Par Dominique BIDOU, président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC France le 04 Juillet 2019
Le grand débat sur la rénovation s’est ouvert le 20 Décembre dernier. Un absent de marque, toutefois, autour de la table, le ministère de la santé. Comme si on rénovait pour le bénéfice de la planète, et pas pour celui des humains. C’est pourtant en ouvrant le débat à la qualité de la vie d’une manière générale que des solutions peuvent se dégager.
Comment lutter contre la précarité énergétique tout en réduisant les consommations d’énergie pour lutter contre l’effet de serre ?
Desserrer l’étreinte pour les précaires va inévitablement se traduire par une hausse de leurs consommations, pour enfin se chauffer convenablement. Ajoutez les transports et vous aurez un tableau bien sombre : ce sont aussi les plus pauvres qui ne trouvent à se loger que dans des lointaines banlieues, et paient en transports ce qu’ils économisent en loyer. Ils sont aussi dans les campagnes, tributaires de l’automobile pour leur travail comme pour leurs courses et leurs loisirs.
Côté bilan énergétique, ce n’est pas glorieux !
1 - Sortir de la précarité énergétique
Sortir de la précarité énergétique conduit à une contradiction dont il faut sortir « par le haut », notamment par l’amélioration de l’habitat. Les travaux dans les logements permettent de réduire le besoin d’énergie. C’est un investissement que les plus précaires ne peuvent s’offrir. Il ne faut pas croire que, même en faisant attention, les économies d’énergie permettront de la financer. D’une manière générale, les plus pauvres ont déjà réduit leur facture énergétique, en acceptant d’avoir froid. Ils ne se chauffent pas ou seulement dans certaines pièces, ou encore ils réduisent la température, et vivent à 14°, avec leurs enfants. Le remboursement par les économies d’énergie est illusoire. Il faut injecter de l’argent public. En ces temps de rigueur budgétaire, est-ce bien raisonnable ?
Evidemment sur un plan social, mais aussi sur un plan financier. Ça tombe bien ! Un double dividende comme on les aime dans le développement durable.
2 - Lien entre précarité énergétique et santé
Outre le devoir de solidarité, la collectivité trouve son intérêt à engager les travaux d’isolation pour les plus démunis. C’est ailleurs qu’elle va faire des économies, sur les dépenses de santé plus précisément, et les conséquences de la mauvaise santé. Peu d’études ont été menées pour établir un lien clair entre précarité énergétique et santé, mais celles dont nous disposons sont riches d’enseignements. En France, une étude de la fondation Abbé Pierre met en évidence le lien entre précarité énergétique et santé (1). Il y a les conséquences directes du froid qui provoquent des bronchites, des rhumes, des angines, des grippes, etc ...
Il y en a bien d’autres. Les chauffages d’appoint, poêle ou brasero, mal entretenus, qui brûlent l’oxygène de pièce où toute la famille se concentre, calfeutrée pour éviter toute fuite de calories, sont à l’origine de pathologies respiratoires, et parfois de décès par intoxication au CO.
Il y a l’humidité et les moisissures, liées à l’absence de ventilation, à l’origine d’allergies. La précarité énergétique favorise la promiscuité, le manque d’hygiène, l’anxiété, les accidents domestiques, qui s’ajoutent aux conséquences de la précarité tout court, qui affectent les budgets alimentation, soins, loisirs. La Fondation Abbé Pierre insiste également sur l’importance « de mettre en évidence jusqu’à quel point ces situations de précarité énergétique peuvent aussi être un frein à l’insertion sociale des personnes exposées ». On obtient ainsi un cocktail explosif de fragilités et de pathologies. Pour ne prendre qu’un indicateur, la mortalité hivernale est trois fois plus élevée dans les logements les plus froids que dans les plus chauds, selon une étude anglaise. Tout cela coûte cher.
3 - La rénovation des logements coûte 3 fois moins cher que les coûts sanitaires
Il y a les dépenses de santé elles-mêmes, auxquelles il faut ajouter les arrêts de travail et la baisse de productivité au travail, les retards scolaires, difficultés d’insertion, etc. Les Britanniques ont fait le calcul sur un échantillon de 100 000 logements, et uniquement sur les coûts sanitaires. Les résultats sont éloquents : La réhabilitation des logements coûte trois fois moins cher que les coûts sanitaires. Sans compter les autres coûts sociaux. Voilà l’argent public qui aurait été bien placé, à condition de décloisonner les comptes publics, l’investissement « logements » produisant son bénéfice sur le budget « santé ».
Faut-il encore que les chantiers de réhabilitation soient bien menés. Les organismes HLM disposent de compétences, d’une vue d’ensemble et peuvent gérer des solutions techniques dans la durée. La précarité énergétique touche de nombreux logements privés, maisons individuelles ou appartements construits sans qualités énergétiques, et qui représentent chacun un cas particulier. L’argent public investi peut aussi être l’occasion d’une aide en termes de comportements, ce qui en augmenterait encore la rentabilité. Une assistance pratique associée aux aides, de manière à ce qu’elles soient l’occasion d’un progrès dans le « savoir habiter », au lieu de rester un simple geste technique. Les travailleurs sociaux, souvent les premiers à détecter la précarité énergétique, pourraient être utilement associés à cette assistance, pour l’intégrer concrètement dans la vie quotidienne des intéressés.
Pas de « hard » sans « soft », pour une approche durable de la précarité énergétique, décloisonnée, bonne pour la planète, les habitants et les finances publiques.
(1) - Liens entre précarité énergétique et santé : analyse conjointe des enquêtes réalisées dans l’Hérault et le Douaisis - Novembre 2013 -
À propos de l'auteur
Dominique Bidou
Ingénieur et démographe de formation, Dominique Bidou a été directeur au ministère de l’Environnement et est Président d’Honneur de l’association HQE (désormais Alliance HQE – GBC). Il est consultant en Développement Durable, a écrit de nombreux ouvrages tels que « Le développement durable, une affaire d’entrepreneurs », anime son blog...