Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 02 Décembre 2020
Rappelez-vous. Il y a juste un an, nous étions encore en période « normale ». Le politique donnait matière aux pires populistes en prônant une mondialisation heureuse. Le fantasme du ruissellement était distillé à haute dose. En Europe, le remboursement de la dette affiché comme priorité évidente était le leitmotiv pour pouvoir continuer à emprunter. La gestion visait l’optimal, l’efficace, en prônant des soi-disant économies. En France, pour y parvenir, on n’a pas trouvé mieux que de démanteler progressivement et inéluctablement le service public et une partie de son palliatif, le monde associatif, tout en taxant sans discernement. Résultat : L’infirmière, l’instituteur, le policier, le postier, le « gilet jaune », … se sont encore plus paupérisés. Cette stratégie « en même temps » très libérale et très jacobine n’était pourtant pas la seule voie possible. Pour s’en convaincre, il suffisait d’observer certains de nos voisins comme par exemple, l’Allemagne, les pays nordiques, l’Autriche, le Portugal, … Des politiques de prévention ont été balayées. L’ordre règne : les marchés tendaient comme d’habitude au renforcement de la concentration des profits.
L’année 2020, une année fantastique, une année à fables …
Et puis, la Covid 19 est arrivée de Chine sur la pointe de ses petits pieds et toute cette « normalité » est partie en éclat ! Nombreux sont ceux qui pensent que la pandémie a ébranlé beaucoup des schémas qui structuraient les sociétés.
Nous ne sommes plus dans l’« avant », pas encore dans l’« après », mais en plein « pendant » !
Imaginons un patient tombé dans un coma profond en Novembre 2019 et qui se réveille aujourd’hui. Quelqu’un lui raconte 2020. Il pensera que le narrateur affabule !
Il faudrait un La Fontaine ou un Esope des temps modernes pour transcrire ces fables et en tirer des adages à méditer. Je n’ai malheureusement aucun talent pour ça. Tout juste ai-je tenté de décortiquer quelques thèmes qui pourraient servir de support à des fables.
Le vrai et le faux
Les réseaux sociaux magnifient l’anonymat avec des audiences d’une ampleur inédite dans l’histoire humaine. Répandre n’importe quoi peut tomber dans un nombre incalculable d’oreilles.
Entre le vrai avéré, factuel, vérifié ou démontré et la pire bêtise, la plus vulgaire calomnie ou le mensonge éhonté, calculé et cynique, la frontière est tombée dans un flou progressif, partiel, partial, relatif. Le no man’s land qui séparait le savoir, base de la connaissance permettant de l’étoffer et de l’approfondir, et le tsunami d’informations totalement ou partiellement fantaisistes, tend à disparaître.
Les complotistes de tous bords répandent leurs insinuations en mélangeant de pures inventions ou des assertions sans sources, efficaces parce que simplistes et quelques vérités partielles ou de vraies questions sans réponse. Cette agglomération leur permet d’asseoir des « théories » cultivant la croyance, l’émotion, le déni, qui suffisent et comblent tout. Trop nombreux sont ceux qui abandonnent tout discernement et trouvent des explications à leur délire victimaire autocentré, à leur ressentiment. Il faut lire ou écouter la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury (1) dont la réflexion est très éclairante sur ces mécanismes.
Certains extrémistes religieux se nourrissent de cette théorie. Dès lors, le symptôme ultime de ces dérives peut aboutir au meurtre rituel. Samuel Patty en est un dramatique exemple.
La barbarie est toujours là. Les Droits Universels de l’Homme, les Lumières, la Laïcité, sont des concepts encore et malheureusement peu partagés, voire remis en cause. Rien n’est acquis, nulle part.
En politique, le vrai et le faux continuent toujours à faire bon ménage, à l’image de certains dirigeants, au Brésil, en Hongrie, en Pologne, en Russie, en Chine, aux Etats-Unis, au Royaume Unis, en Turquie, en Inde, en Israël, dans toute la péninsule arabique, ... et dans une moindre mesure, mais quand même (!) en France. La crise sanitaire nous a réservé quelques perles (les masques et les respirateurs, le long silence concernant de nombreux EPAD) sur lesquelles je ne m’étalerai pas. Elle a sapé encore un peu plus la confiance entre les français et leurs édiles. La suspicion, le sentiment d’insécurité (les derniers sondages montrent qu’il est le premier sujet de préoccupation des français) contribue à mettre à mal la démocratie.
La science est aussi sujette au doute puisqu’elle n’apporte pas rapidement des réponses et des certitudes à la crise sanitaire et qu’elle se met en scène sur les plateaux télé à coups d’invectives entre gourous ou réels médecins.
Quant à l’économie, elle s’est bien affichée comme une non-science après le renversement des doxas sur la dette, sur les moyens financiers pour appliquer une politique, sur la croissance. Ce qui était « vrai » hier ne l’est plus un an plus tard. Devant une aide-soignante, Emmanuel Macron déclara en Avril 2018 : « il n’y a pas d’argent magique ». En Mars 2020, il annonça un plan massif d’investissements et de revalorisation des carrières du secteur de la Santé … quel qu’en soit le coût…(2).
Donnerons-nous du temps et des moyens, et aurons-nous la volonté d’observer la clarification de l’émulsion entre le vrai et le faux ? Question ancestrale et permanente, et d’autant plus difficile à traiter dans un monde accéléré. Pourtant, ce travail doit perdurer et être approfondi collectivement, socialement. L’exemple le plus connu est encourageant : Wikipédia, production collective et collectivement autocontrôlée, est un service gratuit, c’est-à-dire affranchi de toute pression commerciale ou idéologique, où les informations sont hiérarchisées par rapport au sérieux de leurs sources (il est demandé qu’elles soient vérifiables).
L’essentiel et le futile
Si le futile n’existait pas, comment pourrions définir l’essentiel ? Cette boutade cache aussi une frontière trop difficile à justifier. La subjectivité règne en maîtresse.
Une précédente humeur a déjà abordé ce thème en évoquant la « sobriété » dans les bâtiments. Premier objectif de la démarche Négawatt pour viser des bâtiments vertueux, la sobriété n’est pas un sujet consensuel. Elle pourrait se résumer par un comportement des usagers qui se satisferaient de l’essentiel, du nécessaire, du primordial, du vital, … Finies les actions inutiles et énergivores ! Finies les attitudes consuméristes !
Jusque-là, on ne peut qu’approuver. Mais nous ne sommes pas que des corps qui ont besoin de calories, d’exercices ou d’efforts méritant un revenu ou non. Nous sommes aussi dotés d’un psychisme, d’une mémoire de nos expériences, de nos histoires individuelles ou collectives. Nous imaginons, nous délirons, nous rêvons, bref, nous pensons éveillés ou endormis. Le rationnel n’exclue pas l’irrationnel. Le « payant » n’a de valeur qu’à l’aune de la gratuité. L’inutilité est essentielle … Alors, fini le futile ?
La frugalité peut ne pas être austère, malheureuse ou triste … Au contraire même comme le propose l’ICEB (3)
Il faut se méfier des définisseurs des besoins. Ils confondent leurs propositions ou leurs injonctions aux attentes, aux aspirations.
C’est ainsi qu’un premier ministre a décrété ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. Difficile exercice qui s’est concrétisé par la fermeture des lieux et commerces liés à la culture, au non-essentiel, aux lieux de rencontres. La nourriture, c’est essentiel, aller au travail quand on ne peut pas faire autrement, c’est essentiel, même si les règles de distanciation physique ne peuvent pas être respectées. Les petits commerces non alimentaires ont trinqué alors qu’ils appliquaient bien ces mêmes règles lors du premier confinement et qu’elles auraient a fortiori été encore mieux appliquées durant le second (deuxième ?) confinement. Les clusters étaient ailleurs.
Il fallait trancher entre la santé publique, la sécurité sanitaire et l’économie, l’emploi. Cela fut fait … mais le curseur entre l’essentiel et le futile a été mal placé parce que la question a été tranchée par le haut, quelque part dans un cabinet ministériel.
Il paraît que le vendredi noir (« black-Friday » in French) va très prochainement devenir essentiel … !!! Qu’en sera-t-il du risque d’apparition de nouveaux clusters ?
Confinements : jamais deux sans trois ?
Beaucoup s’accordent à constater que le premier confinement aura été un beau ratage en France. La deuxième vague pourtant largement annoncée après le premier pic de la pandémie n’a pas été un sujet digne d’une politique de prévention et de préparation. Les lieux de rencontres autorisés (cafés, restaurants, plages) et des initiatives festives privées durant l’été 2020 auront été catastrophiques. La terrasse de café aura été le lieu où le masque était proscrit … puisque les clients consommaient. Il suffisait d’observer qu’aucun portait un masque, que les distances entre les tables se sont réduites à peau de chagrin (il fallait bien rattraper le chiffre d’affaires 2020 mal parti) et que très souvent, un client sur quatre consommait pendant que les autres discutaient ou avaient terminé ou n’avaient pas encore été servis. La terrasse est devenue un lieu de tolérance irresponsable. Pas question ici de juger. Beaucoup d’autres rencontres ont eu lieu en famille, entre amis, … Mais les conséquences étaient prévisibles : reconfinement et les personnels hospitaliers au bord de la rupture en Octobre. Leurs témoignages sont accablants. Seront-ils enfin entendus ? Le « Ségur » a été organisé pour désamorcer l’hypertension sociale du secteur de la santé. Il n’est que partiellement appliqué alors que les accords trouvés ne répondaient qu’à l’urgence mais pas profondément aux problèmes structurels.
Noël arrive. Les petits commerces font pression pour ne pas disparaître. Le vendredi noir (invention américaine récemment importée en France) s’institutionnalise. Les générations scolaires soufrent réellement et n’aspirent qu’à retrouver leurs habitudes. Les vaccins sont annoncés. La reprise de certaines activités signifie la réduction d’un chômage partiel ou total.
Les ingrédients sont là pour rater à nouveau le déconfinement. Toutes ces attentes sont légitimes, mais il ne faudrait pas générer de nouveaux clusters. Cette évidence était tout aussi évidente dès le mois de Mai … On connait la suite. Israël prépare déjà son 3ème confinement. La vaccination sera rapide mais pas générale. 43% des français sont contre la vaccination (4). Nous sommes les plus réticents en Europe.
Alors ? Jamais deux sans trois ?
Postface
Si vous êtes parvenu à ce stade de lecture, vous aurez constaté que cette dernière humeur 2020 était bien générale et éloignée de nos sujets professionnels de prédilection. J’espère néanmoins que ces quelques lignes, bien qu’aucunement originales, provoqueront vos propres réflexions sur la situation.
Et surtout, j’espère vous retrouver en Janvier 2021, en pleine santé pour de nouveaux rendez-vous mensuels.
Bon enterrement de cette terrible année 2020 !
- Voir par exemple l’émission « 28 minutes » sur la chaîne ARTE - 19 Octobre 2020
- « Le temps de la magie » - Le Monde - 29 et 30 Mars 2020 - Stéphane Foucart
- ICEB : Institut pour la Conception Eco-responsable du Bâti
- Selon une récente enquête de la Fondation Jean-Jaurès
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers