Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Décidemment, je suis enclin à rebondir sur ce sujet suite à plusieurs articles de presse de Janvier 2014 sur la question de la communication et en particulier sur l’interface entre l’usager et son logement. Ils montrent que les intérêts industriels et financiers y sont considérables et qu’en conséquence, l’offre semble primer sur la demande. Un résumé le moins infidèle possible de ces articles alimente cette « humeur », qui fait finalement suite à la précédente et vise à calmer les ardeurs des adeptes inconditionnels des nouvelles technologies.
De la domotique du XXème siècle au « smarthome » du XXI ème siècle
A la fin des années 1980, la domotique était devenue la tarte à la crème de l’innovation dans les bâtiments. L’idée était de centraliser toutes les informations utiles pour une bonne gestion énergétique et de créer une interface permettant à l’usager d’agir si besoin de manière cohérente et efficace. Des informations internes appréhendées à l’intérieur et pour l’intérieur.
La domotique répondait à un des fantasmes de la maison de l’an 2000 : celui-de tout contrôler sans effort, y compris la complexité inhérente aux interactions des informations entre elles, ceci afin d’automatiser, de robotiser, bref de domotiser, c'est-à-dire rendre « intelligent » le logement à défaut de son occupant. Mais également, de donner si besoin, l’occasion à l’usager d’agir avec pertinence.
Cela n’a pas pris ! Seul, le marché de la sécurité a un peu frémit après coup … mais le logement est resté aussi peu « smart » … Et l’occupant aussi ?
L’explosion des moyens d’accès à la communication et à l’information depuis 20 ans, l’avance très rapide des technologies ont déjà fait l’objet des précieux articles de veille technologique du regretté Roger Cadiergues sur Xpair. Ils sont toujours accessibles et toujours pas obsolètes. Aussi, je n’y reviendrai pas.
Il est devenu banal d’avoir en permanence sur soi un outil de communication et d’accès à toute information. Depuis peu, des décideurs industriels de premier plan, des financiers et des politiques semblent parier sur l’idée que si l’usager a le pouvoir d’être informé et d’agir à distance, il sera plus enclin à bien gérer son intérieur via l’extérieur, demande ou besoin qui aurait été inassouvi jusqu’à présent pour des raisons économiques et technologiques. Ou peut-être encore de parier que l’action à distance donnant un sentiment de puissance, devient par là même une expression plus forte, plus ludique, plus high-tech, plus moderne à l’instar de la clé de voiture qui permet d’ouvrir son véhicule, voire son coffre arrière avant d’arriver à proximité, ou encore de repérer son véhicule après avoir oublié où il était garé. Oui, indéniablement un progrès … à condition que la pile dans la clé fonctionne ... Imaginez la même chose avec votre logement ! Intéressant si on a oublié son adresse. Vous me pardonnerez, j’espère, cet humour facile, probablement dû à mon incrédulité après avoir lu les articles sur l’ampleur des moyens actuellement mis en œuvre pour gagner ce pari.
Ainsi, après avoir mis en connexion permanente et généralisée les personnes physiques, puis avoir fait de même avec les objets, les personnes et les objets seront ensemble en interaction illimitée. Madame Fleur Pellerin, notre ministre déléguée à l’économie numérique ne déclarait-elle pas le 16 Janvier vouloir créer avant fin 2014 une « cité des objets connectés » ?
« Vaste programme » comme aurait répondu De Gaulle à quelqu’un qui avait crié à son passage : mort aux cons !
Contrairement à l’ère de la domotique, celle du « smarthome » risque d’être plus effective. Les technologies sont là. D’énormes moyens marketings et financiers se mettent en place.
Selon le cabinet américain Gartner, il y aura 26 milliards d’objets connectés en 2020, soit 30 fois plus qu’en 2009 et globalement, le chiffre d’affaire pourrait passer de 1,6 milliard de $ en 2013 à plus de 5 milliards de $ en 2015.
La domotique fait sa révolution, Google et les thermostats connectés, … Compte-rendu de lectures
Dans leur article du « Monde » du 19-20 Janvier 2014 intitulé « La domotique fait sa révolution », J.M. Bezat et J.Dupont-Calbo citent plusieurs actions ou expériences en cours.
Par exemple, Schneider Electric propose leur « Wiser », une box (en français, une boîte) permettant via internet de gérer l’énergie d’un logement à partir d’un smartphone ou d’une tablette. Il est projeté d’en vendre 10 000 dès 2014 étant donné le coût relativement faible, 700 €, face aux économies engendrées par l’usage de Wiser : de 10 à 30% en moins de dépenses en énergie. Il n’est pas précisé si cela couvre le chauffage ou d’autres postes.
Autre exemple, cocasse : la société Kolibree, créée par un ex-Google, commercialise une brosse à dents connectée (j’ai beaucoup ri !).
Encore un exemple, plus significatif : Google a annoncé le 14 Janvier avoir acheté la société Nest Labs pour 2,8 milliards d’euros. Cette société fabrique des alarmes et thermostats connectés et consultables sur smartphone. Dans l’article du « Monde » du 15 Janvier intitulé « Google fait la troisième acquisition de son histoire » », S. Belouezzane indique que la stratégie de Google se fonde sur la mise en place de « wearable devices », terminaux connectés sur soi. De leurs laboratoires sont déjà sortis en 2012 les Google Glass, lunettes intégrant un écran Plexiglas permettant d’utiliser internet, de recevoir des SMS et des mails. Le développement des objets connectés pourrait engendrer, selon le cabinet McKinsey, une valeur ajoutée mondiale de l’ordre de 2 700 à 6 200 milliards $ d’ici 2025. Selon cette journaliste, Google se donne les moyens pour faire la course avec Amazon et Apple pour cerner le comportement des consommateurs.
Enfin, un exemple du côté du Levant : P. Mesmer, dans son article du « Monde » du 19-20 Janvier intitulé « Après la catastrophe de Fukushima, le Japon est entré dans l’ère du Smart », décrit l’engagement nippon sur les « smart houses », « smart cities », « smart technologies ». Panasonic va inaugurer en Mars 2014 au sud de Tokyo une smart city de 1 000 maisons équipées du HEMS, système gérant toutes les consommations d’une maison y compris celles de la voiture électrique et affichant tous les détails sur tablette ou écran mural. HEMS s’intègre dans des réseaux à l’échelle d’un immeuble et à l’échelle urbaine. La « Japan Smart Communuty Alliance », créée en 2010 et qui regroupe 365 sociétés, montre que le Japon veut rester en pointe sur le sujet.
Un passage de cet article m’inquiète particulièrement : A Kitakyushu, dans le sud-ouest, dans le quartier smart de Higashida, on chercherait « à modifier la consommation, en incitant notamment les gens à sortir au moment des traditionnels pic ... » !!!
Il faut ici revenir sur le rapport de l’offre et de la demande.
Est-il possible de concilier le « smart » et l’intérêt de l’individu ?
L’offre industrielle en marche vers le « tout smart » est une démarche intelligente pour le business. Les perspectives de développement sont colossales.
L’optimiste y verra une amélioration du bien-être, la création d’emplois, la préservation de l’énergie et, par là même, la protection de l’environnement.
Le sceptique ou le paranoïaque y décèlera la mise en place d’un maillage objet-individu dont la fonction première serait la connaissance en ligne du comportement de l’individu afin de mieux provoquer une addiction à des services … non nécessaires et non gratuits ...
Entre ces deux chaises, où s’asseoir ? Il faut, à mon humble avis, continuer à réfléchir à la manière d’induire des comportements vertueux sans contrainte forte pour réduire les risques de l’effet rebond afin de répondre réellement aux objectifs de 2050. La démarche des industriels de la communication et de l’information se résume principalement et banalement à maximiser des bénéfices. L’offre n’est donc pas toujours, certains diraient pas du tout, en harmonie avec la demande. L’exemple japonais pourrait même faire penser que l’offre doit changer jusqu’à l’emploi du temps de l’usager. Il est toujours difficile de nuancer mais force est de constater que la démarche « smart » pose un problème sociétal que je résume en deux images opposées :
- Un monde décentralisé où l’énergie et la gestion des biens sont mutualisées localement, vision quelque peu « écologique » du développement durable,
- Une société globalisée par un maillage venant napper mondialement les individus et les objets pour rendre tout le monde « intelligent », contribuant ainsi à gérer 10 milliards d’individus en préservant la planète, autre vision technologique du développement durable.
Pour s’asseoir confortablement, il me paraîtrait louable de rapprocher ces deux chaises tant elles me paraissent éloignées.
Bernard Sesolis
bernard.sesolis(at)gmail.com
Juste pour répondre à Gaëlle. Il ne s'agit pas de fuir le progrès. De toute manière, il nous rattraperait ! Le progrès était mu schématiquement par 2 moteurs : améliorer le sort des habitants de cette planète et faire perdurer un système économique basé sur le profit (il semblerait pour l'instant qu'on a pas trouver moins pire). La question maintenant posée est : comment allier ces moteurs tout en préservant la planète ? Voilà les 2 chaises à rapprocher...et il y a de ce point de vue, beaucoup de travail car ses chaises sont très inertes..