Par Jean-François COROLLER - Ingénieur ESTP – BET Kerexpert - membre fondateur de l'association BBCA
La RE2020 va tarder à entrer en application pour tout un tas de bonnes – mais aussi de moins bonnes – raisons. Beaucoup de gens savent que cette future réglementation va s’inspirer du label expérimental E+/C-, mais peu ont conscience que ce même label E+/C- a eu un précurseur, le label « Bâtiment Bas Carbone » ou BBCA. Explication de texte, décryptage et retours d’expérience d’un bureau d’études engagé !
Label bâtiment bas carbone
Naissance du label bas carbone BBCA – précurseur du label E+C-
Le label BBCA, fruit de l’association du même nom, est né en mars 2016 à l’initiative de nombreux intervenants de l’immobilier (maîtres d’ouvrages, architectes, bureaux d’études et constructeurs) qui souhaitaient repositionner le carbone comme véritable échelle de valeur, et donc de décision, afin de ne plus réfléchir, uniquement, en consommation énergétique « RT », et de s’intéresser ainsi au vrai « problème ». Notre bureau d’études Kerexpert a naturellement fait partie des membres fondateurs au sein du collège BET.
Pour un bâtiment neuf, les consommations liées à l’exploitation – consommations RT et autres consommations - représentent environ la moitié du poids carbone sur un cycle de 50 ans. La construction représente donc l’autre moitié, et il était donc grand temps de « s’attaquer » à ce poste d’émission.
Grâce aux résultats du test HQE Performance 2012-2013, les seuils ont été fixés avec l’objectif ambitieux de diminuer par 2 les émissions de gaz à effet de serre, en passant de 1,5 tonne/m² à 750 kg/m².
Les innovations du label BBCA
- Les émissions sont considérées sur tout le cycle de vie du bâtiment, la réalisation de l’ACV du bâtiment est systématique et les émissions de CO2 lors de la construction sont enfin valorisées
- Le poids carbone de l’exploitation du bâtiment (usages RT) pour une durée de 50 ans est également intégré
- Le bois et plus généralement les matériaux biosourcés qui stockent du carbone pendant leur phase de croissance et qui, utilisés dans le bâtiment, constituent des puits de carbone sont valorisés au titre d’un indicateur « stockage carbone »
- L’économie circulaire est valorisée
- 3 niveaux sont délivrés : standard, performance, excellence
- Il s’agit d’une démarche volontaire certifiée par un organisme tiers (CERTIVEA, CERQUAL et PROMOTELEC pour la V1). Le MOA est assisté par un référent BBCA
- Ce référent, à l’image d’un BREEAM Assessor, est l’interlocuteur du maître d’ouvrage et réalise les études pour vérifier le respect des exigences du label. Son intervention a lieu durant la conception (certification provisoire) et en fin de travaux (certification définitive).
Ce nouveau label, privé, rencontre un franc succès, et très vite, 15 projets pilotes sont déjà labellisés BBCA, et présentés lors d’un événement spécial le 5 juillet 2016 au Pavillon de l’Arsenal. Parmi les projets lauréats, l’opération de Ris-Orangis développée par WOODEUM et dessinée par l’agence WILLMOTTE, a été évaluée par Kerexpert en tant que Référent BBCA. S’agissant également d’une première pour l’organisme de certification CERQUAL, de nombreux échanges enrichissants ont eu lieu entre Lucile BERLIAT (CERQUAL) et Jean-François COROLLER (KEREXPERT) pour interpréter et évaluer ce nouveau référentiel.
Projet de Ris Orangis (Copyrights Image 1 – Willmotte / Image 2 – Woodéum)
Ce bâtiment de 140 logements représente le plus grand ensemble résidentiel d’un seul tenant réalisé en panneaux CLT (Cross-Laminated Timber - bois lamellé-croisé) au monde.
La réaction de l’Etat
L’initiative de ce label privé lancé début 2016, dans le sillon de la COP 21, a immédiatement été saluée par les ministres de l’époque, pour le logement Emmanuelle Cosse et pour l’écologie Ségolène Royal. Il a été l’accélérateur du lancement par les pouvoirs publics du label expérimental E+/C- en février 2017 – un an après le label BBCA – en s’inspirant des grands principes de celui-ci pour le carbone et en bénéficiant de ses retours d’expérience.
Quelques différences apparaissent cependant
- 4 niveaux de performance énergétique sont définis E1 E2 E3 E4, le niveau E4 correspondant à un bâtiment à énergie positive sur les 10 usages.
- 2 niveaux de performance carbone sont définis C1 et C2 ; C2 étant le meilleur niveau.
- Les usages énergétiques non compris dans la RT2012 (« Cep-10 usages » : intégrant les usages domestique, bureautique, ascenseurs, éclairage des parkings, etc.) sont désormais comptabilisés pour le poids carbone de l’exploitation
- Seules les fiches FDES vérifiées par une tierce partie peuvent être utilisées
- Ni le stockage carbone, ni l’économie circulaire ne sont retenus dans la méthode,
En février 2017, le référentiel BBCA a évolué et fait converger sa méthode avec celle du E+C-, en rendant compatibles les deux référentiels sur les éléments en commun, et en désignant le niveau « Carbone 2 » comme niveau d’entrée au label BBCA.
Cependant aux vues des retours d’expérience des bâtiments bas carbone exemplaires BBCA, des réflexions continues menées par l’Association BBCA, des divergences entre les 2 labels sur des thématiques « fortes » (impact carbone d’une opération de déconstruction d’un bâtiment existant sur la parcelle préalable à une opération neuve, absence de valorisation des matériaux biosourcés en tant que puits de carbone, seuils C1 et C2 respectivement trop laxiste ou trop exigeant, etc.), il a été décidé de faire évoluer le référentiel BBCA sur des thématiques clés en septembre 2018. Toujours compatibles avec le label E+/C-, les spécificités de BBCA s’enrichissent pour tenir compte au mieux des bonnes pratiques bas carbone.
L’exemple de la performance énergétique
Grâce aux différents projets de logements collectifs neufs sur lesquels le BET Kerexpert a récemment travaillé, nous avons pu établir une relation entre les niveaux carbone et énergie.
Tout d’abord, le niveau Energie 4 est quasiment impossible à atteindre. Il traduit simplement le niveau – utopique ? – BEPOS+. C’est pour cela que nous avons illustré ce niveau par Alice au pays des Merveilles. Le niveau carbone 1 peut être atteint indépendamment des niveaux énergétiques.
Pour atteindre le niveau carbone 2, le delta d’exigence sur le poids carbone du bâti entre les niveaux C1 et C2, n’étant pas significatif, il est, dans les faits, nécessaire d’atteindre une performance énergétique importante ou d’avoir recours à des énergies faiblement carbonées.
Selon nous (et nous serions ravis d’en débattre avec d’autres personnes passionnées par le sujet) pour atteindre le niveau Carbone 2, il est fortement recommandé d’atteindre un niveau Energie 3. Pour y arriver, nous avons constaté que les réseaux de chaleur « propres » et l’énergie bois étaient bien avantagés et donc extrêmement conseillés. Dans une moindre mesure, il est également possible d’atteindre le C2 en respectant un niveau entre E2 et E3 en ayant recours à l’électricité.
Les couples E+/C- (Copyright Kerexpert)
Des exigences énergétiques plus raisonnables
Compte-tenu de cette exigence énergie beaucoup trop restrictive par rapport à la volonté qu’a BBCA d’encourager les maîtres d’ouvrage à construire bas carbone, un niveau d’entrée entre C1 et C2 a été défini par l’association dans le référentiel V3.
Une exigence renforcée sur le poids carbone du bâti
Cependant les émissions de gaz à effet de serre spécifiques à la construction du bâtiment, représentées par l’indicateur EgesPCE (PCE : produits de construction et équipements), ont des exigences spécifiques supérieures au niveau EgesPCE du C2 sur le résidentiel.
La fin de vie des matériaux biosourcés – le schisme entre les deux labels
Dans la transcription actuelle du label E+/C- qui se base sur les textes européens, les matériaux biosourcés stockent du carbone durant leur « production » grâce au phénomène de photosynthèse. Mais le scénario conventionnel retenu pour leur fin de vie, (combustion, enfouissement dans des centres de déchets, etc.) a pour effet un relargage complet du carbone stocké, ce qui représente un bilan carbone nul à l’échelle du cycle de vie du bâtiment. Cette hypothèse théorique n’est pas du tout représentative de l’utilisation réelle des bois de gros-œuvre, qui ont pour vocation de rester au sein du bâtiment durant au moins 50 ans.
Ainsi le parti-pris de BBCA a été de considérer que cette phase de démolition des bois de gros-œuvre, relarguant tout le carbone fixé, ne devait pas être fixé théoriquement au bout de 50 ans, mais devait être assumée par celui qui prendra, dans le futur, la décision de démolir avant de rénover ou étendre.
L’ACV du bois selon E+/C-
L’ACV du bois selon BBCA
L’indicateur stockage carbone, ayant un poids carbone négatif, est intégré au bilan de l’opération et permet ainsi de se rapprocher de la « réalité carbone » des projets en annulant l’effet du relargage.
Une évolution des référentiels
Le schéma ci-après détaille la chronologie des différents labels et leurs versions.
Les évolutions du référentiel BBCA (Copyright Kerexpert)
Retour d’expérience de 2 projets labellisés BBCA – comparaison par rapport au label E+/C-
Ris Orangis – Quai de la Borde
Pour le projet précédemment évoqué de Ris Orangis Quai de la Borde, les points forts de ce projet sont :
- Volume important de CLT mis en œuvre plus de 1800 m³
- Niveau énergétique Effinergie+ 2013
- Raccordement au réseau de chaleur local proposant un mix énergétique Bois & Gaz
Synthèse des résultats de l’opération de Ris-Orangis
Pour les émissions de gaz à effet de serre pour la construction du bâtiment (PCE : produits de construction et équipements) : l’indicateur EgesPCE, illustré par une maison « éteinte », on constate que le niveau atteint est très bon. Bien en dessous du niveau d’entrée BBCA, et donc bien meilleur que le niveau carbone 2.
Pour les émissions de gaz à effet de serre pour la construction du bâtiment et son exploitation durant 50 ans : l’indicateur Eges, illustré par une maison « allumée », celui-ci permet de prétendre à l’atteinte des niveaux BBCA et carbone 2. Grâce à la traduction du stockage des 1800 m³ de carbone, en 153 kg de CO2/m², ce bâtiment atteint le niveau BBCA Excellent.
Saint Ouen – Passage Marie
Le second projet faisant l’objet de notre retour d’expérience est un projet situé à St Ouen – Passage Marie. Développé par WOODEUM et dessiné par DGM et associés, il s’agit d’une opération de 48 logements en CLT représentant 3125 m² de SDP.
Les particularités de ce projet sont :
- Volume important de CLT mis en œuvre de près de 1100 m³
- Niveau énergétique Effinergie+ 2013
- Chaufferie collective gaz pour la production de chauffage et d’eau chaude sanitaire
- Mise en place de sèches-serviettes électriques dans les salles de bains.
Synthèse des résultats de l’opération de Saint Ouen
Le niveau EgesPCE est, comme pour le projet de Ris Orangis, bien meilleur que les niveaux BBCA et C2.
La valeur de 1130 kg eq. CO2/m² intègre 10 kg correspondant à la démolition du bâtiment existant. Ainsi, la valeur du Eges conforme au référentiel E+/C- est donc de 1120 kg eq. CO2/m² = 1130 – 10. On constate donc que le niveau Eges ne permet pas d’atteindre le niveau C2 .
L’explication vient du fait que l’énergie utilisée, à savoir le gaz, ne bénéficie pas d’une étiquette CO2 intégrant son verdissement (par l’injection de biométhane) dans un futur proche. Les émissions de gaz à effet de serre relatives à l’exploitation du bâtiment pendant 50 ans viennent fortement dégrader le poids carbone global du projet, l’empêchant ainsi d’atteindre la performance C2.
Cet exemple est symptomatique, de la comptabilité carbone du label E+/C- qui ne valorise pas à leur juste valeur le recours aux matériaux biosourcés, l’énergie gaz et les réseaux de chaleur urbain RCU « en verdissement ».
Sur ce dernier point, l’association BBCA autorise notamment la prise en compte dans les calculs du contenu CO2 déclaré par le gestionnaire du RCU, et non la valeur de l’arrêté DPE, à condition que les travaux soient réalisés dans un délai de 3 ans.
En intégrant les 257 kg de carbone stockés dans la structure bois du bâtiment, on arrive à 873 kg eq. CO2/m², ce qui permet d’atteindre le niveau BBCA Excellent.
Pourquoi un label BBCA, maintenant que le label E+/C- existe et que la RE2020 est imminente ?
On se donne pour objectif de développer la connaissance sur le bâtiment bas carbone, de faire émerger les solutions « bas carbone » et de montrer, par l’exemple, les opérations à l’empreinte carbone exemplaire. La méthode de mesure BBCA capitalise et évolue de manière pragmatique à mesure que la connaissance se développe. Ainsi, des thématiques abordées pour diminuer les émissions de CO2 pleines de bon sens (mutualisation des parkings et des salles de réunion, évolutivité des bâtiments de bureaux en logements ou l’inverse, potentiel d’extension) ne sont pour le moment pas valorisées dans le label E+/C-. Ou encore, le stockage carbone, qui, valorisé dès 2016 dans le label BBCA, non pris en compte par E+C-, est désormais reconnu depuis 2018 par la loi Elan comme faisant partie intégrante de l’empreinte carbone des matériaux, et est en passe de rejoindre la méthode de mesure de la RE2020 à l’échelle du bâtiment.
Le label BBCA tient également compte du poids carbone du bâtiment existant afin de ne pas encourager la démolition des bâtiments existants mais plutôt de concevoir le projet en termes d’extension ou de surélévation.
Ainsi l’association BBCA ouvre la voie sur les thématiques expérimentales et vise à faire progresser les réglementations en vigueur avec toujours ce même objectif : diminuer les émissions de CO2 et lutter ainsi contre le réchauffement climatique.
En effet, le label BBCA est à la réglementation ce que le concept-car est à l’industrie automobile ; un concentré des meilleures pratiques, des nouvelles technologies, fruit de la réflexion des meilleurs équipes et annonciateur de la production de masse.
A retenir …
Le label BBCA est un label privé ayant la volonté d’encourager les bonnes pratiques « bas carbone ». C’est un label monocritère sur le carbone, exigeant, qui atteste de l’exemplarité de l’empreinte carbone d’un bâtiment et démontre l’engagement pour le climat. Ce label peut être délivré par CERQUAL, PROMOTELEC, PRESTATERRE pour les logements et CERTIVEA pour les autres bâtiments. Il existe pour les bâtiments neufs et la rénovation.
Par Jean-François COROLLER - Ingénieur ESTP – BET Kerexpert - membre fondateur de l'association BBCA
Source et lien
Autre chronique de Jean-François COROLLER
→ Construire à coût maîtrisé des logements collectifs à 40 kWh/m².an