Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 30 Juin 2021
Il n’échappe à aucun acteur du bâtiment et de la ville que la décennie à venir s’annonce comme celle de la fin des énergies fossiles. Le 20ème siècle qui a réellement commencé en 1914 va peut-être se terminer en 2030. Le charbon dominateur du 19ème siècle aura cédé sa place progressivement au pétrole et au gaz. La guerre des énergies fossiles va peut-être voir son terme dans 10 ans et nous entrerons alors de plain-pied dans le siècle de l’électricité la moins carbonée possible … produite principalement par des EnR. Et peut-être aussi celui de la fin du gâchis et du début de l’équité.
Dorénavant, impossible de construire ou de rénover des bâtiments sans y penser !
Réduction des investissement des « Big-Oil »
L’air du temps, les « Big-Oil » réduisent les investissements
Depuis plusieurs années, la fin du pétrole a été annoncée et de nombreux experts avaient prédit que les réserves pétrolières et de gaz déjà connues verraient leurs valeurs s’effondrer. Il n’en a rien été et la spéculation sur l’or noir va encore bon train. Le sous-sol de l’arctique fait même aujourd’hui l’objet de convoitises et de tensions internationales aussi anachroniques que féroces.
Aurait-on enterré trop vite les énergies fossiles ?
Pour s’en convaincre, deux chiffres : entre Janvier 2020 et Mars 2021, les aides au développement des énergies fossiles ont atteint 189 milliards $ contre 147 milliards $ pour les énergies renouvelables (1).
Cependant, les pétroliers ont perdu de leur superbe. Exxon, entreprise n°1 mondiale pendant des décennies est aujourd’hui au-delà du trentième rang, et ce n’est pas seulement du fait de l’invasion du numérique et des GAFAM. A Wall Street, en 2020, Exxon valait 7 fois moins que Apple ou Microsoft (2).
Les cinq premières compagnies pétrolières affichent une dette globale de 77 milliards $ en 2020 alors que l’année précédente, leurs profits s’élevaient encore à 49 milliards $ (3). Cette mauvaise santé est due à la crise sanitaire qui a provoqué une baisse de 9% des consommations et aux désaccords au sein de l’OPEP qui a provoqué une guerre des prix et un effondrement des cours du baril. La reprise est chaotique et les perspectives ont contraint ces « Big-Oil » à réduire les investissements, à vendre des actifs et à licencier du personnel.
Est-ce conjoncturel ou bien, est-ce le signe d’un profond changement ?
Un virage « historique » vers la neutralité carbone en 2050
Après le départ de Trump, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a pu sortir un rapport le 26 Mai 2021 décrivant une possible trajectoire pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (1). Cette institution, pourtant assez dubitative sur les EnR depuis 20 ans, est en pleine mutation peut-être parce que ses deux principaux contributeurs (USA, Japon) se sont engagés à décarboner leur économie.
Pour atteindre cet objectif, elle prône l’arrêt immédiat des investissements dans de nouvelles installations pétrolières, formalise un scénario dans lequel 90% de l’électricité seront d’origine renouvelable, où la vente de chaudières fioul ou gaz sera interdite, où la voiture à moteur thermique sera proscrite, où un fort développement de lignes ferroviaires à grande vitesse s’accompagnera d’une réduction des vols aériens.
Bref, une révolution culturelle pour l’AIE dont le rapport semble avoir influencé le dernier sommet du G7 (11-13/06/2021) : il a été pris un engagement de ne plus financer les centrales au charbon. Il était temps ! Quant au pétrole, on verra plus tard ...
Les principaux pays exportateurs et certains pays d’Asie ont balayé d’une main le scénario de l’AIE, le qualifiant de chimérique en rappelant que la part mondiale des consommations des énergies fossiles en 2020 est identique à celle de 2009.
Les « Big-Oil » restent également sourds aux positions gouvernementales, aux médias, aux écologistes. Seul compte l’avis des actionnaires.
Pour les « Big-Oil » une mini-révolution intérieure et des pressions extérieures naissantes
Il se passe de curieuses choses au sein des conseils d’administration des compagnies pétrolières. Certains gros fonds de pensions, gestionnaires d’actifs et fonds souverains deviennent anxieux et visent à décarboner leurs portefeuilles (4). Déjà en 2016, la famille Rockeffeler a vendu toutes ses actions Exxon-Mobil, entreprise accusée de se contenter de verdir ses activités et de rester dans le négationnisme climatique.
L’angoisse et la grogne gagne du terrain, notamment chez un groupe d’actionnaires (Follow This) très critiques à l’égard des directions lors des récentes AG de Shell, BP, Equinor, ConocoPhillips. Une coalition d’actionnaires représentant 44 milliards $ d’actifs reconnaît que 159 entreprises sur 167 ont pris des engagements insuffisants pour respecter les accords de Paris (COP 21 en 2015).
Chez Exxon, la fronde est visible. La direction est malmenée par une part croissante d’actionnaires enjoignant les décideurs à lutter contre le réchauffement climatique.
Chez ConocoPhillips, 58% des actionnaires ont obtenu en mai la fixation d’un objectif de baisse de CO2. Mais ils ne sont encore que 20% chez BP pour aller dans le même sens.
Par ailleurs, le 26 Mai, la justice néerlandaise a contraint Shell à s’aligner sur les accords de la COP 21 en demandant une modification de sa trajectoire vers la neutralité carbone en 2050 :
-45% de CO2 dès 2030 par rapport à 2019 au lieu de -20% par rapport à 2016 et -45% en 2035 (5).
Mais le monde du pétrole reste encore très inerte. Un sondage réalisé près de 64 fonds gérant 1 1000 milliards$ d’actifs indique que seulement 17% jugent capables les compagnies à évoluer et que 62% des investisseurs leur demandent de privilégier les hydrocarbures plutôt que les EnR (4). Quand BP a annoncé sa stratégie « 0 carbone », son action a dégringolé !
Et quand est-il de notre pétrolier national qui émarge fiscalement dans certains paradis ? Total est moins caricatural que ses concurrents anglo-saxons …ou plus réactif aux nouvelles contraintes imposées aux pétroliers. Total est bipolaire. Comme l’évoque Jean-Michel Bezat (4), le « Total vert » va planter 40 000 ha de forêts en République Démocratique du Congo, soit 10 millions de tonnes de CO2 stockés sur 20 ans. Mais à 2000 km de là, « Total noir » vise un énorme projet pétrolier au bord du lac d’Albert où seront pompés 230 000 barils/jour et jusqu’à 3 à 4 millions de barils/jour en 2030.
Onze investisseurs représentant 1/6 des actions de Total demandaient en 2020 à ce que ses activités entrent en adéquation avec les objectifs de la COP 21. Du point de vue de la com, c’est réussi : Total devient TotalEnergies et s’affiche le 2ème bon élève européen (derrière l’italien ENI), bien plus vertueux que les BP, Shell ou concurrents américains, tout en affirmant qu’il n’y aura aucune baisse de la production avant 2030. Au jeu des couleurs, quand on mélange du vert et du noir, il en ressort du noir …
Retour à la case départ en France avec une stratégie bas-carbone bien marquée
10 ans pour que le bâtiment sortent des énergies fossiles, voilà le calendrier assigné par nos décideurs politiques pour nous conformer à la Stratégie Nationale Bas Carbone.
En construction, le fioul est déjà ringardisé, le gaz le sera dès 2024 en immeuble collectif par le levier de la RE 2020. Cette nouvelle réglementation sera critiquée, comme d’habitude, sur la forme et le fond, sûrement à juste titre après quelques mois ou années d’application. Mais cette critique doit rester constructive. Dans le paysage européen, la France est en avance sur les exigences bas-carbone appliquées aux bâtiments neufs.
Ces exigences s’étendront à terme à l’énorme levier que représente la rénovation énergétique et environnementale du parc existant.
Au regard des objectifs à atteindre quoiqu’il arrive, notre devoir professionnel, c’est d’entrer franchement dans cette nouvelle démarche bas-carbone, aussi anxiogène que passionnante.
Passez un bon été, le moins caniculaire possible.
- « Neutralité carbone : le virage « historique » de l’AIE » - Le Monde - 20 et 21 Juin 2021 - Perrine Mouterde
- « Bourse et pétrole, la fin d’une idylle » - Le Monde - 16 Juin 2020 - Jean-Michel Bezat
- « 2020, année noire pour les géants du pétrole » - Le Monde – 11 Février 2021 - Nabil Wakim
- « Pétrole : le jeu ambigu des investisseurs » - Le Monde - 18 Mai 2021 - Jean-Michel Bezat
- « Shell et Exxon sommés d’en faire plus sur le climat » - Le Monde – 28 Mai 2021 - Arnaud Leparmentier et Jean-Pierre Stroobants
- « Total face aux hyper activistes du climat » - Le Monde - 29 Mai 2021 - Jean-Michel Bezat et Véronique Chocron
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers