Par Dominique BIDOU, président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC France le 14 Avril 2022
Quel paradoxe ! Immobilier rime avec immobilisme. Le bâtiment est par nature immobile, il s’inscrit durablement dans un paysage, il traduit des modes de vie souvent anciens. Vernaculaire ou monumental, il témoigne du passé, il se renouvelle lentement. Et pourtant, le bâtiment est devenu un secteur de pointe côté climat. Comment ce symbole de stabilité est-il devenu un moteur du changement ?
Changement : le bâtiment n’est plus immobile
L’enjeu n’est plus la thermique …
Rappelez-vous du Grenelle de l’Environnement. La moitié des efforts retenus au programme était portée par la construction. C’était, et de beaucoup, le secteur le plus sollicité. Bien plus que l’agriculture, par exemple, responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre, juste un peu moins que le bâtiment. La réglementation a traduit les objectifs en niveaux de performance minimum, et des certificats et autres labels ont montré la voie. Le climat et la décarbonation ont été de puissants motifs de mobilisation, mais c’est toutes les qualités des bâtiments qui sont concernées, comme le disait l’architecte François Pelegrin dans le cadre d’EnerJ-meeting, le 31 Mars dernier à Paris : " l'enjeu n'est plus seulement la thermique, il faut embarquer tous les sujets dans la rénovation ".
De nombreuses professions sont entrées en mouvement, la maîtrise d’œuvre, les entreprises de toutes tailles, les industriels, et bien sûr toutes les formes de commandes, publiques et privées, promoteurs, financiers, collectivités. Il faut dire que le secteur était à l’écart des mouvements internationaux et moins touchés que d’autres par la concurrence étrangère. Il y avait de grands gisements de modernisation qui ont été pu être exploités, la rénovation restant toutefois un parent pauvre qui a bien du mal à progresser. Attention toutefois à ne pas se tromper d’objectif. Nous sommes souvent fascinés par des solutions techniques extraordinaires, qui, hors contexte, finissent par imposer leur logique au détriment d’une bonne analyse des besoins réels. La réponse est tellement tentante qu’elle fait oublier la question.
Les techniques sont d’ordre sectoriel, du fait des spécialistes qui y interviennent. Elles découpent notre univers et tentent chacune d’imposer leur intérêt. C’est comme la médecine quand elle s’intéresse plus à la maladie qu’au malade, dans son intégralité physique et mentale.
Il faut bien sûr améliorer sans cesse les performances pour trouver des solutions plus efficaces, notamment moins consommatrices de ressources. Il y a une part d’amélioration continue, mais il faut aussi des sauts technologiques qui rompent avec le passé, qui exigent une remise en question des savoir-faire et des méthodes de travail. La construction n’a pas été avare d’innovations dans tous ces domaines, les progrès sont considérables tant pour la chasse au carbone que pour l’acoustique et la qualité de la lumière, naturelle ou artificielle, par exemple.
Deux remarques, toutefois ...
La première reprend celle déjà évoquée, de la bonne compréhension des besoins, ceux d’aujourd’hui et ceux que l’on peut pressentir pour demain. Au-delà de la technique, il y a les usages, les modes de vie, dans leur diversité. Partir de l’humain plutôt que de normes techniques, comme le préconise le rapport de Pierre-René Lemas sur la qualité des logements sociaux en Janvier 2021. Une bonne analyse du vécu répond à cette ardente obligation, de manière à ne pas s’empêtrer dans des dédales de solutions techniques qui ont vite fait de montrer qu’elles sont uniques, de manière, et c’est bien naturel, à se préserver. Le recul nécessaire, le retour au vécu, remet souvent en cause des normes techniques, car celles-ci s’appliquent aux manières de faire plutôt qu’aux besoins. Nous voulons du confort, qualité générale résultant d’un ensemble complexe de considérations culturelles et matérielles. La technique, si évoluée soit-elle, doit rester au service des humains, même si elle doit leur permettre d’adopter des comportements nouveaux.
La seconde remarque rappelle que le parc existant doit, lui aussi, bénéficier de ces progrès, imaginés prioritairement pour le neuf. Comment les transposer, les adapter à une multitude de situations différentes, tant dans les architectures, les matériaux, les usages. L’effort est considérable, avec la double exigence, de relever les défis du siècle, climat, ressources naturelles, biodiversité, etc, ... et de satisfaire durablement les besoins et les envies des humains d’aujourd’hui.
Le bâtiment a été à la pointe, mais il reste encore beaucoup à faire.
À propos de l'auteur
Dominique Bidou
Ingénieur et démographe de formation, Dominique Bidou a été directeur au ministère de l’Environnement et est Président d’Honneur de l’association HQE (désormais Alliance HQE – GBC). Il est consultant en Développement Durable, a écrit de nombreux ouvrages tels que « Le développement durable, une affaire d’entrepreneurs », anime son blog...