Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 17 Décembre 2020
Le confinement de ce mois de Novembre a mis à mal l’initiative « Semaine de la Réno Copro » qui devait avoir lieu du 2 au 8 Novembre. Ce coup de projecteur sur la rénovation des logements collectifs privés était organisé quelques jours après la publication par France Stratégie d’un travail d’expert qui fait le constat d’un quasi-échec des politiques d’incitation à la rénovation depuis plus d’une dizaine d’années et du gouffre financier qu’il représente. L’une des solutions avancées pour reprendre la main est le tiers-financement, évoqué depuis longtemps, notamment par la loi ALUR de 2014 et la loi de transition énergétique de 2015 (1). À la clé, une organisation toute différente des chantiers.
- Accroître l'investissement dans la rénovation énergétique des logements du parc privé -
La « Semaine de la Réno Copro » du 2 au 8 Novembre, coordonnée par l’ADEME via sa marque « Faire », avait pour ambition de motiver les propriétaires occupants ou bailleurs de logements collectifs privés à se lancer dans la rénovation énergétique de leur patrimoine. Initiative qui va dans le bon sens puisque ces décideurs sont réputés conscients de l’état des lieux – 37 % connaissent leur étiquette DPE. Pour cause : à lui seul, le chauffage compte pour 30 à 50% des charges de copropriétés. Et, tous confondus – privés et sociaux –, 14,7% des logements collectifs se rangent sous les étiquettes F et G du diagnostic de performance énergétique (DPE), celles des passoires thermiques. De fait, les enquêtes d’opinion lancées immédiatement après les annonces d’aides à la rénovation dans le cadre de France Relance, en Septembre dernier, indiquent que ces informations ont bien mieux été retenues par ce public cible : 4 propriétaires sur 5 sont au courant des 2 Mds€ mis sur la table pour 2021 et 2022, contre seulement 2 locataires sur 3.
Des événements « Copro » sur le terrain et sur écran
Pour passer de l’annonce aux chantiers, un imposant programme de sensibilisation avait été mis sur pied dans le cadre de cette semaine de sensibilisation ; le site La Copro des Possibles liste les rencontres et ateliers où les décideurs allaient pouvoir trouver les solutions et arguments décisifs. On se contentera des enregistrements de webinaires sur le site Semaine de la Réno Copro.
Il ne faut pas manquer de citer aussi la formation gratuite en ligne (ou MOOC) à l’adresse bit.ly/31Tad8N (2) ou le catalogue de formations conçu par l’Ecole Supérieure de l’Immobilier (ESI) et spécifiquement destinées aux syndics sur le site Groupe Esi.
Les copropriétés, un axe stratégique
Cette initiative recoupe par ailleurs la solution d’investissement suggérée par la structure gouvernementale France Stratégie. Dans un document de travail paru en Octobre dernier, explicitement titré « Accroître l’investissement dans la rénovation énergétique des logements du parc privé »(3), les experts rédacteurs de la trentaine de pages, Vincent Aussilloux et Adam Baïz, présentent les pistes pour accélérer la rénovation énergétique, la baisse des consommations d’énergie et, par conséquent, les émissions de gaz à effet de serre pour tenir les engagements nationaux.
Depuis 30 ans, ces émissions de gaz à effet de serre par le secteur résidentiel et tertiaire sont, tendanciellement, en baisse. Tendanciellement, car elles suivent assez fidèlement l’indice de rigueur climatique, lui-même baisser … en raison du réchauffement climatique (Figure 1).
Les données récentes montrent cependant une meilleure réponse du résidentiel et du tertiaire depuis le milieu des années 2000 : les volumes émis se réduiraient à un rythme plus soutenu. Ce qui donnerait à penser que les réglementations thermiques produites depuis cette date, ainsi que les chantiers de rénovation énergétique, sont d’une efficacité sensible. Mais on est loin du compte : en 2017, le bilan carbone était mesuré 22% au-dessus de la prescription de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), est-il précisé dans ce document.
Structurer la rénovation énergétique
La conclusion s’impose : cette situation n’est pas en phase avec les ambitions environnementales de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le bâtiment. Ce notamment au regard des masses d’aides allouées depuis plus d’une dizaine d’années avec des « retours » trop faibles.
Les auteurs du document de travail de France Stratégie citent plusieurs sources, et en particulier l’étude TREMI (Travaux de Rénovation Energétique en Maisons Individuelles) de 2017, produite par l’ADEME. Ce rapport indiquait notamment que trois quarts des opérations ne faisaient nullement varier l’étiquette énergétique des constructions mises en chantier.
Les moyens financiers et les leviers fiscaux recalés chaque année sont considérables et n’affichent clairement pas les résultats escomptés. Le soutien apporté aux ménages comme aux entreprises du bâtiment pour mener ce grand projet semble filer comme le sable entre les doigts. Annuellement, le montant atteint 3,8 à 4,5 M€ en crédit d’impôts, taxes, aides pour le parc privé (chiffres du Plan Bâtiment Durable en 2018 et 2019). Ce sans tenir compte des certificats d’économie d’énergie gérés par les énergéticiens dits « obligés ». Par ailleurs, les experts laissent aussi entendre que la filière bâtiment dédiée à la rénovation énergétique n’existe toujours pas.
Le grand chantier de la rénovation : lever les obstacles
Ils constatent aisément les « obstacles » sérieux au démarrage du grand chantier de la rénovation des logements que tout le monde a pointé maintenant depuis des années – ils avaient été soulignés dans le rapport du Plan Bâtiment Durable dirigé par Jean-Pascal Chirat et Frédéric Denisart sur les « Nouvelles dynamiques de rénovation des logements » (4).
Il s’agit principalement du manque d’information, du défaut de confiance envers les « acteurs » – les arnaques ont été légions ces dernières années –, et des difficultés de financement. Un rapport d’Octobre 2019 du Plan Bâtiment Durable, intitulé « Parc locatif privé et rénovation énergétique » (5), écrit par Pierre Hautus (UNPI) et Michel Pelenc (SOLiHA), fournissait une dizaine de propositions sur la base de cet état de fait.
La réflexion de France Stratégie le rappelle aussi : depuis le milieu des années 2000, les ambitions de rénovation sont allées grandissantes. Les derniers textes fixent, pour 2050, un parc au niveau « basse consommation ». Ainsi, aux 300 000 rénovations annuelles dans le logement social au lendemain du Grenelle de l’Environnement (2007) se sont succédées les 500 000 rénovations annuelles dans la loi de transition énergétique de mi-Août 2015, chiffre rappelé en Avril 2018 dans le Plan de rénovation énergétique des bâtiments. Et plus récemment, la Convention citoyenne pour le climat a poussé le curseur en demandant la rénovation de l’ensemble du parc de logements d’ici 2040, soit une moyenne de 1 million de chantiers chaque année. La course à l’échalote est un jeu très amusant, mais qui en l’occurrence s’avère contre-productif.
Cibler l’efficacité et la rentabilité pour les copropriétés
L’échec de cette politique de rénovation énergétique est patent, et la mise au point de France Stratégie vise à la réorienter. On ne lira dans ces pages aucune remise en question de l’organisation des entreprises, de leur formation aux nouvelles approches des chantiers ou sur leurs qualifications. En revanche, le propos cite d’emblée l’ignorance par les ménages des aides et dispositifs, souligne leur aversion au risque d’une rénovation énergétique et pointe le mode de décision, à la majorité absolue, dans les copropriétés. Ce document de travail fait donc un constat à charge pour les propriétaires de logements et de maisons individuelles.
Pris sous cet angle, le problème devient très commode à résoudre avec les concepts à disposition. Les experts de France Stratégie propose une « approche globale » avec pour objectif d’augmenter le volume de rénovation en ciblant les opérations « offrant le meilleur taux d’autofinancement » et permettant « également d’optimiser les aides publiques ». La solution retenue est celle du tiers-financement avec la création d’entreprises dites « opérateurs ensembliers ». On les décrira plus loin.
Le but, est-il écrit, est de générer un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 7,5 milliards d’euros et 100 000 emplois. Côté environnemental, il serait ainsi possible de réduire les émissions de CO2 de la France de … 2,4 %.
Serait-ce un marteau-pilon pour écraser une mouche ? Oui … et non.
Oui, car chacun sait que la France est un petit émetteur de gaz à effet de serre (6) : 1 % des émissions mondiales, soit, selon les derniers chiffres connus de 2017, 347 Mtec sur 37 MdsTec mondiaux. 19 à 20% de ce volume de gaz à effet de serre sont produits par le résidentiel (collectif et individuel) et le tertiaire – 25% si on tient compte des réseaux de chaleur – et le logement des ménages pèse 12 de ces 19/20%. C’est sur cette part que l’initiative développée par France Stratégie entend raboter 2,4% des émissions de CO2. Autant dire que l’on est loin de toucher la cause essentielle du gisement de carbone responsable du réchauffement climatique mondiale.
Non, parce que cette initiative devrait servir de « locomotive ». Les auteurs avancent : « Il existerait en France un volant de rénovations thermiques dans le parc privé pour lesquelles les économies d’énergie réalisées pourraient couvrir les coûts de la rénovation. » Ils citent la Direction du Trésor (Bercy) qui estime entre 5 et 9 millions de logements, soit 14 à 25% du parc, le nombre de rénovations rentables hors aides et taxation du carbone. Cette donnée est croisée avec celle avancée par l’ADEME : le résidentiel dispose d’un gisement de chantiers techniquement faisables et économiquement rentables de 19,4 TWh, soit 4% de la consommation d’énergie du secteur résidentiel. Les cibles, est-il précisé plus loin (page 12), sont les logements portant une étiquette DPE E, F et G et chauffés aux énergies fossiles : ils forment un quart du parc et la moitié des émissions de CO2 (Figure 2).
Ainsi, en s’appuyant explicitement sur « les rénovations énergétiques les plus rentables », France Stratégie conçoit que ces opérations seraient en mesure de « prototyper » et de valider une organisation adaptée à la massification des chantiers.
Par ailleurs, les auteurs tirent leur inspiration de quelques expériences récentes pour proposer la création de ces « opérateurs ensembliers ».
Leurs références sont :
— les Contrats de Performance Energétique (CPE) créés au début des années 2010 pour les maîtres d’ouvrage de grands patrimoines privés ou publics, en plein déploiement depuis 2015-2016 (la FEDENE estime leur nombre actuellement à près d’un millier) ; pour autant, s’ils retiennent l’esprit des CPE, les auteurs soulignent bien que ce modèle n’est pas transposable ;
— les Services Publics de l’Efficacité Energétique (SPEE) déployés depuis 2018 sur huit territoires, des guichets uniques pour orienter les propriétaires particuliers vers « les bons interlocuteurs » ;
— et quatre sociétés dites « de tiers financement » qui œuvrent déjà auprès de copropriétés et de particuliers ; il s’agit d’Artée en Nouvelle-Aquitaine, d’Île-de-France Énergies (un pionnier qui se nommait précédemment Énergies Posit’IF), Oktave dans le Grand-Est, Picardie Pass Rénovation – à noter que trois autres sont en cours de création.
Opérateurs ensembliers pour la rénovation : Un cadre hybride à vocation d’efficacité
Tout juste ébauché dans le document de travail, le profil des « opérateurs ensembliers » est un patchwork de ces exemples qui revendique une combinaison d’instruments de marché et d’intervention publique.
Par instrument de marché, il faut comprendre en premier lieu le recours à des sociétés spécifiques, essentiellement à vocation locale, sélectionnées sur appel d’offres – les artisans et entreprises locales « peuvent se fédérer pour constituer un opérateur ensemblier » – qui « installeront leur marque auprès du grand public afin d’inspirer confiance aux ménages et investisseurs » et auront diverses missions : accompagner les collectivités locales pour la rénovation énergétique des quartiers, villes et espaces ruraux ; prospecter les copropriétés et propriétaires particuliers, occupants de leur logement individuel ou bailleurs ; aider les artisans à se former à l’efficacité énergétique ; concevoir et suivre les travaux ; avancer le financement et porter la dette relative aux opérations de rénovation ; accompagner les ménages et se rémunérer sur les économies d’énergie en partageant les gains … Ce dernier point laisse peu de place à la négociation : ce sera 75% pour l’opérateur et 25% pour le propriétaire … sous réserve que le ménage limite son confort à 20°C.
Ces nouveaux pilotes de la rénovation énergétique prennent quelques risques, et l’intervention publique permet de les couvrir des aléas d’impayés. Ainsi, pour éviter les accidents déjà répertoriés auprès des sociétés de tiers-investissement, les entreprises pourraient bénéficier du fonds de garantie pour la rénovation énergétique créé fin 2019 (7). Les auteurs du document de travail proposent même ceintures et bretelles : un fonds de garantie public assurerait les premières rénovations au cas où les rénovations se révèleraient non rentables.
Un tel environnement devrait permettre de faire baisser les coûts de rénovation, espèrent les auteurs qui se reposent sur les simulations de l’ADEME. (Figure 3).
Des règles de fonctionnement très précises
Le propriétaire qui opterait pour cette solution délègue intégralement le chantier de rénovation énergétique à l’opérateur ensemblier : ce dernier en est le maître d’œuvre et décide des choix techniques à appliquer. Pour illustrer cette option, France Stratégie développe sept cas de figure (3, pages 17-18). Il assure ainsi la fonction de financeur, d’organisateur du chantier et de gestionnaire de l’installation.
Ainsi, la problématique centrale est abordée dans le document de travail : comment assurer la rentabilité de l’opération ? Dans certains cas, le taux minimal de 3% par an sur la base des fonds immobilisés peut demander des périodes de remboursement jusqu’à 40 ans ! Ce qui fait dire aux rédacteurs du rapport que les sociétés d’économie mixtes seraient mieux adaptées à ces marchés que des opérateurs privés ; ces derniers recherchent des taux de rentabilité annuels de l’ordre de 5 à 7%.
Plusieurs pistes sont citées pour améliorer le rendement financier de la rénovation énergétique : le tiers-investisseur peut aussi être fournisseur d’énergie ; le projet peut comporter un volet d’autoconsommation d’énergie ; l’opérateur peut reprendre 100% des économies d’énergie sur la facture ; les ménages à hauts revenus peuvent financer une part des travaux … (Figure 4).
Toujours est-il que contrairement aux contrats de performance énergétique réglementairement limités à une durée de 16 ans (renouvelable après 15 ans), la formule retenue pour les particuliers pourrait être d’une durée de 15 à 30 ans. Par conséquent, le contrat que retiendrait un propriétaire suivrait la construction au fil des mutations. Psychologiquement, cela rend les ventes plus délicates … En outre, gestion des surconsommations et de l’effet rebond obligent, le logement sera monitoré et les comportements des occupants seront sous le regard du gestionnaire qui pourra sanctionner financièrement en cas de dérive … Une intrusion que sans doute peu de propriétaires trouveront à leur goût.
Si France Stratégie se félicite d’avoir développé une option qui lui permet d’évoquer « un service public de la rénovation thermique qui optimise les aides publiques », au regard des deux décennies passées, sa mise en œuvre et sa pérennité posent encore une foultitude de questions.
1 - Plan Bâtiment Durable : Lien
2 - Mooc Bâtiment Durable : Lien
3 - Document de travail – France Stratégie – Accroître l’investissement dans la rénovation énergétique des logements du Parc Privé - Octobre 2020.
4 - Plan Bâtiment Durable - Rapport des Nouvelles Dynamiques de Rénovation des Logements : Lien
5 - Plan Bâtiment Durable - Rapport du Parc Privé Locatif et Rénovation Energétique : Lien
6 - Statistiques Développement Durable : Lien
7 - Arrêté du 24 Octobre 2019 relatif aux conditions d’application de l’intervention du fonds de garantie pour la rénovation énergétique
NOR : LOGL1924379A - Texte N°94 - Lien
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.