Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 20 Janvier 2020
Les évolutions de la méthode d’évaluation « Énergie Carbone » publiées début Novembre avaient fait fortement réagir les thermiciens déjà engagés pour une Réglementation Environnementale exigeante … L’annonce, le 14 Janvier, d’une nouvelle phase de préparation sans indicateur Bepos va décevoir une grande partie des maîtres d’œuvre techniques.
Une RE 2020 pour tous !
La RE 2020 mise à mal par les changements de paramètres
La Réglementation environnementale 2020 sortira-t-elle dans les délais annoncés par le ministère de la Transition écologique ? Dans le communiqué de presse du 14 Janvier, son application est prévue au 1er Janvier 2021, comme indiquée dans la loi Elan (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Surtout, cette annonce voudrait clore les épisodes de 2019 qui ont quelque peu mis à mal la crédibilité de la préfiguration E+C- en vue de la rédaction de ce texte.
Dans son dernier paragraphe, ce communiqué conclut par l’annonce de la réduction du poids carbone de l’électricité à 79 g/kWh contre précédemment 210 g/kWh et par l’abaissement du coefficient de conversion de l’énergie primaire en énergie finale à 2,3 au lieu de 2,58, comme appliqué en France depuis le début des années 70.
Pour ce qui concerne le contenu carbone de l’électricité, le dossier de presse ministériel tire argument d’une conformité « à la réalité constatée ». Ce qui ne manquera d’être contesté, l’électricité consommée durant les périodes de chauffage étant fortement issu de filières alimentées en énergies fossiles : gaz naturel, voire charbon quand elle est importée. Quant au coefficient de 2,3, il tombe pile-poil entre les bornes de la valeur par défaut prescrite par l’Union européenne début 2019 (de 2,1 à 2,5) et, selon le dossier de presse du 14 Janvier, « correspond à la valeur moyenne anticipée de ce coefficient au cours des 50 prochaines années ». En clair, l’énergie de base, d’origine nucléaire, sera soumise à un coefficient de 3, et les énergies renouvelables en plein développement (hydraulique, éolien, photovoltaïque) supportent un facteur de conversion de 1 ; le coefficient de ce mix énergétique est ainsi fixé à la « moyenne » de 2,3. On est certainement plus près du politique que de la physique, et on verra plus loin les conséquences prévisibles de cette décision.
2019, année d’incertitudes pour préfigurer la future RE 2020
Au vu des débats qui se sont multipliés depuis le printemps dernier, on peut se demander si ces annonces ne constituent pas d’une déclaration de conflit ouvert avec les partisans d’une réglementation de rupture pour la construction des bâtiments neufs. Pour mesurer la déception des acteurs les plus en pointe pour défendre la production de bâtiments passifs ou à énergie positive et amender la démarche E+C-, rembobinons le film des événements.
En Avril dernier, l’association négaWatt a attiré l’attention sur les débats en cours sur le coefficient de conversion de l’énergie finale en énergie primaire. L’association Eden (Équilibre des Énergies) avait twitté en Mars (1) une recommandation au gouvernement afin de le réduire de 2,58 à 2,1. négaWatt et avait anglé sa réponse en arguant qu’il fallait au mieux le maintenir, voire l’augmenter (2).
Autre expert à avoir déclenché les signaux d’alarme au sujet de la RE 2020 : Yann Dervyn, le directeur d’Effinergie. Dans ses propos rapportés par le mensuel Les CTB en Juin (3), il soulignait en particulier le trop faible échantillon de chantiers pris en compte dans les expérimentations E+C- : 600 maisons individuelles, 131 bâtiments tertiaires et 228 résidences collectives (chiffres de la mi-Septembre 2019). Yann Dervyn sait de quoi il parle puisqu’en préfiguration de la réglementation thermique 2012, ce sont plusieurs milliers d’ouvrages qui avaient été testés et audités dans le cadre des actions de l’association et du développement du label BBC. En outre, il soulignait aussi dans cette interview les énormes marges d’erreurs qui se manifestaient sur le calcul du bilan carbone : de 50 à 100% ! Comment dans ces conditions parvenir à un classement fiable ?
Effinergie a consigné toutes ses remarques dans sa contribution à la future réglementation environnementale parue en Juillet 2019 (4). L’association attirait l’attention sur des points aussi importants selon eux que l’amélioration du calcul du bilan bioclimatique (Bbio), la prise en compte de l’ensemble des énergies renouvelables produites, la maîtrise des ponts thermiques et des parois froides, l’amélioration de l’étanchéité à l’air et de l’étanchéité des réseaux aérauliques, l’intégration des consommations mobilières dans le calcul global … En clair, tout ce qui peut concourir à la réalisation d’ouvrages conformes à la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments.
Exit le Bepos de la RE 2020
La polémique a enflé en Novembre. Pendant Batimat - comme d’autres diraient « en pleine paix » -, paraissent sur le site batiment-energiecarbone.fr cinq pages de notes récapitulatives sur les évolutions de la méthode d’évaluation Énergie Carbone et les indicateurs testés en vue de la RE 2020 (5). Les quelques lignes du tableau de cette note n’avaient rien d’anodin ; elles ont provoqué un tollé, et Thierry Rieser, gérant du bureau d’études Enertech, en digne successeur d’Olivier Sidler, endosse le rôle du porte-parole des contradicteurs.
Fin Novembre, il publie sur le site d’Enertech un communiqué dense et structuré où il développe les incompréhensions partagées par lui et ses pairs ; plusieurs dizaines d’ingénieurs et techniciens de bureaux d’études, architectes, industriels et militants associatifs ont paraphé sa prise de position publique. Le site Xpair.com s’en est fait l’écho.
Son propos est clairement exprimé : ces notes vident la RE 2020 de sa substance. En premier lieu, et, semble-t-il, sans que les participants aux réunions techniques sur le développement de RE 2020 n’aient été avertis, on constate la disparition de l’indicateur Bepos (bâtiment à énergie positive) du futur texte.
Initialement, cet indicateur Bepos dresse le bilan énergétique global d’une construction : il prend en compte les énergies non renouvelables, les énergies dites captées – thermodynamiques, photovoltaïques … –, et soustrait les énergies dites exportées comme l’électricité photovoltaïque rejetée sur le réseau … Et ce, sur la base de tous les postes de consommation des logements ou des bureaux : les cinq usages « réglementaires » (chauffage, eau chaude sanitaire, éclairage, ventilation, auxiliaires) plus les autres usages mobiliers : cuisson, audiovisuel, ... en logement ; informatique dans le tertiaire …). Un outil, selon Thierry Rieser, « au cœur de l’évaluation énergétique » pour répondre aux enjeux prescrits au niveau européen. Pour preuve, ce Bilan Bepos portait l’évaluation énergétique des constructions notée selon une échelle de 1 à 4 : à partir d’Énergie 3, on parlait de bâtiment passif, et avec Énergie 4, on atteignait réellement le niveau « bâtiment à énergie positive ».
À noter aussi que la démarche Bepos est développée depuis les années 90 par les militants en faveur des constructions passives – notamment l’institut Passiv Haus allemand –, et, en France, cet objectif est présent dans les esprits des concepteurs et ingénieurs du bâtiment depuis le début des années 2000. Sa mise en œuvre concrète était donc très attendue.
Vers un photovoltaïque-bashing ?
Pourquoi ces usages mobiliers sont-ils retirés du spectre d’étude énergétique des bâtiments alors que, depuis le lancement de l’expérimentation E+C- depuis 2016, ils y figuraient en bonne place ?
Fin Novembre dernier, lors d’une prise de parole organisée à Paris par l’industriel France Air sur la RT 2020, Nathalie Tchang, responsable du cabinet Tribu Energie et qui fait partie des experts membres du groupe de travail mis en place par le ministère de la Transition énergétique pour la rédaction de la RE 2020, livrait une piste : « On ne peut pas faire grand-chose sur ces usages mobiliers. Seules les directives européennes sont en mesure d’interdire des produits ou d’imposer des contraintes ; les réglementations nationales n’y peuvent pas grand-chose. »
Le choix de faire disparaître le bilan Bepos a pour effet de complètement désorganiser l’étude et la conception des ouvrages. Déjà, cela limite le calcul aux cinq traditionnels usages de l’énergie retenus de longue date dans les réglementations thermiques pour calculer les consommations d’énergie : chauffage, eau chaude sanitaire, éclairage, ventilation, auxiliaires.
Or, tous les thermiciens ont constaté que, performance des enveloppes et des équipements de bâtiments aidant, ces postes de consommations conventionnels ont considérablement réduits au cours des vingt dernières années ; pour beaucoup, ils constituent le bosquet qui cache la forêt des autres consommations énergétiques à réduire : électroménager, cuisson, bureautique, l’audiovisuel et technologies de l’information – boxes internet, écrans, chargeurs … Proportionnellement, ces usages forment la moitié aux trois quarts des consommations énergétiques mesurées dans les logements récemment conçus. Pourtant, ils passent à la trappe.
D’aucuns diront que cet indicateur est remplacé. Car le Cep, indicateur des consommations en énergie primaire, est étendu aux consommations de climatisation durant les coups de chaleur estivaux, aux autres usages immobiliers cités dans le référentiel E+C- (ascenseurs, parking, parties communes et escalators) et prend en compte l’électricité photovoltaïque à hauteur de l’autoconsommation. Et deux nouveaux critères apparaissent : le Cep-nr, comme non renouvelable, qui distinguera les consommations d’énergie de réseaux de l’autoconsommation ; et le RCR, ou taux de recours à la chaleur renouvelable et de récupération.
Faut-il y voir un retour en grâce des capteurs solaires thermiques ? Thierry Rieser y reconnaît un « photovoltaïque-bashing » et une vision de l’électricité par l’administration du ministère sous le seul angle de la production de masse.
Au bilan, il faut reconnaître que le « super-indicateur Bepos », comme le nomme Yann Dervyn (Effinergie) laisse la place aux indicateurs d’envergure plus modestes : Bbio, Cep, Cep-nr. Le ministère dit cependant clairement que le Bbio sera renforcé – ce qui est attendu des bureaux d’études. Et, à la suite des discussions menées depuis Novembre, le Bepos pourrait faire son retour sous la forme d’un simple indicateur, sans objectif à respecter. Effinergie réfléchirait à intégrer la formule testée dans la préfiguration Énergie Carbone dans un label d’État.
Le coefficient de conversion qui passe de 2.58 à 2.3: quels impacts ?
Dans son communiqué de fin Novembre dernier, Thierry Rieser infirmait le besoin de réduire le coefficient 2,58, soulignant qu’il s’agit d’une « réalité physique, et non d’une valeur négociable. » Et, en centralien pragmatique, de demander de le porter plutôt à 2,74, valeur plus réaliste selon lui, et de le réviser dans cinq ans … ou de le maintenir comme tel. Idem quant au poids carbone de l’électricité : une décision d’abaissement favoriserait le chauffage électrique (à effet Joule), alors qu’à 210 g/kWh, la pompe à chaleur coche déjà les critères de performance.
Selon lui, l’annonce des 79 g/kWh de CO2 et du coef. 2,3 aura un effet bien au-delà de la construction neuve. Déjà, ces valeurs mettent à mal l’énergie gaz tant dans l’individuel que le collectif, et handicape les stratégies liées au biométhane à long terme ; ces décisions politiques sont gravées dans le marbre. « On revient à la RT 2005 ! », lui fait même dire ce constat global.
En outre, les nouveaux critères liés à l’électricité impacteront aussi en rénovation : mécaniquement, avec un chauffage électrique à effet Joule et des travaux d’isolation superficiels, il sera possible de se hisser sans effort d’un à deux niveaux sur les étiquettes énergie et carbone. Mais, pour autant, on ne sortira pas de la précarité énergétique.
RE 2020 et maîtriser les coûts de construction, c’est indispensable
Attention à la dérive des coûts pour atteindre les objectifs de la RE 2020
Lors de la réunion organisée fin Novembre par France Air sur ce thème de la RT 2020, Solène Duprat, ingénieure et responsable du pôle thermique-énergétique du bureau d’études Scoping, a décrit le parcours pour réaliser un ouvrage d’un niveau optimal : l’ex-Energie 4 – Carbone 2 (ex-E4C2). Une expérience qui explique peut-être la frilosité des politiques à s’aventurer vers des constructions très performantes.
Il s’agissait d’une base de loisirs et de son bâtiment de restauration construite à Castanet-Tolosan, au sud de Toulouse (31). Elle se développe sur plusieurs ouvrages de plain-pied sur 1918 m².
L’objectif « énergie positive » de ce projet était doublé par celui d’un niveau 3 du label Biosourcé. Tout a ainsi été optimisé : des fondations sur 315 pieux en acier pour éviter 20 m³ de béton pour réaliser les semelles filantes, une structure intégralement en bois, 22% des surfaces de façades vitrées et équipées de toutes sortes de solutions de protections solaires, un chauffage par pompe à chaleur sur 160 mètres linéaires de forages géothermiques, une ventilation double flux sur geocooling, une production d’énergie verte par 97 panneaux photovoltaïques … L’ex-bilan Bepos indique des consommations totales (chauffage-rafraîchissement, eau chaude sanitaire, éclairage, auxiliaires et autres usages) de 38 kWhep/m².an, largement couverte par une production d’électricité de 45 kWhep/m².an. Le niveau carbone atteint 840 kg/m² pour un palier C2 à 930 kg/m².
Son retour d’expérience souligne l’importance du soin à apporter à la conception très en amont, notamment le choix des matériaux : « La brique, retenue en phase avant-projet définitif, ne passait pas au regard du carbone », donne en exemple Solène Duprat. Il faut aussi se montrer très stratège avec les différents lots, ceux relatifs aux équipements de chauffage-ventilation (CVC) et d’électricité (courants forts) étant handicapés par leurs poids carbone forfaitaires : à eux seuls ils constituent un tiers de la contribution CO2. À l’inverse, le bureau d’études a su bénéficier de la préconisation d’un isolant en fibre de bois qui venait de décrocher une analyse de cycle de vie fortement négative. Autres enseignements primordiaux : des tels objectifs imposent un long travail d’études – trois mois – et manifestent un surcoût qu’il sera impératif de regarder de près : en RT 2012, ce chantier aurait consommé un budget de 3,4 M€ ; selon ces principes E+C-, il a demandé 4,9 M€. Soit un écart de 40 % …
En ces temps de budget serré, on peut comprendre que la généralisation d’objectifs aussi pointus dans un texte qui s’imposera à tous puisse être réexaminé de près. Mais renverser la table un an avant la date prévue d’application du texte va certainement refroidir les ardeurs de ceux qui s’étaient dans un premier temps montrés volontaires pour faire avancer la cause du bâtiment performant.
1. https://twitter.com/Equili_Energies/status/1107695605424574465
2. https://negawatt.org/Vers-une-evolution-du-coefficient-de-conversion-de-l-electricite
3. https://www.cahiers-techniques-batiment.fr/article/re2020-ce-n-est-pas-pour-demain.41095
4. https://www.effinergie.org/web/images/actualite/2019/RE2020_Effinergie_Contribution_générale.pdf
5. https://www.batiment-energiecarbone.fr/IMG/pdf/evolutions_methode_et_indicateurs_pour_re2020.pdf
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.