Par Olivier PAPIN, Ingénieur INSA Energie Environnement du BET ECIC
1°/ Définition
Un facteur d'émission est le coefficient qui permet de détailler le contenu gaz à effet de serre d'un produit, d'un service, d'une énergie, d'un mode de déplacement, ou de tout ce qui émet des gaz à effet de serre.
En France, le facteur d'émission de l'électricité est de 85 g équivalent CO2 par kWh.
Cela signifie que l'ensemble du processus amont, de l'extraction des matières premières, le transport, jusqu'à l'utilisation finale de l'énergie par l'utilisateur va émettre 85 g de gaz à effet de serre.
Il est à noter que le facteur d'émission français est particulièrement faible (la moyenne mondiale étant plus proche des 500 g éq. CO2/kWh) car une grosse partie de l'électricité française est produite à partir de l'énergie nucléaire.
Comme l'ont démontré les évènements récents, les impacts et risques de l'énergie nucléaire ne doivent pas être négligées, mais cette énergie possède néanmoins la qualité qu'elle émet peu de gaz à effet de serre.
On peut ainsi mesurer sur la figure 1 l'impact de la mise en place du parc nucléaire français sur le facteur d'émission de l'électricité française : celui ci s'effondre pour passer de 500 g éq CO2/kWh dans les années 70 à 85 g éq CO2 aujourd'hui.
Fig 1. Evolution du facteur d'émissions de l'électricité de plusieurs pays depuis 1970.
2°/ Détail du facteur d'émission français
Le facteur d'émission dépend des modes de production amont de l'électricité.
La valeur moyenne représente donc sur une année la composition du mix énergétique en énergie primaire de l'ensemble du process :
- nucléaire,
- hydroélectricité,
- charbon,
- gaz,
- etc.
Chaque mode de production ayant son facteur d'émissions.
Fig 2. Composition du mix énergétique français pour la production d'électricité
Suivant le moyen de production amont, le contenu carbone varie donc fortement.
Ainsi selon EDF, la production d'électricité à partir de gaz émet plus de 400 g éq CO2/kWh, plus de 660 g éq CO2/kWh à partir de fioul et enfin plus de 880 g éq CO2/kWh à partir de charbon.
Pour les énergies renouvelables, les facteurs d'émissions sont sujets à variation (les moyens de production étant plus petits, et donc plus variables) mais dans des ordres de grandeur beaucoup plus faibles (souvent moins de 40 géq CO2/kWh).
Le facteur d'émission français dépend donc du mix énergétique qu'on injecte en amont pour produite le kWh qui sera consommé en aval.
3°/ Corréler la production et la consommation
L'enjeu principal pour un producteur d'électricité est d'assurer que la production soit en corrélation avec la production, ce qui n'est pas chose simple tant la production peut varier dans la journée à chaque instant de la journée.
Fig 3 : Profil de la consommation d'électricité pour la journée du 1er aout 2011, source RTE
L'enjeu pour le producteur, est donc de répondre à chaque instant à la demande du réseau.
Pour simplifier, nous pouvons dresser la réactivité de chaque source d'énergie primaire :
- Le nucléaire, très puissant en terme de moyen de production, est très lent en termes de réaction, et sa puissance est difficilement ajustable d'une minute à une autre
- Les centrales à flamme (gaz, charbon) sont plus réactives et peuvent démarrer en quelques minutes, à tout moment de la journée
- L'hydroélectricité, peut démarrer quasiment instantanément (il suffit d'ouvrir les vannes) mais la production est limité en terme de taux de couverture
- L'énergie solaire est difficilement contrôlable (peu stockable), mais par contre très prévisible
- L'éolien possède les mêmes difficultés que l'énergie solaire, mais est également très prévisible.
Le producteur doit donc ajuster son mix énergétique en fonction des moyens de production à sa disposition et bien entendu en fonction de la demande.
Fig 4. Moyens de productions en fonction de la consommation surf plusieurs jours, source Manicore
Ainsi puisque chaque énergie primaire possède son propre facteur d'émission, celui de l'électricité (mélange des facteurs d'émission de chaque énergie utilisée) varie constamment tout au long de la journée, fonction des moyens de productions disponibles, de la demande, et du type de demande (base, demande de pointe, ect). Par exemple pour la journée du 1er aout à minuit, il a fallu utiliser le mix énergétique suivant :
Fig 5 : Détail de la production pour la journée du 1er aout 2011 à minuit, source RTE
Et le profil de consommation a évolué tout au long de la journée :
Fig 6 : Evolution des moyens de production pour la journée du 1er aout 2011, source RTE
En conséquence, le facteur d'émission de l'électricité a varié tout au long de la journée :
Fig 7 : Variation du contenu carbone de l'électricité dans la journée du 11 août 2011, source RTE
4°/ Pourquoi parle-t-on de facteur d'émission marginal de l'électricité ?
Comme nous l'avons vu, le facteur d'émission évolue en fonction du temps.
Le parc de production lui évolue peu en ordre de grandeur, dans le sens où par exemple d'une année sur l'autre le parc ne change pas ou à la marge (par exemple d'une année sur l'autre il n'y a pas de nouvelle centrale nucléaire).
En conséquence, si on demande un kWh supplémentaire au réseau, par exemple en créant une nouvelle demande au réseau, qui n'existait pas hier, ou l'année d'avant, il est peu probable qu'il soit produit à partir de nucléaire si le parc est déjà à saturation, mais plutôt à l'aide de moyens de productions « marginaux » (au sens où il ne représente pas la grosse partie de la production amont).
Si ce kWh supplémentaire est produit à partir d'une source particulièrement émettrice, type centrale à flamme, alors son facteur d'émission sera bien plus élevé que la valeur moyenne française. On parle donc de facteur d'émission marginal de l'électricité, pour le kWh supplémentaire demandé au réseau.
On ne lui attribue pas le facteur d'émission moyen mais plutôt le contenu carbone des moyens supplémentaires à mettre en œuvre pour assurer sa production.
5°/ Associer mode de production et usage de consommation ?
Il est parfois proposé de chercher à associer « consommation » et « mode de production spécifique à cette consommation », cela revient en gros à chercher qui est le « responsable » du démarrage de tel ou tel moyen de production.
Il nous semble délicat de vouloir attribuer un mode de production à un usage :
- Par exemple considérer que le chauffage électrique est produit essentiellement à partir du nucléaire car il fonctionne en continu l'hiver (donc une consommation de base, très facilement productible avec l'énergie nucléaire).
- Inversement considérer que c'est de l'appoint car il ne fonctionne pas l'été et doit donc être produit avec des moyens de productions supplémentaires au nucléaire,
Ces deux points de vue nous semble délicats à valider (ils sont d'ailleurs antagonistes) car comme nous l'avons vu, le contenu carbone et le mix de production amont varient à chaque instant de la journée.
Cette approche de « qui fait démarrer quoi comme moyen de production » se heurte au fait qu'on ne peut pas distinguer un électron par rapport à un autre au cœur du réseau. Ce sont des calculs théoriques mais qui ont du mal à trouver une validation réelle (lequel des utilisateurs est responsable de LA goutte qui fait déborder le vase ?).
6°/ Associer un mode de production et sa production marginale ?
Il est parfois tentant de vouloir impacter les modes de productions « marginaux » type centrale à flamme à un mode de consommation ou un mode de production.
Ainsi on a parfois entendu qu'une éolienne était forcément accompagnée d'une centrale à gaz pour assurer le moment où le vent s'arrête.
Ceci n'est pas tout à fait exact dans la mesure où ce qui gouverne, c'est la demande.
On partirait donc du principe que quand le vent s'arrête, on attribue à l'éolienne la centrale à flamme qui démarre car la consommation ne s'est pas arrêtée.
Pourtant un jour sans vent, lorsque la consommation accélère (le pic du matin ou du soir), le nucléaire ne peut pas plus s'y adapter, pourtant personne n'a proposé de lui impacter les mêmes modes de productions marginaux qui lui permettront de coller à la consommation.
On constate donc que suivant le message que l'on souhaite faire passer, cette problématique peut facilement être détournée dans un sens ou dans un autre.
Nous proposons de ne tenir compte que de ce que chaque moyen de production émet en valeur absolu, indépendamment de la demande et donc non de « ce qu'il émettrait si la demande augmentait ». Le contenu global des émissions étant attribué à l'ensemble des consommateurs et non à un consommateur en particulier, cela évite de chercher à savoir dans l'embouteillage du matin quelle est LA voiture supplémentaire qui a créé le bouchon.
Avec cette approche, on s'en tient aux émissions réelles de chaque moyen de production, et on évite par un jeu d'hypothèse de pouvoir pénaliser ou favoriser telle ou telle énergie.
7°/ Conclusion
Le contenu carbone de l'électricité varie à chaque instant de la journée, selon la demande mais également les modes de production disponibles. Si la valeur moyenne annuelle de production d'électricité en France est faible, elle varie toutefois parfois brutalement dans la journée.
Il nous semble intéressant d'avoir en tête ces éléments pour comprendre que la production d'électricité n'est pas chose aisée car la demande est volatile et a fortiori le contenu carbone aussi.
Nous proposons donc une première approche « simpliste » où le contenu carbone n'est pas associé par usage car cette approche se heurte à une réalité très concrète que le contenu carbone varie à chaque minute et que les électrons du réseau ne sont pas dissociables.
Chaque consommateur se voit impacter le contenu carbone réel de la production de l'ensemble de l'électricité, sans chercher à savoir à quel consommateur on attribue les moyens de productions les plus émetteurs.
Chaque mode de production se voit impacter ses émissions propres, et pas celles d'un autre mode de production, qu'on lui attribue, ou pas, suivant l'état de la demande.
Chaque utilisateur ayant ensuite la responsabilité de réduire ses émissions pour contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre globales.
Nous préférons donc retenir en première approche la valeur de 85 g éq CO2/kWh.
Olivier PAPIN –du BET ECIC (Paris et Bordeaux)
Olivier PAPIN, Ingénieur INSA – Energie et Environnement – assure des missions d'audit énergétique et bilan carbone pour les collectivités publiques et les sociétés privées. Il est également formateur spécialisé Bilan Carbone et intervient pour le compte de l'ADEME. ECIC a réalisé à ce jour plus de 80 bilans carbone et plusieurs Plan Climat Energie Territoire.
www.bet-ecic.fr
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85 g éq CO2/kWh, c'est en énergie primaire ou en énergie finale?