Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 25 Septembre 2019
Si vous n’avez pas passé vos vacances sur Mars ou à haute altitude, vous n’avez pas pu échapper à cet été torride. Les thermomètres ont explosé et l’emballement médiatique aura aussi atteint des records sur le changement climatique, l’érosion massive de la biodiversité, les questions alimentaires,…
Impossible d’être imperméable à ces évènements estivaux qui nous touchent de près. Nous avons assisté à des incendies dans les forêts primaires, déploré d’entendre des paroles politiques et médiatiques d’une rare médiocrité, constaté des décisions politiques curieuses ou significatives, observé que le prix du baril est toujours aussi sensible à des caprices, … bref, beaucoup de sujets donnant matière à réfléchir.
Ne sachant pas vers où diriger prioritairement mon humeur tant les sujets sont nombreux, je vous propose un papillonnage de rentrée sur des questions générales qui se croiseront et qui, peut-être, inciteront le lecteur d’Xpair à s’interroger sur la manière d’agir au quotidien dans un tel contexte.
Nous reviendrons ultérieurement, avec un nécessaire recul, sur des sujets connexes à nos métiers, comme par exemple, l’adoption de la loi Energie-Climat, l’abandon du projet Astrid et les nouveaux déboires du nucléaire en France, la pub assommoir sur la voiture électrique, la RE 2020, les derniers développements de l’IA, …
Le réchauffement climatique inquiète …
Chaud devant ! La température moyenne augmenterait en 2100, non pas de 4°,
mais de 7° !
Outre les records de température atteints depuis Juin, outre le rapport du GIEC très alarmant sur l’alimentation paru en Août, outre les difficultés de produire de l’électricité décarbonée en période caniculaire - problème de refroidissement des réacteurs nucléaires, baisse des débits pour les centrales hydroélectriques au fil de l’eau, trop de chaleur = pas de vent = éoliennes immobiles, au-delà de 25°C, les capteurs PV voient leurs rendements baisser (1), les météorologues français viennent d’annoncer que si on poursuivait une croissance s’appuyant principalement sur les énergies fossiles, la température moyenne globale terrestre augmenterait en 2100, non pas de 4°, mais de 7° ! Ces travaux contribueront au prochain rapport du GIEC attendu en 2021 (2).
Cependant, les climato-sceptiques ne désarment pas. Dans un billet du Monde, Stéphane Foucart décrypte leurs arguties qui atteignent l’immondice (3). Les dénis s’adaptent selon les contrariétés qui les ridiculisent. Après avoir nié l’ampleur et la rapidité du changement climatique, ils expliquèrent que l’Homme n’en était aucunement responsable. Ensuite, ils avancèrent que les conséquences de ce changement seraient minimes. Que leur reste-t-il maintenant ? A court d’arguments sur le sujet, ils dénigrent ceux qui continuent à dénoncer l’inaction des décideurs ! Cet été, le passage de Greta Thunberg à l’Assemblée Nationale aura permis à tous les dénigreurs, les anonymes des réseaux sociaux, certains députés, des personnalités médiatiques telles que Pascal Bruckner (là, rien d’étonnant), Michel Onfray ou Raphaël Enthoven (là, lamentable surprise !), de déverser des propos ahurissants d’agressivité sur la jeune suédoise.
Elle agace parce qu’elle dit ce que tout le monde sait
On peut déplorer la manière dont les médias grand-public ont placé sur un piédestal cette « Jeanne d’arc » ou « Bernadette Soubirou » du climat, nom d’oiseaux donnés par ceux qui croient que défendre le climat est une idée mystique. Le contenu de ce qu’elle rapporte ne justifiait pas des commentaires ou des attaques sur son âge, son état de santé ou la supposée manipulation dont elle ferait l’objet, via ses parents ou le « capitalisme vert suédois ». Elle agace parce qu’elle dit ce que tout le monde sait et parce qu’elle exhorte les décideurs à passer réellement à l’acte immédiatement. L‘outrance des attaques sur sa personne rappelle celles de Jair Bolsonaro, président du Brésil, interpellé lors du dernier G7 pour les multiples incendies en Amazonie, qui ne trouve rien d’autre à dire à notre donneur de leçons national, Monsieur Macron, que de citer le physique et l’âge de Madame Macron ! Le climat politique et médiatique se dégrade encore plus vite que le climat tout court.
On peut se satisfaire que les mouvements de la jeunesse pour le climat prennent de l’ampleur, que les juridictions commencent à s’adapter face aux agressions subies par la planète et face aux inerties politiques. Cependant, durant les années 70 : la mobilisation mondiale de la jeunesse contre la guerre au Vietnam n’aura eu aucun effet sur ce conflit. Il s’est arrêté simplement parce que les américains ont perdu militairement … Quand sera-t-il des mouvements contre le changement climatique et de toutes les autres mobilisations face aux agressions contre la biodiversité et les droits élémentaires ? Quels rapports de force pourront s’instituer contre la mondialisation de la finance et de l’économie pilotées par des fonds d’investissement et quelques entreprises tentaculaires dont la « philosophie » se résume simplement à : beaucoup de « thunes » et tout de suite … ?
Pas encore assez de catastrophes, pas encore assez de déplacés climatiques, pas encore assez de scandales sanitaires, pas encore assez de massacres sur la biodiversité avant de bouger enfin ? Pour l’instant, on continue, on fait le gros dos, on continue à investir sur la recherche pétrolière et gazière, on nous promet de jolis joujoux pour faire croire au Progrès (la voiture électrique autonome, la « smartitude » et la réalité virtuelle à toutes les sauces, …) et on continue à amasser des fortunes. Quand il sera trop tard pour la très grande majorité des espèces vivantes, on songera qu’il y a sûrement à amasser encore et autrement pour réparer ce qui restera réparable. Encore de beaux jours pour les « on » ! A moins que des ruptures radicales, pas nécessairement violentes, soient préparées et mises en œuvre pour bloquer la machine folle. Les générations montantes seront peut-être plus efficaces que les précédentes pour éradiquer le capitalisme exclusivement tourné vers les actionnaires.
Libre échange, politique et environnement : un ménage à trois paradoxal ?
Beaucoup d’analystes continuent à se questionner sur la compatibilité du système économique dominant (capitalisme libéral à faible régulation) avec les objectifs de préservation du climat, des ressources, des espèces tout en améliorant le bien-être des populations.
Pour certains, il faut envisager des voies progressives qui permettront d’éviter les ruptures. Pour d’autres, il faut des ruptures car, selon eux, l’augmentation obsessionnelle du PIB et la soi-disante nécessaire croissance engendrent la destruction inéluctable de la nature.
Un exemple pour la première catégorie :
Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, affirme que le pragmatisme des petits pas est la seule démarche réaliste, contrairement à ce que prône Nicolas Hulot (4). Par exemple, selon elle, il vaut mieux inciter à réaliser des travaux plutôt qu’interdire les logements passoires thermiques après 2025, qui, toujours selon elle, réduirait de 47% les offres locatives privées. Cette approche, que je qualifierais pour simplifier de « social-démocratie » de l’écologie, n’est pas contre le principe d’une taxe carbone étendue, voire plus sévère, mais doit être générée via la convention citoyenne sur le climat. Sur le papier, tout semble « raisonnable ». Il serait possible de faire converger des mécanismes démocratiques et des objectifs nécessairement ambitieux et que, en l’état, le système économique offre des voies de sorties vers une société décarbonée et paisible. Selon notre secrétaire d’Etat, le libre-échange a, non seulement sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté depuis 30 ans, mais avec des « petits pas », il permettra d’accomplir rapidement le chemin vers plus de justice sociale sur une planète mise hors de danger par l’homme et pour l’homme.
Quelques chiffres largement connus peuvent ternir ce beau constat : 800 millions de personnes, soit plus de 10% de la population mondiale souffrent encore de la faim et « en même temps », 30% de la production mondiale de nourriture est jetée ! Et ce, sans entrer dans le détail de ce que les 6,5 milliards d’habitants mangent quotidiennement et les impacts d’une telle nutrition.
Merci au libre-échange actuel qui diminue parait-il le nombre de pauvres tout en rendant ces derniers encore plus pauvres.
Un exemple pour la seconde catégorie :
Dans une étude parue en Juillet 2017, l’équipe de Gerardo Ceballos de l’Université autonome de Mexico définit la notion de « services écosystémiques » en chiffrant les services gratuits rendus par la nature (5). Par exemple, la pollinisation par les abeilles, oiseaux et certains insectes pèse plusieurs milliard de $ /an ; 1 km de mangrove équivaut à plusieurs centaines de millions $/an grâce à son action de protection des zones côtières ou encore pour son absorption de carbone.
Pourquoi continue-t-on à détruire la nature ? Par exemple, sur 180 espèces de mammifères non domestiquées, plus de la moitié d’entre elles ont disparues depuis 1970, et celles restant voient leurs aires se réduire de 30 à 80% ...
L’étude conclut sous forme de question : l’érosion des services écosystémiques serait-elle une condition déterminante de l’accroissement du PIB ?
Dès 2002, deux économistes italiens (6) développèrent dans une étude publiée dans la revue « Ecological Economics » l’idée que l’activité économique dégrade l’environnement social (garde d’enfants, boulangerie de quartier, réparations locales et solidaires, …) et l’environnement naturel (pollinisation, maintenance de la fertilisation des sols, …) en faisant disparaître ces services gratuits. Le recours à des services marchands nécessite des moyens financiers, donc plus d’activités économiques, donc, plus de dégradations. Si ce mécanisme s’avérerait réel, toute politique qui pousserait à augmenter le PIB détruirait l’environnement. La conclusion de cette étude est que, plus un écosystème est précieux, plus il est rentable de le détruire pour maximiser la croissance.
Tout le monde n’adhère pas à ce pessimisme. Néanmoins, force est de constater que produire du négatif peut augmenter le PIB. Des accidents de voiture, la disparition des abeilles, la pollution des rivières, les incendies volontaires en Amazonie ou dans d’autres forêts primaires, … (ou une bonne guerre …), c’est bon pour le business.
Ainsi, les décisions politiques dont la principale boussole est le PIB, tendraient à nous conduire vers un monde de plus en plus détérioré.
Bref et pour le moment …
Petits pas ou changement radical ? Progression soit disant « raisonnable » ou rupture douce dans la forme et dure dans les effets ?
Restons optimisme : les nécessaires luttes contre le changement climatique et contre la destruction de la biodiversité ne sont déclenchées que par les populations qui manifestent à tout endroit de la planète, là où il est permis de s’exprimer. Où qu’elle soit, chaque manifestation revendique des changements qui n’ont rien à voir avec les « petits pas ». De plus en plus d’individus sont prêts à des changements radicaux de mode de vie sans se frustrer ou rogner sur leurs besoins fondamentaux, même les gilets jaunes ! (7). Aucun politique en position de décision, c'est-à-dire dans un lieu de pouvoir n’a suffisamment de courage pour passer du sempiternel discours consensuel à une proposition de transition suffisamment tranchée et rapide pour répondre réellement aux objectifs qu’il prétend faire atteindre.
Malgré des choix malheureux mais passagers (il faut y croire) dans certaines démocraties comme les Etats-Unis, le Brésil, la Turquie, la Hongrie, la Pologne, ceux qui ont le droit de voter auront encore le choix entre les barricades et le bulletin dans l’urne pour transformer leurs revendications en passage à l’acte. Et ce, malgré les élus et malgré les sociétés supranationales.
Ces derniers comprendront peut-être qu’il deviendra peut-être encore plus rentable de préserver la planète et moins intéressant de mépriser l’individu qui tend à retrouver son statut de citoyen en se débarrassant de celui de consommateur.
Et en Chine, en Russie, … ça suivra ...
Cette humeur si optimiste découle probablement d’une exposition estivale au soleil trop intense. Cependant, je reste persuadé qu’il n’est pas encore trop tard !
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
- « Canicule : le nucléaire à la peine, les énergies renouvelables encore plus » - L’Opinion - 25 Juillet 2019 - Océane Herrero
- « +7°C en 2100 : coup de chaud sur le réchauffement » - Libération - 17 Septembre 2019 - Coralie Schaub
- « Climat : les habits neufs du scepticisme » - Le Monde - 1er et 2 Septembre 2019 - Stéphane Foucart
- « La transition écologique est compatible avec le libre-échange » - Entretien avec E. Wargon - Le Monde - 27 Août 2019 - Olivier Faye
- « Croissance et aveuglement » - Le Monde - 17 et 18 Septembre 2019 - Stéphane Foucart
- Stéfano Bartolini (Université de Sienne) et Luigi Bonatti (Université de Trente)
- « Les gilets jaunes sont écolos à leur manière » - Le Monde - 4 Septembre 2019 - Interview de Magali Della Sudda par Aline Leclerc
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers