Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 12 Septembre 2024
La molécule d’hydrogène fait bel et bien partie de la panoplie de la transition énergétique, et à ce titre, elle figure dans le tourbillon des débats.
Est-ce une énergie adaptée au transport, au chauffage, à l’industrie telle que la sidérurgie ? Comment la produire massivement et proprement ? Avec des énergies renouvelables, du nucléaire ?
Mi-Juin dernier, l’Académie des Technologies, établissement publique qui fait autorité, a sorti une note de huit pages pour hâter l’exploitation de cette ressource en France.
Depuis des décennies, les militants de l’énergie hydrogène subissent toutes sortes de chocs psychologiques contradictoires : tantôt perçus comme les porteurs d’innovations futures, tantôt comme des scientifiques hors-sols perdus dans leurs illusions et qui nous feraient prendre des vessies pour des lanternes …
Exemple le plus récent, le reportage « Hydrogène, la belle promesse » diffusé sur France 3 ce début Septembre.
Plus intéressant en revanche est le livre « Hydrogène Mania » paru fin Août, écrit par la journaliste scientifique et enquêtrice Aline Nippert. On y trouve un panorama complet des tenants et aboutissants du sujet, et quelques pages sur l’hydrogène naturel.
Un enjeu industriel
À travers la planète et particulièrement en Europe, on assiste au développement de technologies pour produire l’H2 de manière propre, décarboné, et la transporter sur de grandes distances dans les réseaux de gaz réaménagés ou via des pipelines dédiés. Les réseaux en cours de mise en œuvre, comme le projet d’« european backbone » – dorsale européenne – commencent à cheminer de l’Espagne à la Scandinavie pour servir, en premier lieu, les gros consommateurs.
Pour abondante qu’elle soit dans l’univers (75% en masse), il est maintenant clairement souligné, contrairement à ce qui était avancé il y a quelques années, que cette molécule existe à l’état naturel. Fin 2023, le sujet avait fait les gros titres à propos de la mise en évidence d’un gisement en Moselle. Un débat s’est aussi tenu sur ce thème en Octobre 2023 lors du congrès Hydrogen Business for Climate, à Belfort. Mais est-ce pour autant une révolution pour ce secteur.
En Juin dernier, L’Académie des technologies a organisé une visioconférence sur l’exploitation de l’hydrogène naturel en France. La communication menée par le Docteur Isabelle Moretti, membre du pôle « Énergie » de cette Académie, chercheuse à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA) et à l’Institut des sciences de la terre (ISTeP), faisait suite à la diffusion, le 12 Juin dernier, d’un avis titré : « Accélérer la caractérisation de la ressource et l’exploitation de l’hydrogène naturel en France ».
De nombreux chercheurs et techniciens se sont lancé dans la création de start-ups pour mettre en pratique leur savoir-faire, Isabelle Moretti est l’une des principales figures nationales à développer un discours public pour faire évoluer la connaissance sur cette filière.
Elle donne notamment des interviews dans des revues profanes, comme dans Sciences & Avenir en 2021 - Cliquez ici
Docteur Isabelle Moretti, chercheuse à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA) et à l’Institut des sciences de la terre (ISTeP) :
« La France était pionnière sur le sujet de l’hydrogène naturel et est en train de se faire doubler »
Accélérer la création d’un secteur d’activité
L’une des manifestations violente de ce phénomène fut une explosion mystérieuse, au Mali, à la fin des années 80. Des foreurs à la recherche d’eau étaient tombés sur une poche souterraine d’hydrogène, et les alentours avaient subi une explosion dramatique. Les géologues ont progressivement décrit les modes de production d’hydrogène naturel. Depuis plus de dix ans, cette région proche de Bamako se fournit en électricité grâce à ce gisement.
L’avis de l’Académie des technologies de Juin dernier donne des explications : « L’hydrogène naturel se forme continûment dans le sous-sol du fait de différentes réactions, la plus connue est la réduction de l’eau en présence de roches riches en fer (celui-ci s’oxyde).
L’hydrogène libéré remonte vers la surface et peut s’accumuler dans le sous-sol s’il y a une barrière, roche de faible perméabilité, comme une couche salifère. Si la température est élevée, ces réactions peuvent être très rapides. Une autre réaction est la radiolyse par la radioactivité naturelle des roches qui casse la molécule d’eau : là encore l’hydrogène s’échappe et peut s’accumuler. Enfin, la maturation tardive de la matière organique, en particulier des charbons, libère aussi, au-dessus de 200°C, de l’hydrogène en profondeur, tout comme les processus industriels de gazéification du charbon ». On retient de ces quelques lignes que la production, quel que soit le mode de formation de la molécule, serait continue et se produit même à faible température (dans certains cas, la séparation de la molécule d’eau en hydrogène et oxygène peut même s’effectuer à moins de 100°C). À noter aussi que la production d’hydrogène naturel s’accompagne souvent de cette d’hélium (He), de méthane (CH4), de dioxyde de carbone (CO2).
Une demande de moyens pour ne pas se faire doubler
Pourquoi donc se lancer dans une communication scientifique alors que la chose semble bien connue ?
D’ailleurs, indique encore l’avis de l’Académie des technologies, « début 2022 la France a reconnu dans le code minier l’hydrogène natif comme une ressource et les premiers permis d’exploration ont été déposés. »
La raison tient au fait que le temps presse et que la procrastination administrative n’est plus de mise. Dans de nombreux pays, l’hydrogène naturel intéresse fortement les chercheurs. Isabelle Moretti remarque : « La France était pionnière sur ce sujet et est en train de se faire doubler ».
La qualité environnementale de l’hydrogène s’apprécie par son mode de production, exprimé par une palette de couleurs. Officiellement, l’hydrogène naturel, dit blanc, n’y figure pas.
Les deux nations les plus rapides à se mobiliser sont les États-Unis et l’Australie. Les effets semblent même dévastateurs pour le savoir-faire développé en France. Ainsi, l’Université de Pau (UPPA) et l’IFPEN (Institut français du pétrole et des énergies nouvelles) ont commencé à travailler avec les acteurs australiens. L’avis cite même l’embauche des « meilleurs docteurs français » par des entreprises australiennes et américaines.
Aux États-Unis, « l’Advanced Research Project Agency-Energy (ARPA-E) […] a dédié un budget de 20 millions de dollars qu’il a essentiellement affecté à des projets de recherche sur la génération d’hydrogène par injection d’eau dans des roches riches en fer ». Une méthode qui utilise la fracturation hydraulique. Cette technologie n’est donc pas neutre en termes environnementaux et produit de l’hydrogène « stimulé », dit « orange » – appellation non référencée dans « l’arc-en-ciel » des hydrogènes et inventée par les développeurs de cette technique. Ce qui témoigne de l’ambition de ce secteur.
En France, une demande de recherche prend 18 mois
Face à ces démarches, la France manifeste de la timidité
Les académiciens auteurs de l’avis relèvent quelques permis, demandes de permis et projets de recherche. Mais elle met surtout en avant la lourdeur administrative et la disproportion de moyens vis-à-vis de la concurrence. En France, indique Isabelle Moretti, le traitement d’une demande de permis de recherche prend 18 mois, soit bien plus de temps qu’aux États-Unis. D’autre part, cette énergie ne fait pas suffisamment l’objet de soutien financier de la Banque publique d’investissement (BPI). Une entreprise américaine telle que Kaloma a, dans un premier temps, reçu 60 M$ de la Fondation Bill Gates et a annoncé en Février 2024 avoir levé 240 M$ de fonds. À cela s’ajoute les liens étroits avec les chercheurs, la direction technique de Kaloma étant assurée par un géochimiste de l’Université de l’Ohio. L’entreprise dispose déjà de sept puits.
Côté français, c’est la portion congrue
Déjà, au niveau européen, l’hydrogène naturel n’est pas référencé parmi les énergies décarbonées. Par ailleurs, malgré les annonces tonitruantes telles que celle du gisement mosellan, l’évaluation du gisement national ne fait que commencer ; la Région Nouvelle-Aquitaine serait la plus avancée. Quant aux soutiens financiers, ils paraissent ridicules. La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a affecté 300 000 € à l’IFPEN pour un état des lieux. Pour l’Académie des technologies, il manque des moyens pour acquérir des données sur le potentiel du sous-sol français.
Mais ces scientifiques sont aussi conscients des « bras de fer » qui se déroulent sous leurs yeux. L’avis cite en particulier l’opposition des constructeurs d’électrolyseurs, promoteur d’un hydrogène vert et seul décarboné, face aux initiatives en faveur de l’hydrogène naturel. Les auteurs demandent donc que leur activité soit prise en compte sous le nouveau nom de « parahydrogène », concept copié-collé sur celui du « parapétrolier » qui a permis, il y a quelques décennies, de mettre au point les biocarburants issus des végétaux. Une demande qui paraît a minima.
Références
- L’avis de l’Académie des technologies « « Accélérer la caractérisation de la ressource et l’exploitation de l’hydrogène naturel en France » - Cliquez ici
- Hydrogène Mania – Enquête sur le totem de la croissance verte, par Aline Nippert, édité par Le Passager clandestin.
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À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.