Par Bernard Sesolis - Expert Energie Environnement
Le bioclimatisme, empoussiéré par de trop rares défenseurs, est une démarche vertueuse et nécessaire qui mérite une actualisation et un intérêt particulier dans l’optimisation du confort et des économies du bâtiment durable.
Tel est le thème de cette chronique qui a fait l’objet d’une conférence lors du salon Interclima+Elec le 6 Novembre.
Les solicitations de l'enveloppe (d'après F. Simon)
Source : «guide de l’architecture bioclimatique» Liébard–De Herde
Un état des lieux du bioclimatisme
Les principes du bioclimatique ont été établis dans les années 1970-80. Les rares architectes et ingénieurs qui s’y intéressent encore, les appliquent pour l’habitat selon des schémas unanimes, immuables et directifs d’où sont issues des solutions pour le bâti « clé en main » curieusement figées et consensuelles.
Le « bioclimatisme » reste une affaire de militants empreinte de pertinences et de dogmes essentiellement centrés sur le chauffage incluant des mots incontournables (passif, naturel, biosourcé, compacité). Certains maîtres d’œuvre appliquent ces mêmes recettes aux bâtiments tertiaires, parfois primés par un jury de concours soi-disant spécialisé !
Trop peu de projets dépassent ces caricatures. Et pourtant le bioclimatique n’est que bon sens, rigueur et optimisation de confort et d’économies pour l’individu !
Pourquoi et comment actualiser le bioclimatisme ?
Car le changement climatique lui est déjà en marche …
Un contexte qui bouge vite : dorénavant, il faut construire avec un climat bouleversé qui change, qui se réchauffe, … La maîtrise d’œuvre dispose d’outils capables de réaliser des modélisations fines de projets de bâtiments de plus en plus performants. Les moyens techniques et l’offre industrielle ont énormément évolué.
Hier, pour l’habitat, la priorité était la réduction des besoins de chauffage avec, dans le meilleur des cas, la recherche d’un compromis sur le confort d’été.
Aujourd’hui et demain, le bioclimatisme pour l’habitat revient à gérer un nouveau rapport “ soleil / bâti / équipements ” et incite à un dialogue plus approfondi entre l’architecte et les ingénieurs.
Construire des bâtiments tertiaires avec le climat, passe encore plus nécessairement par ce dialogue et par l’usage systématique des outils de STD (simulation thermique dynamique) et très bientôt le BIM (maquette numérique du bâtiment).
Enfin, le « bio » de bioclimatique rappelle que les bâtiments seront ... occupés !
Un travail sérieux reste à mener par les concepteurs afin que leurs attentes et celles des occupants coïncident.
Le bioclimatisme nous invite à un travail d’approfondissement …
Le bioclimatisme mérite à nouveau réflexion car le concept de bâtiment durable nécessite de revisiter les rapports entre le site et le projet. Il devient urgent d’entamer un travail d’actualisation de ses principes. L’usager étant au centre de toute réflexion.
Commençons peut-être à enseigner le bioclimatisme dans les écoles d’ingénieurs et d’architectes, et dans les écoles de techniciens. Afin d’intégrer cette approche comme un contexte préalable à tout commencement de calcul et de désidérata impératif de programme.
Zoom sur les aspects à intégrer avant tout approfondissement
Les paragraphes suivants correspondent à la présentation de diapos sélectionnées dans le diaporama complet disponible en téléchargement en fin de page, accompagnée de commentaires faits lors de celle-ci.
Le bioclimatisme, un sujet méritant encore réflexion, une actualisation ?
Les motivations de la nécessaire actualisation du bioclimatisme :
OUI ! Le bâtiment durable nécessite l’utilisation
de ce concept - une vision globale des rapports
entre le site et le projet - encore trop rarement appliqué
OUI, il faut continuer (entamer…) un travail d’actualisation de la démarche !
Ce qui immuable → en France, le soleil est encore… au Sud
Pour le reste, lents changements → prise en compte du vent, approche urbaine, couplages énergie/bruit/ hygrométrie/QAI des modèles de calculs, représentations de l’usager
Ce qui évolue vite → le climat, les enjeux environnementaux, le facteur 4, les pénuries, les précarités, les moyens conceptuels (outils) et techniques (offres industrielles)
Focalisation sur l’énergie dès la phase esquisse
Les principes classiques du bioclimatisme :
Construire avec le climat → des principes énoncés enfin (mais pas toujours !) en formation initiale….
→ analyse du site et de la parcelle : soleil, masques, vents, terrain, accès,…
→ implantation du bâtiment et plan-masse : forme et première organisation des espaces intérieurs
→ système constructif, façades, taux et orientations des vitrages, isolation, protections
… mais en décalage par rapport au contexte actuel et futur
Encore une dominante militante du « bioclimatisme »
Un mélange de pertinences et de dogmes et un état d’esprit encore militant avec ses travers : des vérités ….et des dogmes.
Les vertus mises en avant :
La réduction des besoins
L’ héliotropisme → EnR
Le « bon sens » → les leçons des anciens (le vernaculaire)
Les matériaux naturels → l’anti lobbysme, les circuits courts, l’énergie grise
La ventilation naturelle pas d’électricité, QAI
La biodiversité
En opposition explicite avec :
La standardisation
L’usage des énergies fossiles (en particulier les produits issus du pétrole)
L’électricité (sous entendue nucléaire), en particulier, la climatisation
Les produits des grands groupes industriels (sous entendus dominateurs, pollueurs, ...)
La technocratie (réglementations, certifications, …)
L’habitat bioclimatique : un sujet largement abordé selon des schémas unanimes, immuables et directifs
Des solutions toutes faites surtout et seulement pour le chauffage de l’habitat des années 1980 -2005 :
Une démarche principalement centrée sur le chauffage accompagnée de mots « clés » incontournables :
L’espace de captage est l’espace de vie (apports solaires directs : principe intangible du “solaire passif”)
Envisageable si les besoins de chauffage restent relativement conséquents
(maisonsdes années80-90)
Mais, problématique si les besoins de chauffage sont drastiquement réduits
(isolation plus poussée, apports internes plus importants, ... hivers de plus en plus doux)
Hier : concevoir selon le compromis chaud / froid en incluant l’éclairage
Démarche consistant à réduire drastiquement les besoins de chauffage (en ordonnées) en se souciant (parfois) des problèmes de confort d’été (en abscisses). La flèche rouge schématise le chemin parcouru par l’hyper isolation (démarche « Passivhaus » = baisse du chauffage au prix d’une augmentation forte des risques de surchauffe en été. Les flèches verte et noire symbolisent une démarche se souciant autant du confort d’été que de la réduction des besoins de chauffage. Ceci nécessite un dialogue permanent entre l’architecte et le thermicien et beaucoup de calculs de sensibilité aux paramètres pour aboutir à un compromis gérable dans le temps pour l’occupant.
La «tradition» bioclimatique» : réduire le chaud et veiller au confort d’été et à l’éclairage naturel
Concevoir avec le climat ... qui change. Prise en compte des évolutions des Dj
Les scénarii du changement climatique en France pour 2050 : une baisse du chauffage de 15 à 20 % ... pas de quoi fouetter un chat ! Mais une augmentation des besoins de froid de 50 à 75% qui rappellent que les problèmes prioritaires à surmonter en habitat sont maintenant et encore plus dans le futur, le confort d’été …et l’eau chaude sanitaire (bien entendu sans tenir compte de l’énergie grise, de l’électro-ménager ou du transport).
Maintenant et demain : concevoir selon le compromis froid / éclairage en incluant le chaud. Gérer le nouveau rapport “soleil / isolation” Réviser les priorités et les principes
Proposition pour inverser les priorités : penser d’abord à réduire les problèmes de confort d’été et les besoins d’éclairage en se souciant de ne pas dégrader le bâti pour le chauffage. Le bioclimatisme des années 2015-2050 repose sur les mêmes bases mais avec une articulation radicalement différente. Il ne s’agit pas de tourner le dos à l’isolation thermique et au soleil, mais de les exploiter différemment, en évitant de placer l’occupant dans le « capteur » solaire, de découpler les apports de lumière et de chaleur, de produire de l’ECS et de l’électricité solaires plutôt qu’exploiter coûte que coûte la chaleur solaire pour le chauffage des espaces (l’isolation et les apports internes font maintenant presque tout le travail !).
