Par Dominique BIDOU, président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC France le 04 Juillet 2019
Dans le bâtiment, c’est l’énergie que l’on ne voit pas. Elle est cachée dans les matériaux et tout le matériel nécessaire à la construction, on la trouve dans l’énergie que l’on peut récupérer si on est malin, aussi bien dans l’air que dans l’eau, et des différents équipements présents dans les maisons.
Dans l’habitat traditionnel, la cuisinière servait à mijoter les petits plats autant qu’à chauffer la pièce principale, et souvent unique. La même énergie servait à chauffer la marmite et l’atmosphère ambiante. Les cuisinières en fonte avaient un réservoir pour procurer de l’eau chaude. Un seul foyer, plusieurs services rendus. Même si le rendement du foyer est médiocre, c’est pas mal.
L'énergie grise invisible a sa place dans chaque matériau dans le bâtiment
1 - Chaque fonction avec sa source d'énergie
Les temps modernes nous ont conduits à séparer les fonctions, chacune avec sa source d’énergie. Avec comme résultat beaucoup de pertes en ligne. Le renouvellement d’air, incontournable, emporte vos calories vers l’extérieur, et l’eau chaude de votre bain se retrouve dans les égouts. Peut-on, avec les techniques et le mode de vie d’aujourd’hui, retrouver la philosophie des maisons d’antan, et faire d’une pierre plusieurs coups, d’une énergie plusieurs usages ?
Les exigences en matière de qualité thermique des constructions ont bouleversé les équilibres, pour les nouvelles maisons, et pour les anciennes dans une moindre mesure. L’énergie consommée dans un bâtiment tout au long de sa vie l’était essentiellement dans son fonctionnement courant, pour se chauffer, avoir de l’eau chaude, faire la cuisine, s’éclairer et faire tourner des appareils. Un rapport de l’ordre de 80/20 par rapport à l’énergie contenue dans les matériaux et le chantier. Il fallait faire des efforts sur le chauffage et l’isolation de la maison, sur la performance des sources d’énergie, des ampoules et du matériel. Maintenant, avec des constructions conformes aux nouvelles règles, la consommation pour le chauffage a chuté, et l’énergie liée à la construction, et la démolition (on dit déconstruction, dans la mesure où les éléments constitutifs de l’immeuble sont triés et récupérés) est devenue équivalente à celle liée à l’utilisation. La chasse à l’énergie grise, incorporée dans les matériaux et les techniques de construction, est ouverte. Un poste secondaire est devenu de premier plan. Encore faut-il que ce ne soit pas au détriment de la consommation quotidienne, toujours prête à bondir, si on relâche la garde.
2 - La chasse aux énergies grises liées au fonctionnement des maisons
Ça a commencé avec l’air. Une maison bien isolée doit être ventilée, et adieu les calories soigneusement conservées par ailleurs ! Alors, il a été décidé de récupérer ces calories, grâce à des échangeurs de chaleur. On n’ouvrira plus les fenêtres, mais l’air sera évacué par des extracteurs où l’air entrant se chargera de la chaleur de l’air sortant. C’est le double flux, avec des pertes minimes, de l’ordre de 10%. Et pourquoi se limiter à l’air ? Une bonne partie des calories de la cuisine et de la salle de bain emprunte des canalisations et ensuite des égouts. Les égouts ont tiré les premiers : des pompes à chaleur ont été posées sur les eaux usées, et l’énergie récupérée. Et maintenant, c’est au niveau des immeubles, pourvu qu’ils soient assez grands pour justifier l’investissement. L’eau usée préchauffe l’eau rentrante. Bonne idée, parce que si l’on a réduit le besoin de chauffage, celui d’eau chaude sanitaire ne baisse pas, loin s’en faut. Il faut donc être plus performant pour la produire.
Et puis l’imagination de débride. L’exemple de calories des égouts donne des idées. Il y a beaucoup d’air chaud dans la ville, c'est-à-dire plus chaud que l’air ambiant. Il y a de la récupération à faire, avec des pompes à chaleur. Dans les pays scandinaves, on a pensé à l’air des gares. Pourquoi ne pas y puiser la chaleur pour la transférer aux bureaux voisins ? Très vite, ce sont les parkings qui ont été aussi visés. Certains équipements consomment beaucoup d’énergie pour se refroidir. On va en profiter pour chauffer autour d’eux. Internet et les communications modernes ont d’énormes besoins de centres de calcul, les « data centers », qui doivent évacuer quantité de calories. Une aubaine à exploiter, à condition de mettre en rapport la production et la consommation de chaleur. C’est l’esprit de parcs industriels qui se manifeste ainsi, regrouper dans un périmètre rapproché des activités qui se complètent, les rejets (ici, la chaleur) des uns devenant les ressources des autres.
Le gris est devenu la couleur à la mode, dans le monde de l’énergie. Une énergie d’occasion, pourrait-on dire, ou recyclée, si possible plusieurs fois. L’idée est séduisante, mais il y a des conditions à remplir. L’énergie est fluide, elle ne reste pas au même endroit, elle file, si vous ne l’utilisez pas. Le contraire de ce qu’affichait une pile célèbre dans sa publicité : elle ne s’use que si on ne s’en sert pas. Ajoutons qu’elle ne voyage pas non plus, et qu’elle doit trouver son usage tout près du lieu d’où elle est extraite. La valorisation de l’énergie grise doit être envisagée très en amont des projets. L’organisation urbaine comme celle des constructions, l’équilibre entre activités et habitat, autant de paramètres déterminants pour la réussite de cette récupération.
À propos de l'auteur
Dominique Bidou
Ingénieur et démographe de formation, Dominique Bidou a été directeur au ministère de l’Environnement et est Président d’Honneur de l’association HQE (désormais Alliance HQE – GBC). Il est consultant en Développement Durable, a écrit de nombreux ouvrages tels que « Le développement durable, une affaire d’entrepreneurs », anime son blog...