Le syndrome de l’économie secouée et une année 2023 difficile

Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 21 Mars 2023


Trois ans après le confinement pour motif de Covid méchant et un an après le début de la phase internationale de la guerre en Ukraine, l’économie française se révèle soumise à un double choc d’inflation et de stagnation. Selon l’Insee, la croissance présenterait un acquis légèrement positif fin Juin. Concrètement, les ménages font le gros dos, et leurs investissements immobiliers sont à l’arrêt.

À l’approche du printemps, l’Insee affiche un optimisme plus mesuré qu’en Décembre dernier. Certes, elle prévoyait un pic d’inflation proche de 7%, et il n’est que de 6,3%. Mais elle avoue un dérapage de 0,1% par rapport à ces calculs de Janvier. Pour vous ce n’est peut-être rien …

conjoncture inflation

En quelques semaines, les données collectées ont fini par montrer un environnement économique plutôt cabossé qui laisse prévoir une année 2023 terne et difficile.

Lors de sa dernière présentation mensuelle de la conjoncture, ce 15 Mars, les statisticiens ont exposé un état des lieux impacté par les effets conjugués des longs mois de gestion de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. À noter que pour l’instant, les données ne permettent pas de prendre en compte la crise bancaire américaine annoncée il y a seulement quelques jours.

Le titre du rapport publié est on ne peut plus clair : « La croissance résiste, l’inflation aussi ». Les chiffres cités dans les tableaux ci-dessous suffisent à édifier n’importe quel rétif aux sciences économiques :

données indices


Les tarifs des énergies atterrissent

Pour compléter les informations nécessaires pour donner une projection, l’Insee indique que les prix des énergies atterrissent après une année de « yoyo » :
- Le baril de pétrole est depuis quelques semaines autour de 83 $ - après avoir grimpé entre 120 et 130 $/baril entre Février et Juin 2022.
- Quant au prix du gaz naturel, les violents soubresauts de mi-2021 à fin 2022 se soldent par un moment de repos aux alentours de 50 €/MWh. Ici aussi, il est bon de dire que le tarif spot est monté à plus de 300 €/MWh au cours de l’été 2022 ; par ailleurs, il ne faut surtout pas manquer de souligner que si les prix européens ont explosé d’environ 15-20 €/MWh avant la crise Covid à ce niveau de 300 €/MWh l’an passé, les prix spot pratiqués sur le continent américain ont tout juste frémi de 15 à … 30 $/MWh, et sont aujourd’hui revenus à environ 15 $/MWh.

De fait, l’énergie n’est plus le carburant de l’inflation, et cet épisode a causé une sorte d’effet d’« auto-allumage » du moteur économique. En clair, la hausse du pétrole et du gaz a « mis le feu » aux intrants utilisés par toutes sortes d’activités manufacturières ou artisanales, et ce de manière durable. Ce qui se répercute dans les prix de vente des produits.


L’alimentation, moteur de l’inflation

L’Insee donne d’ailleurs l’exemple des industries agroalimentaires qui ont vu le coût des « intrants » augmenter régulièrement depuis le 1er trimestre 2021, et plus particulièrement au cours des deux premiers trimestres 2022. Dans ce secteur, le pire s’est déroulé au cours des deuxième et troisième trimestre 2022, juste après le début de la guerre en Ukraine : à l’inflation des intrants, ce secteur industriel a rajouté un violent rattrapage de marge perdue pendant les mois de la crise Covid. Ce qui se traduit de manière très lisible depuis cette date dans la décomposition des facteurs de l’inflation. Fin 2022, l’augmentation des prix de production du secteur agro-alimentaire étaient toujours entraînée par ce couple « intrants plus marge », d’un niveau équivalent à la seule inflation des intrants en 2021.

évolution prix

Ces données permettent de poser des projections pour le milieu de cette année :
- L’inflation en Juin devrait atteindre 5,4% ; l’alimentation devrait y participer pour un peu moins de la moitié (2,5%), et l’énergie pourrait contribuer à la faire reculer (-0,2%).
- L’inflation dite « sous-jacente », c’est-à-dire hors tarifs publics et produits à prix volatils (énergies, certains produits alimentaires…) augmenterait pour atteindre environ 6,4%.
- Avec une estimation de croissance de +0,1% au premier trimestre et +0,2% au deuxième, l’acquis fin-Juin serait de 0,6% ; par comparaison, l’Allemagne ferait +0,1%, l’Italie, +0,7%, l’Espagne, +1,5% et le Royaume-Uni, -0,4%, en raison du Brexit, dixit l’Insee.

Le retentissement de cette crise est plus profond. L’Insee fournit quelques informations sur l’économie et le comportement des ménages qui intéressent tous les acteurs économiques, et le bâtiment en particulier.

En premier lieu, s’il a été relativement contenu en 2022, le pouvoir d’achat des ménages sera, en 2023, amputé d’environ -0,7%. En second lieu, après plusieurs mois de très forte inflation, les deux tiers des ménages déclarent changer leurs habitudes de consommation.
L’Insee analyse d’ailleurs ce changement de comportement de manière fine, en tenant de l’âge, du lieu de résidence et du niveau de vie des ménages.

De manière générale, les statisticiens indiquent que le rebond de consommation sera faible, que le niveau d’épargne va rester élevé – plus de 16% contre moins de 15% avant le Covid – et que les investissements en construction vont continuer de reculer.

Dans le détail, par effet d’augmentation des prix et en réponse à la demande de sobriété, 20% des ménages déclarent avoir beaucoup changé leurs habitudes de consommation, et 50%, les avoir changés « un peu ». Ces changements ont, en premier lieu, touché l’énergie pour le logement, l’alimentation, les déplacements, moins les vêtements.
L’effet est, il faut le reconnaître, très brutal. Pour les seules habitudes de consommation alimentaires, 40% des ménages déclarent consommer moins, 25%, diversifier les magasins, 25%, avoir changé de gamme de produits. Cela va mieux en le disant, ces changements d’habitudes de consommation touchent les ménages les plus jeunes, ceux des premiers « cinquièmes de niveau de vie » et avec enfant. En clair, ceux que la filière bâtiment compte parmi les primo-accédants …


Changer de méthode

Tout le monde fait le dos rond. Certes, les entreprises déclarent poursuivre leurs investissements à un rythme proche de celui de fin 2022, mais elles vont elle aussi changer de comportement pour s’adapter durablement à cette crise. Si en Novembre dernier, les réflexes conduisaient surtout augmenter les prix de vente et engager des investissements, les cinq types d’actions envisagées affichent des priorités légèrement différentes et plus équilibrées dans les réponses des industriels.

Elles sont, dans l’ordre :
- Ex æquo, augmenter les prix de ventes ; adapter les méthodes de production.
- Engager des investissements.
- Comprimer les marges.
- Mettre en place d’autres mesures.

Ce dernier item, pour flou qu’il peut paraître, dit en substance que les industriels sont bel et bien en attente de changements profonds de leur manière de travailler. Il faut aussi noter que l’engagement d’investissements a fortement reculé en passant de deuxième place fin 2022, à la troisième aujourd’hui. Cependant, l’analyse de ces réponses indique que l’on va d’abord faire avec.

Face à cette situation, comment la filière bâtiment va-t-elle trouver le chemin pour développer intelligemment ses activités.

Est-il possible de transposer les réactions des industriels – décrites plus haut – pour maintenir le niveau d’activité des entreprises ?
Si augmenter les prix de vente paraît difficile, le changement de méthode de production mérite peut-être d’être étudié ?
Travailler sur des solutions hors-site ?
Développer des offres de promotions immobilières semi-collectives – trois à cinq logements par unités de construction ?
Revoir radicalement la rénovation du bâti ancien en se référant à l’expérience des chantiers de cœur de ville ?

Ce volet est d’autant plus urgent que la crise économique va révéler plus fortement encore la crise du logement qui perdure depuis des années.


Référence 

Note de conjoncture de l’Insee du 15 Mars 2023 « La croissance résiste, l’inflation aussi »



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