, le BET CRAterre, la Société du Grand Paris, en tout douze partenaires – a initié une démarche en 2017 auprès de l’Union européenne pour développer une industrie des matériaux de construction à base selon un mode d’économie circulaire. Son nom s’en inspire : Cycle Terre.

On trouvera le détail de cette initiative sur le site :  Cycle Terre 

Le projet, lauréat a décroché un financement de 4,9 M€ dans le cadre de l’appel à projet européen de UIA, Urban Innovative Actions. Cette manne a permis de porter l’investissement total à 6,1 M€. 
Que faire à partir de terres excavées ? Cycle Terre envisage de les transformer en matériaux de construction à exploiter localement. « Notre ambition est qu’elles deviennent le matériau de l’architecture urbaine contemporaine », appuie Silvia Devescovi, chef de ce projet à la ville de Sevran. À l’heure où matériaux bio-sourcés sont regardés avec intérêt, le projet devrait prochainement prendre corps. Les arguments sont tout autant techniques, environnementaux que sociaux : pas de cuisson, matériau sain, sans COV …, la terre crue est utilisée sur toute la planète depuis la nuit des temps, et elle peut localement créer de nouvelles activités économiques.


Cycle Terre doit déposer son permis de construire un premier atelier à Sevran (93) ; les premières productions de briques de terre crue devrait sortir fin 2020


Le permis de construire d’une petite unité de fabrication à Sevran (Seine-Saint-Denis) doit être déposé en Novembre, et les premières productions sont attendues fin 2020. Les parties prenantes sont motivées, mais Silvia Devescovi souligne bien qu’il faudra cependant combler quelques lacunes en matière de formation et de recherche.




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