Par Dominique BIDOU, président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC France le 04 Mars 2021
Que ce soient les bâtiments voire les villes, disposer de son jumeau numérique - ou Digital Twins - permet à partir d’une réplique virtuelle en contact avec capteurs et objets connectés (IoT) de simuler, de prédire et d’améliorer/optimiser l’existant grâce à l’intelligence artificielle. Une aubaine pour gérer et optimiser un parc, une ville sur le plan de la performance énergétique, des réseaux, des transports et davantage.
Une nouvelle espèce qui tend à se développer grâce à l’intelligence artificielle : Les jumeaux numériques
Un jumeau numérique est une réplique virtuelle du bâtiment ou d’une ville connectée à des capteurs et objets (IoT)
Ils se multiplient, dans de nombreux domaines, notamment dans l’industrie, la construction et la gestion des villes. Sont-ils une source d’asservissement à des modèles qui nous échappent, ou une aide pour mieux vivre, mieux travailler, mieux consommer ?
Selon Wikipédia, « Un jumeau numérique est une réplique numérique d'un objet, d'un processus ou d'un système qui peut être utilisé à diverses fins. La représentation numérique fournit à la fois les éléments et la dynamique de fonctionnement d'un dispositif de l'Internet des objets tout au long de son cycle de vie ».
C’est bien commode d’avoir un double, virtuel, que l’on peut tourner de tous les côtés, dont on peut accélérer le vieillissement, auquel on peut faire subir toutes sortes de sévices, et dont on peut suivre la trace dans un univers lui aussi numérique. Car il ne s’agit pas uniquement de créer un « objet, un processus ou un système », il faut le faire vivre, c’est-à-dire alimenter en continu le jumeau de données issues de la vie réelle. A défaut, il ne garderait qu’un caractère historique, d’intérêt uniquement mémoriel.
La maquette numérique (BIM) est la base du jumeau numérique connecté aux objets (IoT)
Maquette numérique puis jumeaux numériques
Il y a une différence avec la maquette numérique et le BIM dans la mesure ou le jumeau numérique va plus loin que la maquette numérique qui en fait n'est que le point de départ.
Si la maquette numérique permet de recueillir toutes les données croisées du bâtiment, elle est ensuite utilisée dans le cadre de la vie du bâtiment de sa maintenance jusqu’ à sa déconstruction. À partir de là le jumeau numérique qui bénéficie et qui va recueillir l'intelligence artificielle des objets (IoT) va pouvoir simuler en temps réel le fonctionnement et les incidents structurels, agir en maintenant prédictive et préventive grâce à la synchronisation permanente des données physiques et numériques fournies par les objets connectés.
Le premier usage du jumeau numérique semble avoir été fait dans l’aéronautique
Un jumeau du Boeing 777 a été réalisé, c’était déjà en 1989. Bien commode pour faire des essais, voir comment il réagit, comment il vieillit, anticiper les besoins de maintenance, voire les pannes qui pourraient survenir. C’est tout l’univers de la simulation qui est ouvert, qui permet d’anticiper et d’intégrer dans un monde virtuel, à condition, bien sûr, de savoir modéliser le jumeau et son environnement.
Depuis, le jumeau numérique a fait des petits. On en trouve dans diverses industries où il devient un instrument d’optimisation et de maintenance. Dans le secteur du bâtiment, il complète le BIM (building information modeling) pour la gestion, l’entretien et la prévention de désordres. La maquette numérique est un instrument de coopération et de création, le jumeau va la faire vivre dans la durée. Il permet alors d’améliorer le projet en anticipant ses phases de vie, et en profitant des informations ainsi recueillies. Il devient aussi, s’il est synchronisé avec des données sur la vie des bâtiments (maintenance et travaux, consommations, pannes et résolution des problèmes, etc ...), sur son usage et les attentes des occupants, et sur l’évolution de l’environnement (urbanisme, mobilité, coûts et disponibilité de l’énergie, etc ...) un double virtuel dynamique d’une construction. Il peut intégrer des bases de données qu’il nourrit et dont il tire profit en retour.
Le bâtiment intelligent devient vite idiot ...
S’il n’entre pas dans une communauté de ses semblables, s’il n’est pas alimenté en continu des données sur ses propres transformations, sur les attentes auxquelles il doit répondre, et sur son milieu de vie, c’est alors qu’il bénéficie pleinement des bienfaits de l’intelligence artificielle. Cette perspective n’a pas échappé à de gros opérateurs comme la SNCF, qui ambitionne de créer 3 000 jumeaux pour ses gares.
C’est comme pour la santé. Chacun peut trouver dans son jumeau numérique un avatar bien utile. Informé de données personnelles et de données sur le mode de vie, l’environnement physique et social, et avec beaucoup d’intelligence artificielle nourrie de l’analyse d’un grand nombre de sujets, ce jumeau peut donner une image fiable de ce qui nous attend. Il offre un terrain d’expérimentation pour des traitements, de manière à choisir le plus efficace. Une révolution en perspective, déjà bien engagée.
Le jumeau investit également les systèmes numériques de planification urbaine
Les villes peuvent aussi avoir leur jumeau numérique, ou, à défaut, des systèmes urbains comme le traitement des eaux, la mobilité ou d’autres services publics à faire évoluer en continu. Les « smart cities » sont bien sûr les premières à s’être lancées dans cette politique gémellaire, notamment Singapour qui a ouvert le bal dès 2014.
En France aussi le mouvement est parti, avec l’agglomération de Rennes en 2017, et plus récemment la région Ile de France notamment. Là encore, le réseau de ces jumeaux est atout précieux. Les informations des uns servent aux autres, les mésaventures comme les succès, dûment documentés.
Il y a un prix à payer : la tenue en continu des innombrables données qui permettent de caractériser une ville, un bâtiment, ou un corps humain. Un effort considérable, mais largement entamé secteur par secteur.
Le rapprochement de ces informations, pour donner une vision « holistique » comme disent les experts, est une avancée considérable. Il fait sauter des barrières, il oblige au dialogue des acteurs qui s’ignoraient auparavant.
La démarche même du jumeau, comme celle du BIM et en l’amplifiant, conduit à des coopérations inédites et pleines de promesses. Elle introduit en outre la durée de vie, et devient un instrument des raisonnements « du berceau à la tombe », devenu aujourd’hui « du berceau au berceau », « cradle to cradle » selon le titre de l’ouvrage de William Mc Donough et Michael Braungart.
Le jumeau au service de l’écoconception. Ainsi soit-il !
À propos de l'auteur
Dominique Bidou
Ingénieur et démographe de formation, Dominique Bidou a été directeur au ministère de l’Environnement et est Président d’Honneur de l’association HQE (désormais Alliance HQE – GBC). Il est consultant en Développement Durable, a écrit de nombreux ouvrages tels que « Le développement durable, une affaire d’entrepreneurs », anime son blog...
très bon article. Le siège Archipel du groupe Vinci est actuellement en train de mettre un Digital Twin Operating System, donc un gestionnaire du jumeau numérique dynamique. CNP Assurance fait de même, EDF l'a déjà réalisé ... SpinalCom a de nombreux clients meetant en oeuvre son DTOS et effectivement notre société vient du monde l'aéronautique. Attention tout de même à faire attention à faire la différence entre un hyperviseur 3D connecté à de l'IOT par exemple et un DTOS. Le projet SNCF est un hyperviseur 3D et non un jumeau numérique. Un jumeau numérique ne correspond pas à la 3D, mais à une base de données comprenant les objets BIM (ou CAD), les données IT (applications) et les données OT (IoT, GTB, SSI, Audio Video ...). La visualisation 3D est une des manières de visualiser les données en base de données. c'est là la grande différence entre un hyperviseur utilisant le BIM par exemple et un véritable jumeau numérique