L’hydrogène bas carbone : préparer un avenir énergétique décarboné

Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 25 Mai 2023

Où en est l’hydrogène bas carbone ? Vecteur énergétique phare pour l’industrie, la mobilité et le stockage d’électricité renouvelable, son développement est soumis à l’organisation de la filière. Or, dans ce secteur récent, l’avancement des projets semble aussi enthousiaste que chaotique.


entreprise Lhyfe

L’entreprise Lhyfe a conçu la plateforme Sealhyfe de production d’hydrogène en mer avec l’électricité produite par une éolienne en mer.
Le prototype a été mis au point à Saint-Nazaire


Quelle est la place de l’hydrogène parmi les solutions au problème d’émission de carbone des activités humaines ?

« Elle n’est pas majeure », souligne Pierre-Franck Chevet, président de l’IFP Énergies nouvelles, lors de la Matinée de l’IGEDD (Inspection Générale de l’Environnement et du Développement Durable) organisée ce 22 Mai et qui avait pour thème « L’hydrogène, nouveau vecteur de la transition énergétique ».

Il rappelle la vision mondiale de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) pour parvenir au niveau de décarbonation projetés par les pays utilisateurs de combustibles fossiles : « Les économies d’énergie et l’efficacité énergétique collective comptent pour 30%, les renouvelables pour 25%, le captage, stockage et utilisation du carbone (CCUS) pour 15%, et l’hydrogène pour 7%. »

Pour autant, celle molécule recèle des vertus incontournables pour traiter trois secteurs d’activités : l’industrie, la mobilité dite lourde et le stockage tampon d’énergie renouvelable dans le cadre d’installations « power to gas ».


Changement de paradigme

La décarbonation de la production est d’actualité pour des secteurs qui changent leurs process, qu’il s’agisse de la métallurgie qui a déjà engagé des investissements pour s’équiper de fours électriques en lieu et place des hauts-fourneaux, ou de la chimie qui utilise l’hydrogène pour la production d’ammoniac. Le secteur de la construction est aussi directement concerné par l’association de la récupération du CO₂ en sortie de cimenteries et de la synthèse avec de l’hydrogène bas carbone pour former du méthanol – on dit alors du e-méthanol. Il sert à alimenter le four de cuisson du clinker. Hynamics, filiale d’EDF, est actuellement en train de développer ce principe chez Vicat, à Montalieu-Vercieu (Isère) avec le projet Hynovi. L’équipement, qui sera opérationnel en 2025, récupèrera 40% du CO₂, sera doté d’un hydrolyseur de 330 MW et produira annuellement 200 000 t de méthanol de synthèse.

La mobilité lourde est un sujet qui prend de l’ampleur. Elle concerne les fabricants de tracteurs de poids lourds, d’autocars et de bus urbains ainsi que d’engins de travaux publics ou de carrières. Dans ce cas, l’intérêt de l’hydrogène est de fournir le combustible nécessaire pour produire, avec une pile à combustible, l’énergie pour les moteurs électriques sur les essieux. Vincent Lemaire, responsable de l’entreprise albigeoise Safra, indique qu’il s’agit d’une solution « aussi efficace que le diesel » et plus intéressante que les batteries en termes de poids et de performance.

Autre usage évoqué en matière de mobilité : les véhicules utilitaires légers. Ce domaine soulève des contraintes de sécurité importantes au regard des espaces fermés. En clair, quid des camionnettes dans les garages et parkings. Les administrations de la prévention et des risques, de la sécurité civile et de l’habitat sont invitées à travailler ensemble sur une normalisation. D’ores et déjà, des chiffres sont avancés pour la fin de la décennie : les 12 000 camions et 34 000 utilitaires auront besoin de 940 stations de recharge, pratiquement une tous les 200 km. Ce parc devrait consommer une tonne d’hydrogène par jour.


Développer une filière industrielle « hydrogène » complète

Outre l’enjeu « décarbonation », l’hydrogène figure surtout parmi les enjeux industriels stratégiques des prochaines décennies. À tel point que les annonces, formulées en 2020, d’installation en France d’une puissance d’hydrolyse de 6,5 GW en 2030 (soit 600 000 t d’H2/an) paraissent bonnes à réviser. Projets d’importance communautaire, les initiatives Hy2Tec et Hy2Use ont connu un engouement auprès de nombreux pays européens et ont permis de distribuer plus de 10 milliards d’euros de subventions. Désormais, 17 pays européens ont produit leur stratégie nationale hydrogène et cumulent 30 milliards d’euros d’investissements ; en France, les 46 projets retenus ont reçu un total de 320 M€ de subventions et l’investissement dans ce cadre est de 1,2 Md€.
Toujours en France, on compte quelque 250 projets, soit 20 à 25 par région, et la puissance d’électrolyse cumulerait entre 6,5 et 10 GW, soit une production annuelle de 1 million de tonnes d’hydrogène.

Ce développement ne va pas sans poser des questions élémentaires. Elles concernent notamment la recherche de foncier, le développement des compétences … Mais la difficulté principale est réellement celle de l’organisation de la montée en puissance d’une filière complète, à savoir, de production, de transport et de distribution, enfin d’usage et de consommation. Dans un secteur aussi neuf, les erreurs de calage de vitesse d’avancement peuvent être lourdes de conséquences.

Déjà, des projets de grands sites de production industrielle de composants pour la filière hydrogène – les « giga factories H2 » - se développent autour de la fabrication d’hydrolyseurs, de piles à combustible, de réservoirs … : une dizaine de projets dans huit régions ont déjà rassemblé 2,1 Mds€ d’aides publiques pour des investissements de 5,3 Mds€ ; ils devraient créer 5 200 emplois directs.

Il en va de même pour la distribution d’H2. Entre l’Occitanie et la Nouvelle Aquitaine, le gestionnaire de réseau de transport du sud-ouest Térega conduit le projet HySoW (Hydrogen South West) entre Port-La Nouvelle (Hérault) sur le littoral méditerranéen, et, à partir de Lussagnet (Landes), dans deux directions : vers Bordeaux et vers Bayonne.

Ces 633 km de canalisations de transport d’hydrogène (70% neuf et 30% de réseau de transport de gaz reconverti) s’inscrivent dans l’infrastructure européenne en cours de développement. Ce projet est aussi connecté avec le réseau H2 méditerranéen entre Marseille et Barcelone. Il exploitera un stockage en cavité saline de 500 GWh – dont l’extension doit atteindre 1 TWh en 2030 – ainsi que des points de production à Crusy (Hérault ; 44 GWh/j), à Bordeaux (60 Gwh/j), à Pau et à Lacq. Ce projet demande un investissement de 1,22 Mds€.


Lhyfe prototype

L’hydrogène, nouveau vecteur de la transition énergétique


Au plus près des utilisateurs pour produire et consommer de l’hydrogène

En région parisienne et au débouché de la Seine, en Normandie, Air Liquide France Industrie travaille à la fois sur le captage et la séquestration de carbone en mer et sur la production d’hydrogène bas carbone. L’entreprise prévoit aussi d’investir 8 Mds€ d’ici 2035 pour installer 3 GW de capacités de production : la moitié sera déployée en France, à Dunkerque qui développe actuellement un « Hub Hydrogène » avec GRT Gaz, mais aussi à Fos-sur-Mer.

Pour sa part, l’entreprise Hynamics (EDF) a annoncé en 2022 un plan hydrogène de quelque 3 Mds€ et une puissance installée de 3 GW d’électricité. Le site de recherches et développement des Renardières (Seine-et-Marne) est mis à contribution et les projets se développent à Auxerre, Belfort, Dunkerque, sur le site Borealis en Alsace, chez Vicat en Isère (comme cité plus haut) et chez le verrier Pyrex à Châteauroux. Pour Arthur Parenty, responsable des affaires publiques d’Hynamics, le principe retenu est d’être au plus près des utilisateurs pour produire et consommer de l’hydrogène en flux continu, sans stockage, ni installations lourdes de transport, de manière à optimiser les investissements. Tout le savoir-faire de cette démarche repose sur la recherche de l’équilibre entre la production et les usages.

