Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 25 Septembre 2024
Toujours très modeste depuis sa chute au début des années 2010, le solaire thermique reprend des couleurs. Mais le plus stimulant pour la filière est son inscription dans la stratégie énergie et climat de 2023. Enerplan a profité de ses assises en juin pour montrer l’état des lieux et les opportunités.
Solaire, pourquoi tant d’indifférence ? Telle est la question que l’on pourrait se poser à l’issue des États généraux de la chaleur solaire organisés par Enerplan le 25 juin dernier à Marseille. Le constat est réellement accablant. 25 ans après le lancement du plan solaire par l’Ademe, cette énergie renouvelable culmine à… 1 % de la consommation primaire des énergies renouvelables pour les usages de chaleur.
À tel point que les acteurs de cette filière en sont encore à militer pour « faire connaître le solaire thermique ». Il est vrai qu’après l’engouement du début des années 2000, les chantiers menés dans le cadre des projets innovants liés au développement des bâtiments basse consommation (BBC) se sont souvent transformés en contre-références, notamment en raison des aubaines de financements et des négligences d’installation. Et dès la fin des années 2000, l’engouement pour le solaire photovoltaïque a concrètement étouffé ce mode de production de chaleur.
Est-il trop « low-tech » ? Le rendement financier du photovoltaïque est-il préférable au confort thermique et à l’économie d’énergie du solaire thermique ? Le ballon thermodynamique est-il une solution EnR plus simple à vendre par les installateurs ? Quoi qu’il en soit, le solaire thermique semble avoir disparu des radars du résidentiel…
Passer de 1,3 MW à 10 MW en 2035
Et pourtant ! Les États généraux d’Enerplan révèlent une poursuite de cette activité avec des solutions tant pour le particulier que pour les collectivités ou les industriels. Très clairement, le message sur l’importance du besoin de chaleur, qui représente quasiment la moitié des consommations d’énergie, semble passer. Et le solaire thermique fait partie des solutions dans l’esprit des politiques. Par ailleurs, les acteurs de la filière font reposer leurs réflexions sur la stratégie pour l’énergie et le climat travaillée depuis fin 2023.
Certes, des événements politiques ont fait chanceler ce bel édifice et ses projections pour 2030 et 2035. Mais, à quoi d’autre se raccrocher ?
Ce plan fixe, sur la base de 1,3 TWh en 2021-22, un objectif de chaleur solaire thermique de 6 TWh en 2030 et de 10 TWh en 2035. Soit une multiplication par un facteur de pratiquement 8 de la chaleur. Concrètement, cela signifie à terme un triplement du solaire thermique en maison individuelle (1,5 TWh en 2035 contre 0,6 actuellement), un facteur 4 en toitures collectives (soit 4 millions de m² et 2 TWh à terme) et l’extension d’une activité encore modeste : les grandes installations de solaire thermique, dites GIST. En 2035, ce pourrait être plus de ma moitié de la production de chaleur (5,5 TWh).
Solaire thermique, lever les freins
L’enthousiasme de la filière est tempéré par une bonne connaissance du terrain et des freins connus de longue date. En premier lieu, souligne Richard Loyen, délégué général d’Enerplan, « les architectes des bâtiments de France ». En milieux urbains et protégés, les ABF seraient à l’origine du blocage de projets d’installation intéressants pour les particuliers, les bailleurs sociaux ou les collectivités. Autre point important : la connaissance de la filière solaire par les Français. Elle serait actuellement au plus bas, la confusion entre le photovoltaïque et la thermique étant pratiquement générale.
Par ailleurs, la mise en place du zéro artificialisation nette (ZAN) a été défavorable « au grand thermique ».
Ainsi, selon ces mesures, une installation photovoltaïque extensive serait censée ne consommer aucun foncier alors qu’une occupation foncière serait comptabilisée pour une grande installation de solaire thermique. Un « bug législatif » qui date de 2021, indique Richard Loyen et qui constitue « un rocher au milieu de la route ».
Autre difficulté rencontrée récemment : la disparition des mono-gestes des opérations MaPrimeRénov de janvier à mai dernier. Ce qui a provoqué un véritable trou d’air pour l’année 2024. Enfin, l’activité solaire thermique vit comme toutes les autres corporations du bâtiment le déficit de main d’œuvre pour répondre aux demandes. Le sujet est aussi crucial pour envisager les futurs développements.
De fait, ces sujets d’inquiétude sont transformés en mesures de mobilisation. Enerplan a lancé son Plan national pour la chaleur solaire pour présenter aux pouvoirs publics les mesures qui faciliteraient le développement politiquement attendu.
Si l’accent est mis sur les moyens classiques – communication, MaPrimeRénov, fonds Chaleur… –, des outils plus innovants et plus directs ont aussi fait leurs preuves. Exemple est donné avec les animateurs et l’appui technique auprès des maîtres d’œuvre et collectivités fournis par l’Ademe, notamment dans le cadre des Contrats chaleur renouvelable territoriaux (CCRT).
S’associer pour convaincre
Le constat de la situation en France est d’autant plus alarmant, qu’il n’en va pas de même dans les autres pays européens. En témoigne Valérie Séjourné, responsable au sein de Solar Heat Europe et porte-parole du secteur solaire thermique auprès des institutions européennes à Bruxelles. Certes, cette activité a baissé de 23 % en 2023, mais elle reste à des niveaux élevés. Ainsi, la baisse de 47 % en Allemagne l’an passé s’est tout de même traduit par 367 000 m² installés quand en France une hausse de 8 % signifie 114 670 m² de plus. Tout est affaire d’échelle. Surtout, elle remarque que plus de 250 villes d’Allemagne, d’Autriche et des Pays-Bas intègrent du solaire thermique dans leurs réseaux de chaleur.
Cependant, le bilan global est faible : le solaire compte pour 0,2 % de la production de chaleur sur l’ensemble des réseaux de chaleur européens ou plus de 50 % de l’énergie utilisée est encore fossile. Valérie Séjourné indique aussi que les objectifs européens sont de quasiment quadrupler la production solaire thermique d’ici 2030 (140 GWth).
Pour les industriels, concepteurs et installateurs du solaire, la question est désormais de savoir comment organiser la filière pour franchir les étapes à venir et s’inscrire dans les programmes proposés pour la décennie. Pour Enerplan, l’un des axes est de jouer la carte du collectif.
Au mois de juin dernier, des associations avec d’autres organisations professionnelles ont été annoncées. Ainsi, la Fedene, par la voix de sa déléguée générale Marion Letty, a indiqué la convergence d’intérêt entre les activités de création et de gestion des réseaux de chaleur urbains et celle du développement du solaire thermique : augmentation de la part des énergies renouvelables et récupérables d’ici 2030, proposition de solutions innovantes adaptées aux collectivités notamment pour les nouvelles actuellement prospectées… Cette fédération a d’ailleurs travaillé sur les données fournies par la Stratégie énergie et climat pour en décliner des plans régionaux et locaux.
Les organisations professionnelles directement liées aux énergies énergies renouvelables sont aussi intéressées par un partenariat avec Enerplan. L’Association française des professionnels de la géothermie (AFPG) avait annoncé son partenariat en juin et l’annonce d’une feuille de route commune sur le thème du couplage du solaire thermique et de la géothermie. Qu’il s’agisse de financement de projet via le fonds Chaleur ou le développement de technologies innovantes relatives au stockage, au rechargement thermique des sols, de mutualisation des usages ou de mise en place de techniques réversibles (chaleur et froid), ces entités devraient avoir des choses à partager.
L’industrie s’intéresse au solaire thermique
Surtout, malgré le marasme que vit ce secteur d’activité, il faut remarque que l’innovation se poursuit et que les solutions disponibles élargissent le champ des possibilités du solaire. Le cas le plus emblématique est l’intérêt porté par l’industrie au solaire thermique, telles que les entreprises Heineken en Espagne ou Lactilis à Verdun pour son unité de production Lacto Serum.
Sur ce dernier chantier bouclé en 2023, l’entreprise agroalimentaire a mis en œuvre 930 panneaux représentant une surface de capteurs de 14 800 m² sur un foncier de 4,5 ha, soit une puissance de 12,4 MWth. Cette énergie destinée à alimenter un échangeur air-eau transite par une cuve de stockage de 3 000 m³.
Un autre exemple a été donné par Alto Solution, développeur de capteurs à concentration de type cylindro-parabolique. Ce fournisseur a équipé l’entreprise Le Coq Noir, fournisseur de condiments et sauces à l’Isle-sur-la-Sorge (84), d’une installation de deux lignes de capteurs d’un total de 855 m² et d’une puissance de 500 kW capables de fournir de la vapeur d’une température de 170 °C. Alto Solution présentait aussi une étude en bonne voie pour une entreprise pharmaceutique : 2 500 m² de capteurs du même type produisant 1,5 MW conçu pour produire de l’air chaud à 500 °C.
L’innovation porte aussi sur les générateurs en tête des réseaux de chaleur urbaine. Le suisse TPV Solar développe dans son usine napolitaine (ex-Thomson, précédemment productrice de tubes cathodiques) des capteurs plans sous-vide. Outre leur efficacité, leur intérêt est d’éviter toute perte d’énergie par convection. L’entreprise en produit annuellement 80 à 100 000 m². Ses marchés l’ont amené à installer des toitures à Genève, à Groningen (Pays-Bas) ou à Sondershaussen (Allemagne). L’intérêt de ce matériel est de pouvoir fournir de la haute température (85 à 93 °C) en toute saison, même sous des climats peu exposés au rayonnement lumineux. Les rendements sont généralement de plus de 50 %. À noter que les installations sont généralement dotées de très importantes capacités de stockage hydraulique (6 000 m³ à Groningen à l’aval de 48 000 m² de panneaux).
Du solaire thermique pour un petit réseau de chaleur
L’opération la plus originale est certainement celle mise au point pour une coopérative d’utilisateurs de 200 foyers à Bracht (Allemagne, land de Hesse), un village de 900 habitants.
L’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) a présenté cette installation thermique qui a commencé à être étudiée en 2013. Un champ solaire de 12 900 m² alimente un stockage primaire souterrain de 26 600 m³ qui alimente un stockage secondaire relié aux maisons individuelles. Pour remonter le niveau de température en hiver, deux pompes à chaleur de 1,2 MW chacune sont disponibles.
Enfin une chaufferie biomasse de 600 kW assure le relais en cas maintenance ou de défaut. Le taux de couverture solaire devrait être de 70 % et le taux d’EnR, de 84 %. Bratch vise ainsi un statut de 1er village solaire de Hesse en 2025. Ce chantier reviendrait à 6 000 € par raccordement, et le prix de l’énergie est établi à 60 € par mois, plus un montant de 0,17 €/kWh consommé. Si cette solution est limitée par les contraintes de raccordements ultérieurs, elle a le mérite de montrer tout le potentiel de développement du solaire thermique.
Liens et documents recommandés
- Les Etats généraux de la chaleur solaire : Visionner les replays
- Enerplan : ENERPLAN- Plan National Chaleur Solaire : Lien PDF
- Fedene, Fedene, Potentiel régional de la stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC) : Lien
- AFPG-Enerplan : Feuille de route Solaire thermique et géothermie : Lien PDF