Par Dominique BIDOU, président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC France le 11 Septembre 2019
La qualité environnementale ne coûte pas cher
Malgré les apparences, la qualité ne coûte pas plus cher que le bas de gamme, si l’on intègre toutes les composantes du prix. Coût sur le cycle de vie (extraction et conditionnement de matériaux, construction, utilisation, fin de vie) rapporté au service rendu, notamment le logement d’une famille. Et coûts externes compris, ceux payés par la collectivité, les voisins, et nos descendants, des dépenses rarement compensées par les taxes que suggérerait le principe pollueur-payeur.
Inversons le principe de vertueux-payeur
Un calcul trop rapide et lacunaire, trop répandu, laisse penser que la qualité coûte cher, et notamment la qualité environnementale, qui apparait ainsi comme une affaire de privilégiés, de riches ou de militants. Si vous voulez être bon pour la planète, il faut payer.
Le récent débat sur l’électricité verte
Le débat sur le prix de l'électricité verte, relancé notamment par plusieurs associations, renforce ce point de vue. Il en résulte un sentiment de malaise. Le discours officiel repris maintes fois, et notamment dans la charte constitutionnelle de l'environnement, proclame le principe pollueur-payeur. C'est bien normal, celui qui pollue est amené à réparer les dégâts qu'il occasionne, et il paie pour cela. Vous en déduiriez logiquement que les choix favorables à l'environnement sont privilégiés, et qu'ils coûtent moins cher à l'usager ou au consommateur que les choix défavorables, ceux qui détruisent la biodiversité, rejettent des gaz à effet de serre, détruisent les paysages et provoquent l'épandage de produits toxiques.
L’électricité verte ne coûte pas plus cher, tout compte fait !
Et bien c'est le contraire qui se passe. L'électricité verte, qui ne pollue pas beaucoup (zéro pollution serait trop beau) et n'émet pas d'oxyde de carbone, est plus chère pour le consommateur que celle issue du nucléaire ou des énergies fossiles. Une voiture moins polluante coûte plus chère que son homologue moins performante. Une alimentation bio pèse plus lourd dans le budget des ménages qu'une nourriture "ordinaire". Construire un logement "à énergie positive" représente un surcoût, le billet de transport "compensé carbone" comporte un supplément, etc. La vertu, au lieu d'être récompensée, est taxée. Le signal prix fonctionne à l’envers. Nous voilà mal partis pour donner envie du développement durable, lequel serait en définitive réservé aux plus fortunés ou aux militants. Il y a évidemment quelque chose qui cloche.
Le vertueux n'est pas fatalement plus cher que les pratiques courantes
Le malentendu pourrait venir de l'écart entre le coût réel, tout compris, et le prix payé par l'utilisateur. Le coût réel, intégrant les dommages sur l'environnement, les dégradations des "biens communs", les prélèvements "gratuits" de ressources naturelles, d'éventuels drames sociaux, du mal vivre, autant de rubriques qui ne figurent guère sur la facture. Les estimations de ces coûts que l'on dit "externes" sont impressionnantes. Même si on peut les discuter, les ordres de grandeur sont là : 100 milliards par an pour la pollution de l'air, près de 60 pour le bruit, par exemple.
Le souci de l'environnement, qui semble grandir dans nos sociétés, doit se traduire par une inversion du phénomène vertueux-payeur, pour revenir au principe pollueur-payeur. De nouveaux outils économiques, comme des droits d'émission, des certificats d'économies, des contributions obligatoires, déjà mis en œuvre pour les consommations d’énergie et pour les déchets électriques et électroniques par exemple, ou encore des sanctions vraiment dissuasives, apportent une partie des solutions. Ajoutons-en une à mes yeux très importante, qui a le défaut d'aller à l'encontre des idées reçues : Le vertueux n'est pas fatalement plus cher que les pratiques courantes, lesquelles ne doivent leur avantage que dans l'existence d'un paysage économique et institutionnel issu du passé. Une forme de rente, accompagnée d'une force de pression pour que rien ne change... Tant que le vertueux accepte de payer, pourquoi le pollueur ferait-il un effort ?
Nous savons aujourd’hui qu’il est possible de manger mieux, pour notre plaisir comme pour notre santé, en dépensant moins d’argent. Quant au logement, mentionné en ouverture de ce billet, son coût réel, ou complet, n’est pas supérieur pour les plus performants que pour ceux qui ne font que respecter la loi. L’investissement supplémentaire qui pourrait être nécessaire est vite récupéré en économies de fonctionnement et de fin de vie, surtout avec les taux d’emprunt actuels. Dans le cas général, l’approche innovante du projet, dès le cahier des charges et la conception, les modalités de collaboration de tous les professionnels concernés, sont source d’économies substantielles. Il n’y a pas de fatalité à ce que le vertueux coûte plus cher que le bas de gamme, à une double condition : faire le bon calcul de prix, rapporté au service rendu, et intégrant toutes les dimensions, la fabrication, l’usage et la fin de vie ; accepter de changer de modèle, tant pour la consommation que pour les modes de production.
Le secteur du bâtiment est en première ligne, avec son poids économique, sa dimension sociale, et son empreinte écologique. Bâtiment « vert » et économies, même combat.
À propos de l'auteur
Dominique Bidou
Ingénieur et démographe de formation, Dominique Bidou a été directeur au ministère de l’Environnement et est Président d’Honneur de l’association HQE (désormais Alliance HQE – GBC). Il est consultant en Développement Durable, a écrit de nombreux ouvrages tels que « Le développement durable, une affaire d’entrepreneurs », anime son blog...