Engie présente aussi de grandes ambitions à travers la planète. Comme pour le gaz, l’entreprise investit sur toute la chaîne de valeur, de la production aux usages, en passant par le stockage. D’ici 2030, annonce Valérie Ruiz-Domingo, vice-présidente de Engie Group Hydrogen, l’entreprise disposera au niveau mondial de 4 GW de puissance de production d’hydrogène bas carbone. Elle exploitera aussi 700 km de canalisations de transport, s’intéressera à tous les secteurs industriels à travers le monde – sidérurgie, raffinerie, engrais … - demandeurs d’hydrogène renouvelables et bas carbone et de « e-molécules » de synthèse : e-méthane, e-kérozène, e-amonniac, e-diesel, e-naphta …


Filière Hydrogène en France : stabiliser un secteur en pleine euphorie

Si les acteurs suivent cette trajectoire ambitieuse avec des projets lourds, il n’en reste pas moins qu’ils perçoivent la pression et les risques importants auxquels faire face. À la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC), Julien Agier liste les difficultés qui se dressent. La directive européenne RED III (sur les énergies renouvelables) fixe, fin Mars dernier, un objectif d’énergies renouvelables de 42,5% en 2030, visant même 45%. La question est de savoir comment l’industrie, qui a à peine commencé sa mutation, va s’organiser pour passer à prêt de 50% de renouvelables en moins de dix ans.

La dernière révision du Paquet Gaz prend en compte l’hydrogène, et les négociateurs français feraient leur possible pour éviter de plaquer sur cette filière naissante un fonctionnement identique à celui des autres filières énergétiques, gaz et électricité, avec séparation des activités de production, transport et distribution. Il faut, rapporte Julien Agier, laisser la filière s’installer.

réseau hydrogène européenL'initiative européenne de préfiguration de la dorsale hydrogène en 2040 présente un réseau structuré sur 28 pays


Par ailleurs, la communication de la Commission européenne récente du plan REPowerEU fixe une vision – non validé par le Conseil européen et Parlement – de 20 millions de tonnes d’hydrogène en 2030. Ce qui équivaut à une production de 7 000 TWh. Soit 13 fois la production d’électricité annuelle de la France (550 TWh). Le plan prévoit que la moitié de ce volume pourra être importée. Cette révision à la hausse ayant été causée par le contexte russo-ukrainien, elle fait dire que l’on est peut-être en train de perdre la souveraineté énergétique envisagée en 2020 avec le texte initial, et de remplacer une dépendance – au gaz – par une autre – à l’hydrogène. Autre critique en forme de démonstration par l’absurde : ces 20 Mt d’hydrogène supposent idéalement l’installation de 130 GW d’hydrolyseurs, soit un investissement de 130 Mds€ et une facture d’exploitation – essentiellement de l’électricité – de trois fois ce montant.

Enfin, la France aurait toujours du mal à faire passer l’hydrogène produite avec de l’électricité d’origine nucléaire pour une molécule bas carbone.

Plus préoccupant, les projections reposent largement sur des annonces. Un rapport de McKinsey de Mai indique, toutes régions du monde confondues, la transformation en projet est relativement faible : pour 6 GW d’électrolyse planifiés en 2021, 700 MW étaient installés en Janvier 2023. Autre embûche préoccupante pour les industries qui souhaiteraient introduire leurs émissions de CO₂ dans une économie circulaire : la directive sur les énergies renouvelables RED II prévoit, dès 2041, de ne plus classer « bas carbone » les combustibles de synthèse produits à partir de CO₂ non biogénique. Seuls ceux à base de CO₂ biosourcés, issus de biomasse, seront nommés ainsi. Ce qui handicapera les industries, comme celle du ciment, soumises à la production de CO₂ fatal.

De quoi décourager les bonnes intentions.


Sources

Le webinaire de l’IGEDD

Le rapport McKinsey sur les prévisions mondiales de construction d’hydrolyseurs


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