Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 28 Mai 2021
Derrière ce titre facile se dévoile sans peine la question de la mobilité, sujet aussi complexe que primordial. Cette « humeur » s’est déjà attachée à aborder certains aspects sur ce sujet (1) (2) (3). Il paraît encore utile d’y revenir.
La RE2020 s’appliquera à partir de 2022, année qui verra aussi probablement l’avènement d’un label basse énergie-bas carbone. Ce label visera à inciter tous les acteurs de la construction qui souhaitent dépasser les exigences réglementaires. Le Plan Bâtiment Durable, missionné pour formuler les premières pistes sur son contenu et sa forme, interroge le monde du bâtiment. Parmi les nouveaux sujets pressentis (QAI, biodiversité, …) figure justement la mobilité dont beaucoup n’ont encore aucune idée précise sur ses impacts dans les bilans énergie et carbone et sur la QAI ou l’acoustique.
Par ailleurs, la crise sanitaire que nous traversons a engendré l’accélération du développement du télétravail ou de la consommation de biens via des plateformes de distribution. La mobilité s’en est modifiée, probablement pour longtemps.
Démocratisation et massification de la mobilité
La liberté de se déplacer est un droit fondamental. Pourtant, l’Histoire montre que cette liberté a toujours été un enjeu de pouvoir. Empêcher le déplacement aura été et reste toujours un moyen privilégié d’exercice de pouvoir et de coercition sur l’individu. Néanmoins, les dictatures se sont adaptées, en offrant seulement à ceux qui ne les dérangent pas, les moyens techniques pour se déplacer plus vite et plus loin, singeant ainsi les démocraties qui ont cultivé et offert à chaque individu, les possibilités d’aller et de venir où il veut, quand il veut … pas toujours comme il veut.
L’avènement de l’ère industrielle a transformé les moyens de la mobilité pour des raisons économiques : développement du transport des marchandises et de la main d’œuvre et création du tourisme de masse.
Ainsi, la mobilité a contribué fortement à l’accumulation de gaz à effet de serre depuis deux siècles et tout le monde s’accorde à dire qu’il faut traiter drastiquement ce sujet pour lutter efficacement contre le changement climatique.
La domination du pétrole-roi a marqué profondément tous les moyens techniques de la mobilité. Pourtant, de nombreuses villes des pays dominants du début du 20ème siècle ont vu fleurir des transports en commun électriques. La vitesse de 100 km/h a été atteinte à cette époque pour la première fois par une voiture électrique.
Mais les pétroliers ont gagné la partie et grâce à certains industriels comme Ford par exemple, la voiture individuelle à essence aura envahi la planète. L’automobile est devenue le symbole d’une liberté de se mouvoir sans limite, un marqueur social, une seconde peau …
La voiture individuelle continue a redessiné la ville sur les 5 continents, comme par exemple, Pékin transformée en caricature du modèle dominant américain.
Les conséquences de l’usage massif de la voiture individuelle en site urbain sont bien connues (Cf. (2), (3), (7)).
Il en est de même des voyages aériens qui se sont massifiés plus tardivement et qui possèdent un potentiel énorme de croissance. La part des usagers de l’avion étant encore minoritaire, le poids carbone n’est pas encore prépondérant. Mais le carbone émis par chaque passager indique clairement qu’il ne faudrait en aucun cas que l’aviation civile telle qu’elle existe continue à se développer. Il faudra impérativement améliorer le bilan carbone du km parcouru par un avion et ringardiser le tourisme de masse. Vaste programme !
Revenons à la sacrosainte « tuture », objet en prise directe avec le bâtiment.
Une ville sans voiture individuelle ?
Le premier confinement en 2020 a changé notre regard sur les centres villes. Un des rares points positifs de la crise sanitaire aura été de nous laisser apprécier une ville sans voiture.
En Europe, des politiques de centre-ville sans voiture, ou avec moins de voitures, ont été expérimentées depuis quelques décennies (Bologne, Londres, Bruxelles, Barcelone, Oslo, …).
On peut citer l’exemple plus récent et très spectaculaire de Copenhague qui s’est fixé l’objectif d’atteindre 50% des déplacements professionnels à vélo d’ici 2025 (4). En 2018, la capitale danoise affichait déjà 49% du total des déplacements à vélo, 18% en transports publics, 27% en voiture et 6% à pied. En comparaison, les déplacements à vélo à Paris ne représentaient que 4% et ne dépassait pas les 12% à 15% dans les villes les plus avancées (Bordeaux, Grenoble ou Strasbourg). Le vélo transforme Copenhague tout comme le musée Guggenheim à Bilbao a transformé cette ville industrielle sans attrait en un pôle de premier plan en Espagne.
En site urbain, outre les accidents, le bruit et surtout les émissions de tous genres, CO2, NOx, particules …, l’invasion de l’espace public par des petites caisses à roulettes souvent occupées par une seule personne, est une nuisance qu’on accepte par habitude. A Paris en 2016, 13% des déplacements occupaient 50% de l’espace public !
Pontevedra (Espagne) avant /après - (Source Médias –Détours)
Cela dit, il ne faut pas tomber dans la caricature : des bobos à vélo vivant et travaillant en centre-ville sans voiture, et les « derniers de cordées » repoussés en périphéries condamnés à venir en ville avec leurs diesels taxés pour faire le ménage, ramasser les ordures, etc …Cependant, derrière ce schématisme se cache mal une réelle question qui mériterait un trop long développement.
Référons-nous juste à Jean Coldéfy, spécialiste de la mobilité, qui rappelle que les « zones zéro émission » décidées par certains politiques sont en réalité bien moins efficaces que leur affichage et renforce la fracture territoriale entre la ville et ses périphéries (5) et (6) : s’il est vrai que les 2/3 des voitures circulant roulent au diésel ou ont de plus de 10 ans, les mesures de Citépa et AirParif indiquent néanmoins que l’air n’a jamais été d’aussi bonne qualité en centre-ville et que la concentration en NOx et en particules a été divisé par 3 en 30 ans. Cela dit, les niveaux étaient devenus dangereux ! Selon lui, la voiture émet 25% du NOx et 10% des particules fines, contre 50% du total pour les camions et le chauffage des bâtiments, démontrant ainsi que la voiture électrique présentée comme le substitut écologique à la voiture classique ne règlerait pas grand-chose, et ce, sans même évoquer la nature de production de l’électricité et des batteries.
En revanche, doubler a minima les capacités actuelles de mobilités collectives entre les villes et leurs périphéries serait une réponse efficace pour une politique de mobilité conforme au développement durable (DD) puisque cette action aurait des répercussions positives sur l’environnement et sur le social.
Pour la troisième sphère du DD, l’économie, Jean Coldéfy préconise un financement s’appuyant sur un péage d’accès au centre-ville que tout le monde pourrait se payer, 1 à 2 €/jour comme cela existe depuis 30 ans dans les pays scandinaves (contrairement à Londres qui pratique toujours des tarifs « tatchériens »). Selon Esther Duflo, prix Nobel d’économie, « la mobilité est l’un des principaux moyens d’égalisation des niveaux de vie entre territoires ».
Des entreprises sans voitures ?
Le km le moins carboné est celui qui est évité ou parcouru à pied ou à vélo. S’affranchir des déplacements non nécessaires est une expérience toujours en cours car la crise sanitaire n’est pas terminée, et à court ou moyen terme, de nombreuses entreprises se seront déjà adaptées pour une autre organisation du travail.
Si le télétravail présente des avantages certains pour l’entreprise (moins de surfaces de bureaux, plus de disponibilités des salariés, plus de contrôles, plus de productivité et donc de rentabilité…), il en présente également pour les salariés (moins de temps perdu en transports et donc, a priori moins de fatigue, plus de souplesse dans les activités).
Mais les inconvénients du télétravail ne doivent pas être poussés sous le tapis :
- Augmentation des consommations électriques liées aux communications et aux systèmes de stockage de données, d’où un bilan carbone largement discutable.
- Rythmes et temps de travail moins encadrés, d’où une augmentation de la pression, du stress.
- Suppression des frontières spatiale et temporelle entre vie professionnelle et vie privée.
- Appauvrissement des rapports humains et finalement de l’esprit d’entreprise, d’émulation et de solidarité entre salariés.
(Source : Vecteesy)
Actuellement, 3 français sur 4 utilisent leurs voitures pour aller travailler, selon des chercheurs sur la mobilité (7).
Quelle que soit la place laissée au télétravail, les entreprises influenceront fortement l’évolution du marché de la voiture individuelle puisqu’elles achètent une voiture neuve sur deux vendues ! Dès lors, il est légitime de se poser la question de l’entreprise sans voiture, surtout que la mobilité représente aujourd’hui 50% de ses émissions de CO2.
Outre le télétravail, d’autres leviers se mettent en place comme par exemple des échanges de postes de travail entre entreprises afin de rapprocher les distances domicile/lieu de travail des salariés (« Troctonjob »), ou encore des incitations à utiliser d’autres mobilités (voitures partagées, vélos ou autre mobilités douces). 60% des déplacements en France sont inférieurs à 9 km, soit environ ½ heure à vélo. Pourtant, plus d’un tiers de ces parcours s’effectuent en voiture individuelle, signifiant ainsi que 20% des déplacements domicile/travail inférieurs à 9 km se font seul dans sa voiture !
Mobilité et Développement Durable
La mobilité, sujet central de réflexion pour lutter contre le changement climatique, implique un très grand nombre d’acteurs selon des imbrications complexes : Pouvoirs Publics et collectivités territoriales, financeurs, aménageurs, maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, citoyens, entreprises.
Une liste décourageante … Pourtant, les nombreuses expériences réalisées ou en projet démontrent que ces imbrications sont collectivement gérables.
Le futur label qui s’appuiera sur la RE2020 se doit a minima de traiter le sujet, même si dans un premier temps, il devra se contenter d’imposer juste un affichage du bilan d’écomobilité d’un projet sans contrainte sur le résultat, à l’instar du label Bepos-Effinergie depuis 2013.
Il faut demander avec insistance l’actualisation de l’outil utilisé (8) afin que tous les acteurs concernés puissent très rapidement et très facilement obtenir des ordres de grandeurs des impacts énergétiques et environnementaux liés à la mobilité. Elle sera d’autant mieux intégrée dans les programmes et dans les projets.
- « En marche … vers la mobilité vertueuse » - Humeur de Sesolis – Xpair - Juin 2017
- « Faudra-t-il que la ville future et « supportable » supporte la voiture … électrique ? » - Humeur de Sesolis - Xpair - Octobre 2018
- « Mobilité vertueuse ? Pour l’instant, la dernière roue du carrosse ! » - Humeur de Sesolis - Xpair - Septembre 2020
- « Comment le vélo redessine la ville » - Le Monde Diplomatique - Philippe Descamps - Février 2020
- « Supprimer la voiture, c’est allier cynisme et simplisme » - Le Monde - Jean Coldéfy (directeur du programme mobilité 3.0 d’ATEC-ITS France) - 9 Octobre 2019
- « Le moteur de la gentrification des centres villes » - Le Monde - Jean Coldéfy - 14 et 15 Février 2021
- « Les entreprises doivent se préparer à vivre sans voiture » - Le Monde - Tom Dubois, Christophe Gay, Sylvie Landriève - 14 et 15 Février 2021
- www.effinergie-ecomobilite.fr
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers