Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
L’époque m’incite à vous souhaiter, chers et courageux lecteurs, une année 2019 pleine de projets et de bonnes surprises. Peut-être verrons-nous une année du sursaut citoyen, un sursaut suffisant pour que des décisions politiques soient dignes de la « situation ».
Il ne vous a pas échappé que celle-ci devient critique. N’est évoquée ici que de la situation climatique. Nous pouvons agir en tant que contribuable, électeur, consommateur, citoyen, mais également, en tant que professionnel, c'est-à-dire, en faisant en sorte que tout ce qui concerne le bâtiment contribue fortement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Cette première humeur du nouveau millésime tente de décrire schématiquement le présent afin de cerner pourquoi les hésitations s’apparentent de plus en plus à de l’irresponsabilité.
Une année 2019 charnière pour le bâtiment et l’environnement
1 - Un changement climatique qui s’accélère, des efforts qui décélèrent
La communauté scientifique spécialisée est à peu près unanime sur le fait que, plus nous attendons, et moins il sera possible d’atteindre les objectifs de maintenir l’augmentation de la température moyenne globale terrestre à moins de 2K d’ici 2100. Certains pensent qu’il est déjà trop tard.
Les faits sont en effet décourageants. Au niveau mondial, les émissions de gaz à effet de serre (Eges) ont augmenté de 2,7% en 2018 par rapport à 2017, année du précédent record ! (1)+(2). Ce triste constat est d’abord l’effet de l’augmentation de la consommation de charbon en Chine (+4.7%) et en Inde (+6.3%). Les USA ne sont pas en reste (+2.5%). A eux trois, ces pays représentent la moitié des émissions mondiales.
Depuis 1990, les émissions globales ont augmenté de 65%. Si les engagements de la COP21 n’étaient pas tenus pour 2030, nous serions sur une trajectoire qui donnerait +3.2K en 2100. Il faudrait alors, selon l’ONU, multiplier par 3 les efforts pour ne pas dépasser +2K et multiplier par 5 pour ne pas dépasser +1,5K en 2100 (3). Le pic des émissions n’est pas atteint. Il ne reste pourtant que 11 années pour réduire drastiquement les Eges : si en 2030, la diminution des Eges atteignaient -25%, nous serions revenus sur la trajectoire des +2K ; il faudrait cependant -50% pour répondre aux engagements de la COP 21, c'est-à-dire, pas plus de +1.5K.
Et la France, est-elle à la hauteur des enjeux ? Certains pensent que nous sommes exemplaires, grâce à notre parc nucléaire actuel (et futur !) et que, même avec nos conditions de vie très enviables, nous ne représentons que 1% des Eges globales (exemple – (4)). Voilà bien un argument fallacieux qui consiste à avancer que nous avons trouvé la solution et que tout le monde devrait nous copier. Et que ce n’est pas la peine de conspuer les décideurs politiques français alors que les chinois, les indiens, les américains, et bien d’autres, sont bien moins vertueux. L’argument « massue » des 1% oublie que notre population ne représente que 0.9% de la population mondiale. Ainsi, par tête d’habitant, nous sommes même au-dessus de la moyenne. Les chiffres sont têtus : la France est au 19ème rang mondial en Eges et au 20ème rang mondial en population. Avant de donner des leçons, nous avons beaucoup mieux à faire …
2 - La COP 24, ou « il est urgent de ne pas trop accélérer »
Ce qui s’est passé en Pologne à Katowice, du 2 au 14 Décembre 2018, est bien à l’image de ce que l’humanité est actuellement capable d’assumer pour préserver la planète.
Cette COP, très technique, devait définir les mécanismes concrets que chaque pays était prêt à mettre en œuvre pour concrétiser les accords de Paris de 2015 (COP 21). Et ce, sans contrainte. Chacun à sa vitesse, mais selon des engagements à préciser en 2020 et permettant de maintenir les Eges vers un objectif + 1,5K en 2100. Le dernier rapport du GIEC exprimait à nouveau l’extrême urgence à agir fortement. Sur les 196 délégations présentes, 4 pays n’ont pas « accueilli favorablement » le rapport, se contentant d’en « prendre note »…. Il s’agit de l’Arabie Saoudite, du Koweit, de la Russie et des Etats-Unis (5). No comment ….
Finalement, un compromis a été trouvé pour sauver la face. Miguel Aris Caneté, Commissaire européen à l’action climatique résumait ce compromis ainsi : « tout le monde en sort équitablement insatisfait » (6).
Il avait été annoncé que la montagne allait accoucher d’une souris. En fait, ce fut un souriceau.
Ainsi, les politiques nationales restent très en deçà des nécessités. Et à priori, elles resteront à court terme dans cette léthargie assassine.
Pourtant, beaucoup d’initiatives ont été enclenchées (3). Déjà 7 000 villes sur 133 pays et 245 régions, et 6 000 entreprises ont pris des engagements à la hauteur des enjeux et de l’urgence. Un bon début, mais qui ne concerne que 1/5 de la population mondiale.
3 - Face à l’enjeu climatique, sursautons, que diable !
Changement climatique et responsabilité des politiques
Beaucoup d’entre vous ont vu le documentaire « Demain ». Ceux qui n’ont pas eu cette expérience devraient la tester. Elle donne la « pêche » même si certains aspects de l’approche Colibri (« je fais ma part ») peuvent faire croire que les bisounours vont finir par gagner.
Dans son second documentaire « après-demain », Cyril Dion dresse un bilan honnête des expériences décrites précédemment et pose une question cruciale : comment changer d’échelle pour changer de modèle sociétal ?
La pétition « l’Affaire du siècle », lancée mi-Décembre 2018 est vraiment un évènement. Plus de 2 millions de signatures ont été recueillies à ce jour pour soutenir un recours en justice contre l’Etat français, coupable d’inaction face au changement climatique. Même si certains crient à l’injustice ((4) déjà cité), cette pétition montre qu’une lame de fond beaucoup plus large que prévue existe en France sur le changement climatique. Peut-être que les documentaires précités, … et le départ de Nicolas Hulot ont contribué à déclencher cet état d’esprit de plus en plus largement partagé.
Et si cette action pouvait être s’étendre à la Chine, à l’Inde, aux Etats-Unis, ... ?
Il faut retrousser ses manches sans être dupe de nos limites d’actions. Et s’en remettre à l’échelle minimale d’un Etat ou d’une région pour les questions d’infrastructures tout en gardant la main sur les actions locales, à l’échelle de nos jambes et de nos bras.
4 - C’est encourageant Mais, n’est-ce pas trop tard ?
Dans un de ses excellents billets, Stéphane Foucart (7) cite des études et des réflexions menées par des experts sur le changement climatique. Pour Stefan Aykut (Université de Hambourg), le seuil des 1.5K est déconnecté des réalités politiques et économiques du monde. Techniquement, ce serait encore possible, mais à condition d’appliquer une transition brutale et de la maintenir. Il pose une question dérangeante : quelle serait cette autorité mondiale capable de tenir ainsi l’économie planétaire, au moins jusqu’en 2050 … sans se soucier des prochaines élections ? En écartant pour des raisons évidentes un régime dictatorial, on peut néanmoins admettre que les démocraties de marché ne sont pas adaptées.
Stéphane Foucart rappelle qu’en France, la moindre mesure se heurte à de farouches oppositions. Les voies sur berges à Paris, ou la très injuste et malencontreuse annonce sur le diesel fin 2018 en sont l’illustration. « Imaginez », ajoute-t-il, « des mesures de réductions de consommation de viande ou du nombre de kilomètres en avion ! »
Dans un article du New-York Times Magazine paru en Août 2018, « Perdre la Terre – 1979-1989 », Nathaniel Rich cite le rapport Charney (MIT) commandité par l’administration Carter en 1979 qui concluait en substance : « Si le CO2 continue à s’accumuler, le groupe d’experts ne voit aucune raison de douter que des changements climatiques en résulteront ni aucune raison de penser qu’ils seront négligeables ».
Et pour rappeler l’inertie du phénomène, le rapport ajoutait : « Attendre pour voir avant d’agir signifie attendre qu’il soit trop tard ».
Ainsi, les américains savaient qu’il fallait agir dès 1979 pour limiter le changement climatique sans avoir à procéder à une planification mondiale et brutale de l’économie.
Non seulement, nous avons attendu « pour voir », et maintenant, c’est tout vu. Pourtant, même devant l’évidence, les gros intérêts court-termistes d’une extrême minorité freinent des quatre fers ! Jusqu’à présent, les scientifiques (sérieux) ont évité de dire qu’une part de la bataille est perdue, axant leurs discours sur les alertes et l’espoir.
Le sursaut est encore possible. Les adeptes des petits pas chloroforment les actions nécessaires avec des arguments soi-disant responsables et soi-disant réalistes.
Il y a des moments dans l’Histoire où il faut montrer un minimum de courage. L’économie qui doit porter la transition écologique est une économie de guerre.
Nous devons tous entrer en guerre contre le changement climatique. Il faut en 2019, déclarer la guerre au réchauffement de la planète et à tout ce qui l’engendre.
La réglementation environnementale 2020 à une échelle microscopique
A notre microscopique échelle, la RE 2020 doit être à la hauteur des enjeux et de l’urgence. C’est en 2019 que seront établies les exigences. Gageons qu’elles ne seront pas définies par les sempiternelles contraintes financières d’un monde installé dans le déni.
Evidemment, nous reviendrons sur ce sujet …
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
(1) « Forte hausse des émissions mondiales de CO2 » - Le Monde - 7 Décembre 2018 - Audrey Garric, Pierre Le Hir
(2) « Climat : après une pause de 3 ans, les rejets de CO2 sont repartis de plus belle » - Les Echos - 6 Décembre 2018 - Marjorie Cessac
(3) « Climat : les Etats doivent tripler leurs efforts » - Le Monde - 29 Novembre 2018 - Audrey Garric, Pierre Le Hir
(4) « Attaquer la France en justice est idiot et inopérant (à propos de la pétition « L’affaire du siècle ») » - Le Monde - 30 et 31 Décembre 2018 - Marc Fontecave, professeur au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences
(5) « Climat : les pays pétroliers sur le frein » - Le Monde - 12 Décembre 2018 - Audrey Garric
(6) « Climat : un petit pas de plus, à défaut d’un grand bon » - Libération - 17 Décembre 2018 - Aude Massiot
(7) « C’était quand la dernière chance ? » - Le Monde – 14 et 15 Octobre 2018 - Stéphane Foucart
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers