Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 15 Juin 2020
Un joli « moi » de mai masqué
Depuis l’annonce le 28 Mai de la 2ème étape du plan de déconfinement, de nombreux masques sont tombés, les réels comme les imagés.
Depuis, fini le Paris de Juillet sous le chant des oiseaux (pas de scooters, pas de voitures) avec un air respirable … Serait-ce le Paris en 2050, sans les parcs ? Depuis, c’est un retour à la « normale » avec les embouteillages, le bruit (sauf à 20H où tout le monde dîne en n’applaudissant plus les « héros » d’hier), l’air irrespirable et en prime, les masques usagés par terre,… même dans les parcs. A devenir misanthrope en faisant oublier tous les bénévoles de la solidarité ! A regretter presque la période de confinement !
Bien entendu, pour ceux qui ne sont pas touchés de près ou de loin par un décès ou un lent et pénible retour à un état de santé antérieur à la pandémie, il faut tourner la page rapidement, retrouver les habitudes, du moins, celles permises. Serait-ce une parenthèse qui se ferme ou bien le début de nouvelles manières de travailler, de se déplacer, de se divertir, d’apprendre, d’aider, et un début qui se profile sur la manière de s’alimenter, de se vêtir, bref de consommer ?
Voici le temps où une majorité d’individus pensent qu’un « après Covid 19 » commence, avec certaines ruptures avec l’avant, et que la fameuse parenthèse n’existe pas puisqu’elle ne pourrait pas se refermer. La crise sanitaire n’est pas terminée et les crises économiques et sociales qui en découlent et déboulent, vont en s’amplifiant, particulièrement en France.
Voici un temps où la crise environnementale, largement admise, pourrait pourtant passer au second plan des urgences.
Voici un temps où bien malins sont ceux qui ont une vision claire sur le proche avenir, ici ou ailleurs.
Nous allons devoir maintenir la distanciation physique dans les lieux clos, là où nous sommes souvent présents et continuer à y porter le masque, véritable symbole de nos échecs. Comme le souligne Frédéric Worms (1), « ce masque nous rappellera, non pas notre vulnérabilité, mais la persistance des maladies, non pas seulement les miracles des soins, mais ses limites, et non pas seulement nos solidarités, mais nos manques et nos injustices ».
L’incertitude s’est installée pour longtemps. Le moyen et long terme, échelles du temps du bâti et de la ville, s’accommodent particulièrement mal dans un tel contexte.
Nous sommes collectivement obligés à réfléchir vite et bien.
Nouvelles donnes pour construire ou rénover les bâtiments
La crise Covid et la réflexion complexe de l’après
Et adapter les villes avec la composante sanitaire ?
Beaucoup d’idées et de propositions circulent sur ce qu’a révélé la crise sanitaire. Rien de neuf cependant. Seulement une mise en lumière de ce qui était déjà connu et la (re)découverte qu’il nous faut vivre avec les virus.
Le monde du bâtiment n’est pas en reste dans les questionnements sur le télétravail, sur la sûreté sanitaire, sur l’organisation des espaces intérieurs et extérieurs afin de se préparer à la prochaine pandémie :
. Si besoin, comment réinstaurer facilement et de manière provisoire la distanciation physique ?
. Comment revisiter la question de l’usage selon une obligation de confinement ?
. Comment faire évoluer la ville avec une contrainte sanitaire explicite tout en répondant aux exigences du changement climatique, avec le souci des îlots de chaleur urbain en milieu dense et de la mobilité en tissu moins dense.
Cette suite non exhaustive de questions donne une idée de la complexité des problèmes à traiter, difficulté doublée par l’urgence à les résoudre.
Deux dangers nous guettent : la précipitation et le schématisme
Pour les éviter, il faut revisiter les fondamentaux.
Par exemple, à propos des espaces de travail, certains, comme l’architecte Eric de Thoisy, s’interrogent à juste titre sur la remise en cause de la distinction entre espaces privés et espaces sociaux avec l’explosion du télétravail qui s’est substitué à l’open space (2). Ce dernier rappelle en outre que « l’architecture n’est pas un art de la séparation, mais du rassemblement ». Traiter la question sanitaire en cloisonnant avec du plexiglass des espaces de coworking, ou des open space reste un protocole éphémère qui ne peut pas s’assimiler à la recherche de solutions pérennes dans un processus de densification ou de dé-métropolisation des grands centres urbains.
Après la crise Covid, cloisonnement des bureaux ou open space
Pour le schématisme, j’ai trouvé un exemple frappant (3) tenant à justifier un a priori grâce à la crise sanitaire. Il s’agit de fustiger les bâtiments étanches à l’air, ventilés mécaniquement et fomentés par les BET, la bureaucratie et les RT 2012 et future 2020 ! Bref, un truc d’ingénieur contre l’architecture qu’on empêcherait de respirer.
L’argument massue pour défendre l’idée des bâtiments « respirants », c'est-à-dire sans mécanisation de la ventilation et sans climatisation, est que « toutes les études bactériologiques et virologiques ont démontré que l’air extérieur est toujours plus sain que l’air confiné, en particulier dans l’univers hospitalier ».
Sur un sujet aussi important et aussi complexe, il est très imprudent d’argumenter aussi légèrement et de proposer comme règle caricaturale, un bâtiment passoire s’appliquant à toute situation, tout climat et pour tout type de bâtiment.
D’ailleurs, les exemples choisis par l’auteur de l’article (3) se situent en Egypte et en Iran … Rien ne serait pire pour les maîtres d’œuvre que de réactiver la vieille guerre entre l’architecte et l’ingénieur, entre le « naturel » et le « mécanique ». Ils ont beaucoup mieux à faire ensemble …
Pour ma part, je préfère des réflexions d’un autre ordre et à une autre échelle, notamment celles sur la gestion des territoires et des sols, échelle plus à même d’imaginer des espaces adaptés aux humains mieux dotés pour combattre ou pour se protéger des futures pandémies.
L’architecte Corinne Vezzoni propose de rendre inconstructible tout le territoire français et de faire revenir les zones commerciales en centre-ville (4). Idée aussi provocatrice qu’intéressante ! Elle fait le constat que le bâtiment est un secteur invasif avec toutes les infrastructures nécessaires à l’étalement qui correspond à l’urbanisation d’un département français par an ! Contrairement à certains pays européens, le sol en France n’est considéré que comme une surface potentiellement constructible.
Elle propose que le « droit de construire soit assujetti à des conditions compatibles avec le développement durable et non uniquement économiques ».
La difficulté à construire sur des terres agricoles ou naturelles engendrerait un autre regard sur des lieux déjà urbanisés, les périphéries urbaines industrielles et commerciales qui pourraient devenir des espaces de densification de la ville sans infliger de cicatrices supplémentaires dans le reste du territoire, sans grignoter la biodiversité.
Récupérer les terrains en friche pour construire - Source doc : mars actu
Récupérer des friches ou intensifier ces espaces génère de nouvelles centralités et réduit des mobilités polluantes. De nombreuses expériences montrent que cette démarche devrait se généraliser.
Idée à suivre et à développer …
- « Souvenons-nous du négatif» - Libération – 29 Mai 2020 - Frédéric Worms (professeur de philosophie à l’ENS)
- « Résister à la tentation d’une ville sans contact » - Libération - 22 Mai 2020 - Eric de Thoisy
- « Vers un déconfinement architectural pour que le bâtiment « respire » » - Le Monde - 23 Mai 2020 - Rémy Butler architecte et membre de l’Académie d’Architecture
- « La ville dense, seule réponse au grignotage des campagnes » - Le Monde - 23 Mai 2020 - Corinne Vezzoni
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers