Par Joséphine LEDOUX - Directrice associée du BET ENERA CONSEIL
Rénovation des copropriétés : un enjeu conséquent
78 milliards de kWh à économiser et un marché de 200 milliards d’euros de travaux. Voici ce que représente la rénovation énergétique des copropriétés.
Pourtant, peu de concepteurs bureau d’étude ou architecte tentent de s’investir dans ce secteur d’activité. En cause, des maîtres d’ouvrage peu motivés, des délais de projet de 4 à 5 ans et une difficulté des concepteurs à comprendre et à manier le fonctionnement social des copropriétés.
Mais au vu de ces chiffres et de l’urgence climatique, pouvons-nous laisser de côté ce potentiel d’économie d’énergie ?
D’une manière évidente la réponse est non. Bien-sûr, les architectes et les bureaux d’études thermiques, sont contraints par des exigences de rentabilité qui les découragent souvent de s’attaquer à ces marchés.
Il est donc indispensable de sélectionner les copropriétés les plus matures pour entamer des travaux ambitieux et d’autre part de mettre au point une méthodologie qui augmentera les chances d’adhésion des copropriétaires au projet.
C’est ainsi qu’est née la Charte ICO Rénovation Copro qui résume en 10 points une méthodologie pour donner envie aux copropriétés de rénover. Cette charte est issue des échanges de bureaux d’études thermiques et fluides adhérents de l’association ICO et qui se sont réunis au sein d’un groupe de travail pour réfléchir à la manière de massifier la rénovation.
→ Lien pour accès à la Charte : www.association-ico.fr/charte-copro
Depuis presque 10 ans ENERA Conseil met en pratique cette méthodologie qui fait ses preuves. Ainsi je me propose de vous illustrer les 10 points de la charte par un exemple concret de rénovation de copropriété : la copropriété 2 bis rue de Nice à paris 11eme.
Isolation thermique par l’extérieur avec matériau biosourcé
Une rénovation énergétique copropriété à Paris. Application de la charte ICO !
1. Ecouter les acteurs et capter les besoins
La copropriété 2 bis rue de Nice à Paris dans le 11ième arrondissement, est une petite copropriété de 23 logements dont le bâti date de 1890 et qui est détenue à 70% par des propriétaires bailleurs. La copropriété est une passoire énergétique chauffée aux radiateurs électriques. A ce stade, elle souhaitait répondre à un besoin de ravalement imminent tout en essayant de réduire les consommations énergétiques et résoudre les problèmes d’humidité. La copropriété était partagée entre des membres du CS qui souhaitaient isoler l’ensemble du bâtiment et d’autres membres du CS qui tentaient de réduire les coûts et ne souhaitaient isoler que les façades visibles depuis la cour (laissant les pignons en moellons comme à leur origine).
Le but a donc été de les convaincre qu’une isolation partielle ne ferait qu’amplifier les problèmes d’humidité et que l’état des pignons en moellons nécessiteraient une intervention rapide car des trous béants apparaissaient dans la façade à certains endroits. Il était donc indispensable de prévoir une réfection et une protection de ces murs pignons. C’est donc dans ce contexte que nous avons été consultés. Lors de la prise en main du projet, nous avons constaté que les menuiseries ont presque toutes été remplacées par du double vitrage et que de nombreuses grilles d’entrée d’air ont été bouchées ce qui a étanchéifié une partie du bâti. Puis, en interrogeant les propriétaires et les locataires, nous découvrons que beaucoup de locataires coupent les radiateurs électriques pour des raisons financières ce qui augmente évidemment les problèmes d’humidité. Il est donc indispensable outre le ravalement des façades, de permettre aux locataires de se chauffer pour un coût acceptable.
2. Observer, déceler et proposer des actions de création de valeur
Une ancienne façade rénovée valorisera le patrimoine de chaque copropriétaire
La copropriété étant très majoritairement détenue par des propriétaires bailleurs, nous avons dû adapter notre discours. Inutile d’utiliser exclusivement l’argument des économies d’énergie puisque les propriétaires ne paient pas les charges. C’est donc en premier lieu sur l’aspect technique que notre argumentaire s’est orienté, leur indiquant le risque structurel encouru si le taux d’humidité des murs n’était pas régulé. Bien-sûr l’aspect esthétique en est également impacté ainsi que le risque sanitaire pour la santé des personnes.
La mise en place d’une ventilation mécanique seule aurait été insuffisante compte-tenu de l’usage du bâtiment et de l’absence régulière de chauffage. C’est pourquoi nous avons proposé de rénover l’ensemble des façades qui en avait de toute façon besoin et d’y ajouter une isolation extérieure.
3. Communiquer et échanger autour du projet
L’ITE étant source de discorde au sein du conseil syndical, il a été nécessaire de bien communiquer autour de cette proposition sur les différents aspects :
- Technique : solution la plus pérenne et confortable pour permettre aux habitant de chauffer les logements et d’éviter les parois froides
- Valorisation du bâtiment : amélioration esthétique et réduction des charges des locataires
- Financier : Aides mobilisables pour les travaux d’économie d’énergie
Une enquête a permis de constater qu’un nombre non négligeable de propriétaires bailleurs ou occupants pouvaient prétendre aux aides ANAH. Il a donc rapidement été acté de s’orienter vers un projet à plus de 35% d’économies d’énergie afin de mobiliser le maximum d’aides.
SOLIHA, qui est l’organisme public qui accompagne les copropriétés sur les aides nous a aidé en fournissant de manière individuelle le montant des aides possibles pour chaque copropriétaire. Leur regard extérieur a également été bénéfique pour conforter les copropriétaires dans leurs choix.
4. Anticiper le vote positif en AG
Une réunion par mois a été organisée avec le CS et le syndic afin d’avancer efficacement sur le projet de rénovation. Puis d’autres réunions avec l’ensemble de copropriétaires ont été réalisées en amont de l’AG pour apporter des réponses claires et chiffrées financièrement. Nous avons ainsi mis au point une méthodologie de validation étape par étape pour éviter les blocages et les retours en arrière. Avant la présentation du projet en AG, nous avions levé la grande majorité des interrogations et des blocages.
5. Embarquer la performance énergique objectif 2050
Compte-tenu de la nécessité d’atteindre au minimum 35% d’économies d’énergie pour débloquer le maximum d’aides, le programme de travaux a été étendu. Les performances ont été fixées au maximum des possibilités techniques dépassant dans certains cas les valeurs minimums des CEE.
- Isolation de tous les murs donnant sur l’extérieur par un isolant fibre de bois ou laine de roche sous enduit. R = 3,8 kWh/m².K
- Isolation des combles par de la laine minérale R = 7 kWh/m².K
- Isolation des planchers bas par flocage en laine minérale R = 3 kWh/m².K
- Ventilation hybride DYN23 de chez ASTATO
6. S’adapter au contexte technique et social (taille, type, contrainte)
Le bâtiment date de 1890. Sa structure est composée de pierres et meulières jointées par des enduits chaux ou bâtards. La structure est donc perméable à la vapeur d’eau.
Afin d’éviter de piéger l’eau dans les murs, il a été choisi d’isoler la plupart des murs extérieurs par de la laine de bois qui accepte plus facilement ces transferts de vapeur. Nous avons cependant dû choisir pour deux des façades une laine de roche car la mise en place de bandes coupe-feu nécessaires au respect de la réglementation aurait entrainé un surcoût trop important. L’isolation en laine de bois a également permis de mobiliser des subventions spécifiques de la ville de Paris pour l’utilisation de matériaux biosourcés.
La copropriété possède 3 mitoyennetés avec des bâtiments voisins avec lesquels il a été nécessaire de négocier des droits d’empiètement. Afin que les négociations se déroulent au mieux nous avons anticipé au plus tôt des rencontres avec les copropriétés voisines leur expliquant le projet à travers de réunion et des affiches explicatives dans les halls d’entrée. Cette communication a permis de trouver plus facilement un terrain d’entente avec les copropriétés voisines.
Nous n’avons pas pu modifier la production ou tout du moins l’émission de chauffage, qui est essentiellement de type radiateurs électriques parfois très anciens. Mais il faut comprendre le contexte social de la copropriété détenue par des bailleurs et accepter des compromis. Ainsi, nous avons tenu à informer les copropriétaires sur les alternatives possibles ou les moyens d’améliorer la régulation sans insister sur ce point.
7. Organiser des « plans travaux » cohérents
On constate dans ce projet, que les menuiseries ont été remplacées au fur et à mesure par les propriétaires. Les entrées d’air n’ont souvent pas été prévues dans les nouvelles menuiseries et les grilles de ventilation ont dans beaucoup de cas été bouchées. Ces modifications non organisées sont en partie la cause des désordres constatés et montre l’importance de coordonner les modifications apportées sur les bâtiments. Ainsi les travaux prévoient un ensemble de mesures cohérentes qui sont l’isolation des façades, des toitures et des caves et la reprise de la ventilation, y compris la création d’entrées d’air sur les fenêtres double vitrage existantes et sans oublier de déposer les grilles existantes dans les murs.
Bien sûr, on profite de ces travaux pour également ragréer les murs lorsque nécessaire et resceller les garde-corps.
8. Accompagner les occupants
Les travaux ont duré 15 mois. Pendant la durée des travaux, nous avons mis en place un processus de communication afin faciliter le partage d’information entre les copropriétaires, les locataires et les entreprises. Ainsi nous avons mis en place des réunions de chantier rassemblant l’ensemble des acteurs, une permanence téléphonique pour les copropriétaires et les locataires, et un affichage régulier dans les parties communes. Nous avons également accompagné 2 copropriétaires dans le remplacement de leurs menuiseries en même temps que le ravalement des façades.
Les travaux de ventilation ont nécessité des interventions dans les appartements. Le travail de planification et de coordination est indispensable pour que les occupants vivent bien ces interventions. L’entreprise doit ainsi prévoir ses interventions à l’avance et respecter le planning. En cas d’imprévu et de retard, une communication bienveillante auprès des occupants est indispensable.
9. Instrumenter pour vérifier que ça marche
Nous n’avons pas encore eu l’occasion sur ce projet d’installer des capteurs de température et d’hygrométrie pour vérifier que les travaux réalisés portent leurs fruits. Cependant, nous encourageons les copropriétés à instrumenter leur bâtiment afin de veiller au maintien des objectifs.
Lorsque les installations de chauffage sont collectives la mesure de la température intérieure et de certains paramètres clés permettent d’adapter au mieux la régulation de leur installation de chauffage.
Nous avons constaté qu’à la suite d’une rénovation énergétique, les mauvais réglages sont la cause d’une différence pouvant aller jusqu’à 20% entre les consommations prévisionnelles annoncées et les consommations réelles. Le coût financier à instrumenter et régler les installations est très vite rentabilisé et permet de crédibiliser la démarche et le bureau d’étude.
10. Impliquer les prestataires de maintenance dans la réussite
Nous devons garder à l’esprit que les travaux ont pour objectifs d’améliorer le cadre de vie des occupants et ce le plus longtemps possible. Ainsi le bureau d’étude doit insister auprès de la copropriété sur l’importance de contracter des contrats de maintenance pour la pérennité des installations. La mise en place de contrat comportant des objectifs de performance implique les entreprises de maintenance dans le maintien des objectifs fixés lors des travaux.
Pour la copropriété « rue de Nice » l’entreprise en charge de la maintenance de la ventilation doit être ainsi vigilante au bon fonctionnement des tourelles pour éviter que les désordres ne réapparaissent.
La charte Rénovation Copro d’ICO …
Au sein d’ICO, nous pensons que la clé pour déclencher l’engouement tant attendu des rénovations énergétiques de copropriété repose sur la satisfaction des copropriétaires ayant eux-mêmes participés à un tel projet. Il est ainsi indispensable que les rénovations se passent bien, c’est-à-dire que les occupants soient satisfaits du déroulement des travaux et de la communication entre les entreprises et les occupants et que les objectifs affichés soient respectés.
Tous les professionnels qui se retrouverons dans cette démarche et souhaitent participer à l’évolution des pratiques dans la rénovation énergétique de copropriété peuvent signer la charte ICO (www.association-ico.fr/charte-copro) qui reprend en 10 points clés les étapes favorisant la réussite d’un projet de rénovation.
Chiffres clés de la rénovation 2bis rue de Nice à Paris
- Coût total des travaux : 385 300 €TTC
- Reste à charge après aides financières (hors crédit d’impôt) : 135 037€ TTC
- Coût moyen par logement : 5 871€ TTC
- 52% d’économies en énergie primaire
- 12 520 €TTC d’économies prévisionnelles
- Cep de 613 kWhep/m².an à 295 kWhep/m².an
- Durée de la phase de conception : 4 mois
- Durée de la phase chantier : 15 mois
Bilan financier rénovation copropriété 2bis rue de Nice à Paris
Par Joséphine LEDOUX - Directrice associée – ENERA CONSEIL
Source et lien
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