Par Roger CADIERGUES le 04 Juillet 2019
28 Novembre 2011
Nous risquons d’être envahis par des outils intelligents, mais cela commence mal.
Que voulez-vous dire par là ?
Il y a bien une dizaine d’années que la presse technique américaine m’a fait découvrir les réseaux électriques intelligents – les « smartgrids ». On garde aujourd’hui quelques traces de cette novation, mais elles semblent devenir plus rares. Il faut reconnaître que, surtout dans certaines régions américaines, la situation était difficile :
. trop fréquemment du courant coupé,
. trop souvent des réseaux extérieurs détériorés (vents violents et tornades en particulier),
. difficultés de tenir aux périodes de pointe (dues à la climatisation quasi généralisée : plus de 90% des habitations).
Il est bien évident qu’en Europe nous ne connaissons pas ces situations extrêmes.
Voulez-vous dire que nous n’avons rien à retenir de l’exemple américain ?
Le développement américain (USA) des réseaux intelligents ne semble pas avoir eu beaucoup de répercussions en France, l’essentiel concernant d’ailleurs les producteurs et distributeurs d’électricité plus que les usagers. A l’exception d’une technique qui a connu des retombées récentes chez nous : les compteurs dits « intelligents » (les « smartmeters »). En fait ces compteurs n’ont rien d’intelligent, et sont plutôt des « compteurs communicants ». Malheureusement le qualificatif « intelligent » nous est resté. Et surtout la propagande faite auprès des usagers alors qu’il s’agit essentiellement de composants utiles aux gestionnaires de réseaux, aussi bien pour les relevés de consommation que pour le pilotage. Quand, il y a plus d’un an, au milieu d’un enthousiasme béat, on a cru pouvoir vendre les compteurs intelligents aux usagers tourangeaux, la phase expérimentale a failli très mal tourner.
Que s’est-il donc passé ?
Pour justifier ces compteurs « intelligents » aux usagers finaux – à qui on voulait vendre ces compteurs - on a indiqué qu’ils allaient entraîner 10% d’économie d’énergie (chiffre de la Commission de Régulation de l’Electricité, une autre organisation publique ayant même annoncé 15%). Au bout de deux ou trois mois, n’ayant rien constaté les utilisateurs tourangeaux ont élevé des protestations plus ou moins violentes, soutenus d’ailleurs par les maires qui avaient été plus ou moins porteurs de ces messages d’économie.
Pourquoi n’avoir pas tenu compte des expériences américaines ?
Parce qu’elles manquaient vraiment. Ce n’est qu’assez récemment, sous l’égide et avec l’aide des pouvoirs publics, que les Etats-Unis ont tenté d’éclairer le problème. En voici les observations sur 500 interlocuteurs privés suivis de près, le résultat venant tout juste de tomber il y a trois mois. Ces résultats sont très caractéristiques : les compteurs dits intelligents modifient le comportement de la plupart des usagers américains : 83% ont reconnu avoir éteint les lumières dans les pièces non occupées, 51% ont reconnu avoir modifié la consigne de leurs thermostats. Malheureusement cela correspond à de mauvaises habitudes américaines d’économie (face eux européennes), et rien ne garantit que ces changements d’habitude vont tous se poursuivre.
N’y a-t-il rien à faire dans notre pays ?
Laissons de côté le service rendu aux réseaux distributeurs d’électricité, et voyons ce que nous pouvons faire pour les usagers, et pour nos installations, non pas au moyen de compteurs (qu’on ne peut pas aller voir toutes les cinq minutes) mais au moyen de systèmes de gestion intelligents. C’est, par ailleurs, aux gestionnaires de réseaux (ERDF) d’équiper leurs installations : ils en tireront des bénéfices qu’il leur appartient de chiffrer. Ce ne sont pas les compteurs finaux sur lesquels il faut compter, en France, pour obtenir des résultats. Surtout en utilisant un vocabulaire frôlant l’escroquerie à travers le qualificatif « intelligent ».
Roger CADIERGUES