→ chaud et éclairage couplés
besoins de chaud très variables selon le soleil→ nécessité d’une gestion complexe, donc fragile des apports(risques de surchauffes fréquents)
→ chaud et éclairage découplés
très faibles besoins chaud indépendants du soleil
contributions du soleil à l’ECS, au PV, à l’éclairage
→ gestion plus simple de l’éclairage et réduction des risques de surchauffe
Construire des bâtiments tertiaires avec le climat…
En tertiaire, encore moins de règles toutes faites qu’en habitat. L’usage systématique de la STD d’une part et la recherche de l’évitement de la climatisation, mais sans la diaboliser, permettront de concevoir des bâtiments vertueux et réellement durables.
Ne pas être obnubilé par l’évitement du refroidissement ou
et le diaboliser
Sensibilités aux principaux paramètres
Consommation totale d'énergie primaire en fonction du pourcentage de surface vitrée avec variation d'amplitude selon l'orientation
Consommation totale d'énergie primaire en fonction du pourcentage de surface vitrée avec variation d'amplitude selon l'orientation
Consommation totale d'énergie primaire en fonction du pourcentage de surface vitrée avec variation d'amplitude selon l'orientation
Consommation totale d'énergie primaire en fonction du pourcentage de surface vitrée avec variation d'amplitude selon l'orientation
Dialogue architecture / technique : exemple pour l’éclairage naturel et la gestion de l’éclairage artificiel
Exemple de 3 locaux vitrés avec des apports de lumière naturelle. Selon la profondeur de pénétration de la lumière extérieure dans les locaux, les 3 luminaires devraient être gérés selon une double commande adaptée (2 locaux en haut du schéma). Le ou les luminaires près de la façade seront éteints si les locaux sont inoccupés et si la lumière naturelle est suffisante. La lumière naturelle contribue ainsi à réduire le temps de fonctionnement et engendre des économies de consommations électriques.
Dans le dernier cas, une seule commande pour les 3 luminaires se traduit par des consommations électriques égales à celles d’un local aveugle, sans vitrage. Le bâtiment serait, grâce à son architecture, potentiellement performant en éclairage …et pourtant, les consommations seront celles d’un bâtiment opaque ! Du point de vue énergétique, une bonne architecture passe par un dialogue en amont du projet « architecte/ingénieur ».
Attentes / demandes pour les usagers Leviers pour un usage à la hauteur des performances intrinsèques du bâtiment
La maîtrise d’ouvrage ne doit pas se contenter d’arrêter sa mission à fournir la nécessaire information due aux futurs occupants. Elle doit, avec les maîtres d’œuvre approfondir la démarche d’accompagnement. En outre, la conception contient en germe beaucoup d’aspects positifs ou négatifs du comportement des occupants. Il faut penser à induire des attitudes vertueuses, à mettre en œuvre si besoin des automatismes d’une discrétion absolue, et si il faut solliciter l’occupant, lui passer la main, le rendre lucide, citoyen, gestionnaire, alors il faut penser vraiment à l’ergonomie des produits qu’il sera amené à utiliser.
Que peut-on demander à un occupant ?
Usager « militant » ? Usager déresponsabilisé ?
ni le bâtiment « vernaculaire» , ni le bâtiment « robot ».
Leviers pour concevoir performant et gérable par l’usager :
D’abord : l’information et l’accompagnement
Comment obtenir réellement la performance attendue sans sollicitation ingérable pour l’usager ?
Comment éviter ou réduire a minima l’effet « rebond » ?
Comment concilier les « besoins » (l’offre) et la « demande » ? Comment faire en sorte que l’usager s’approprie facilement son espace à vivre ?
→ Induction de comportements vertueux par des choix architecturaux et/ou techniques
→ Automatismes
→ Ergonomie des interfaces
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Par Bernard Sesolis
Expert Energie Environnement - Membre du comité technique de l’AICVF
De formation universitaire, Bernard Sesolis est ingénieur-conseil spécialiste du bioclimatique (1976-81), puis adjoint au responsable du programme interministériel H2E85 au ministère chargé du logement. En 1986, il cofonde le BET TRIBU dont il est le directeur technique jusqu’en 2001. En 2002, il fonde le BET TRIBU ENERGIE « énergétique et environnement » qu’il dirige jusqu’à fin 2012. Il lègue la SARL à ses collaborateurs et crée une auto entreprise en 2013. Ses expériences terrain et de consultant auprès des pouvoirs publics (RT 82 à RT 2012, méthode du DPE), l’incitent à poursuivre ses activités de conseils et de formations pour contribuer à la division par 4 des émissions de CO2.