Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 04 Mai 2021
Au sortir d’une année de crise sanitaire, la filière bâtiment se retrouve face à un contexte économique qui lui demande de poursuivre prudemment son activité. L’année 2020 a secoué les bases économiques du secteur, notamment en termes de solvabilité des ménages, et produit une situation très hétérogène, les régions les moins touchées par le Covid semblant s’en sortir un peu mieux. Un désordre amplifié par les fortes hausses de prix des matières premières.
Même si l’exercice peut être mal vu et mal venu – haro sur les mauvaises nouvelles ! –, l’examen des effets économiques de la pandémie doit être mené. Les prises de paroles des fédérations professionnelles au cours du mois de Mars – date à laquelle on a traditionnellement compilé et analysé les données de l’année calendaire écoulée – ont bien mentionné les effets produits sur les activités des filières.
La note de conjoncture établie par les statisticiens de l’INSEE*, parue le 11 Mars dernier fait le bilan de cette année 2020 : une récession de -8,2% du produit intérieur brut (PIB) ; le premier trimestre affiche un recul de -5,9%, le deuxième trimestre, de -13,5%, le troisième trimestre, une reprise de +18,5% et le quatrième trimestre, -1,4%. Lors de la publication de ce bilan de conjoncture annuel début Mars, les statisticiens tiraient des tendances plutôt positives pour le 1er et le 2e trimestre 2021… Les mesures de restriction de circulation annoncées depuis rendront peut-être ces prévisions obsolètes.
La filière du bâtiment résiste au mieux à la crise sanitaire du Covid
Globalement, ce gros document (112 pages) fournit des enseignements sur les évolutions sociales produites par cette année de crise sanitaire. En premier lieu, il confirme le renforcement des contrastes sociaux, ce sous les principaux angles d’études : consommations et patrimoine. Ce qui indique de profonds changements en matière de solvabilité des ménages.
Bâtiment et Covid. Le confinement a permis d’épargner
On l’a beaucoup dit dès le printemps 2020 : le confinement a produit une augmentation de l’épargne et du patrimoine. Très vite, cette information a été sérieusement affinée : oui chez les plus aisés, non chez les plus pauvres.
L’INSEE le confirme :
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Quand la consommation baisse de 13% pour l’ensemble de la population, elle se réduit de 3% pour les ménages aux revenus les plus bas pour (le premier décile de revenu) et de 22% pour le dernier ; et le deuxième confinement a fait apparaître des comportements clairement distincts : les 10% des ménages aux plus hauts revenus ont baissé leurs consommations de pratiquement 25% quand les autres les maintenaient entre 80 et 100% de la « normale » .
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Quand le patrimoine augmente d’environ 3 500 € pour l’ensemble de la population, il ne progresse que de quelques dizaines d’euros pour le premier quartile de patrimoine (+218 €) et de plus de 10 000 € pour le dernier (+32%). L’expression des auteurs du rapport de l’Insee est pleine de précaution littéraire à ce sujet : « Les faibles patrimoines financiers ont connu une forte augmentation relative de leur patrimoine financier, qui correspond cependant à une faible augmentation en euros. » Tout est dans le « relatif » …
Ainsi, on peut relever que la chute de la consommation – estimée à -6% par rapport à l’avant crise sanitaire – a alimenté l’épargne. Le taux d’épargne des ménages est passé de 14,9% en 2019 à 21,3% en 2020 ; le patrimoine financier des ménages a augmenté de 8% en 2020 contre 6% en 2019.
Cependant, malgré les aides à l’activité partielle, l’évolution du revenu disponible brut est restée pratiquement étale en 2020, et l’Insee prévoit qu’il en soit de même en 2021. Il faut retenir que les revenus dits d’activités (salaires et rémunérations des indépendants) ont baissé de 3,5% en 2020, et se sont un peu redressés début 2021.
Le pouvoir d’achat et la consommation seraient par ailleurs affectés par le retour de l’inflation, notamment alimenté par le reflux des prix des énergies en raison de la baisse de consommation en 2020 (-14,7% – le baril de Brent est tombé à 10 € en Mars/Avril 2020, s’est maintenu entre 30 et 40 € jusqu’aux derniers mois de l’année et est repassé à plus de 50 € début 2021) : l’Insee s’attend à +9% pour les produits pétroliers en Juin 2021, et +10,7% pour le gaz à la même date.
Globalement, l’inflation sur 12 mois en Juin prochain serait de +1,3%, avec à la clé une « inflation sous-jacente », c’est-à-dire une répercussion dans les mois à venir sur les produits manufacturés et les services, de l’ordre de 1%. De fait, le pouvoir d’achat s’infléchit : il avait augmenté de 2,1% en 2019 et n’évolue plus que de 0,6% en 2020. En 2021, la tendance projetée serait de +0,4%.
Ces données amènent légitimement à se poser des questions sur l’impact psychologique de cette crise sur les achats immobiliers des ménages. Y-aura-t-il attentisme ? Le plan de relance aura-t-il un effet rapide ? Quels seront les effets des nouvelles conditions bancaires avec baisse des taux d’emprunts, plafond de la part des revenus consacré au remboursement relevé de 33 à 35%, durée des prêts portée de 25 à 27 ans … ? Début d’année, la production de prêts pour le neuf baissait sensiblement, celle pour la rénovation se maintient.
Le bâtiment pâtit des mesures sanitaires de la Covid
Lors de la conférence de presse du 23 Mars dernier, Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB) tirait, sur la base de la note de conjoncture rédigée par les économistes de l’organisation professionnelle, un constat pessimiste de l’année 2020 : « […] Les mises en chantier et permis abandonnent respectivement 9,3% et 14,7%. Le volume des logements commencés ressort à seulement 351 000, niveau inférieur de près de 10 000 unités à la moyenne observée depuis 1986. De plus, en glissement annuel sur trois mois à fin Janvier 2021, la dégradation perdure, avec des ouvertures de chantier et autorisations qui se replient respectivement de 13,1% et 9,1%, l’individuel résistant toujours bien mieux que le collectif. À l’amont de la filière, les ventes des promoteurs chutent de 24,1% en 2020, sans rebond sur le second semestre. Seules les ventes dans l’individuel diffus résistent, à +4,3% en glissement annuel sur trois mois à fin Janvier 2021.
En conséquence, pour 2021, nous maintenons notre prévision d’un recul de 12,6% des logements commencés, qui tomberaient, sur la base des chiffres officiels révisés, à seulement 307 000 unités, niveau rappelant dangereusement l’entrée en crise du début des années 90. »
Il en va de même pour le bâtiment non-résidentiel qui a plongé de -16,3%. 23,8 Mm² ont été construits en 2020, soit 8 Mm² de moins qu’en 2019, souligne la FFB, et les projections pour 2021 sont pessimistes : -21,4% pour les mises en chantier.
Quant à l’amélioration-entretien (la rénovation), elle a reculé de seulement -8,2%, à la faveur d’une moindre chute de la rénovation énergétique (-5,2%). La FFB voit cependant quelques signes encourageants dans le maintien des chantiers de rénovation fin 2020 : la baisse n’a été que de -2%.
Additionné au Plan de relance, cet état lui laisse entrevoir une année 2021 moins terne que 2020.
Les tendances de début d’année les plus positives se manifestent dans les régions de la façade ouest du pays (+10% en Bretagne, +2% en Nouvelle-Aquitaine). La région Île-de-France serait la plus déprimée avec une perspective à -29%, suivi de la région Paca (-13%) et des Hauts-de-France (-12%).
Côté ventes de logements, l’année 2020 se solde par une réduction d’un quart du volume : -24,1%, avec 99 515 unités, pratiquement le niveau de l’année 2015. Pour autant, les promoteurs ont remonté dès l’été dernier « un ralentissement de la baisse ». Début 2021, ils recommençaient à mettre à l’étude de nouveaux programmes.
En secteur diffus, l’ambiance est tout autre. Les ventes de maisons individuelles se portent mieux. Les constructeurs affichent une croissance annuelle à fin Janvier dernier de +10,9%, avec une augmentation maintenue à +4,3% sur les trois derniers mois. Seules les régions du sud et du centre de la France sont dans le rouge.
Maintenir les capacités
Face à un tel séisme, la filière du bâtiment est-elle en mesure de tenir sur ses piliers ? Les carnets de commandes semblent se maintenir, les opinions des responsables d’entreprise restent positives.
Côté moyens, les défaillances ont fortement chuté au cours de l’année 2020, et de nombreuses entreprises se sont créées au cours du deuxième semestre 2020. Autres encouragements : la filière a gardé ses emplois – seulement 2 900 postes – et même créé quelque 22 300 emplois à partir de Mai/Juin.
Les difficultés proviennent cependant du niveau de marge quelque peu raboté de quelques points par cette épreuve, ainsi que du niveau de trésorerie des entreprises et des annonces d’augmentations de prix des matières premières. Ces derniers se sont violemment réveillés ces dernières semaines au point de faire la une des journaux télévisés. Mais le phénomène était lisible dès le mois de Janvier. Ils concernent les produits aussi basiques que l’acier, le cuivre, l’aluminium, mais aussi les plastiques, le polyuréthane et le bois. Passées les annonces assez alarmistes de la fin Mars, les promoteurs et entreprises ont visiblement adopté un discours plus serein au cours des dernières semaines. Une démarche prudente qui témoigne de la fragilité du marché.
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.