Par Philippe Nunes – Ingénieur ENSAIS-ICG – Directeur général d’Xpair
Le label d’Etat E+C- a la volonté d’aller plus loin que la RT 2012 en augmentant pour toute la construction neuve, l’efficacité énergétique du bâtiment jusqu’à le pousser à produire sa propre énergie (E+) mais également à intégrer sa trace carbone pour en même temps la réduire (C-). C’est tout l’enjeu de la prochaine réglementation environnementale RE 2020. Le label expérimental E+C- a donc été soumis à la profession par le biais d’une expérimentation. C’est pourquoi, depuis son lancement il y a déjà plus d’un an, il y a lieu de faire un point d’étape « un an après » !
Label expérimental E+C-, le point un an après !
Pour les 2000 décideurs du bâtiment présents lors de la journée de l’efficacité énergétique et environnementale EnerJ-meeting qui s’est tenue le 8 mars au Palais Brongniart et pour les lecteurs d’Xpair, voici quelques extraits parmi les plus intéressants, du « manifeste 2018 » sur la RE 2020 et le bilan E+C-, un an après ! Le « Manifeste » est un document en libre téléchargement retraçant la synthèse des intervenants référents en la matière.
Réglementation Environnementale 2020 et label E+C-, quelles avancées un an après ?
Par Fabrice BOISSIER, Directeur général délégué de l’ADEME
Les réglementations thermiques successives ont permis de faire baisser les consommations
d’énergie primaire des bâtiments neufs au niveau de 50 kWh/m²/an de la RT2012.
C’est un défi que les acteurs de la construction ont relevé en améliorant la qualité des enveloppes, l’isolation, l’étanchéité, la performance des équipements embarqués et en intégrant des énergies
renouvelables. Le secteur du bâtiment représentant plus de 25% des émissions de GES nationales,
l’étape d’après, c’est donc la construction de bâtiments à énergie positive et à faible
impact carbone.
Généraliser le bâtiment à énergie positive et réduire l’empreinte carbone du secteur, c’est
tout l’enjeu du label Energie Positive / Réduction Carbone (E+/C-) mis en place par les
ministres en charge de l’environnement et de l’habitat Fn 2016. Il préfigure la future
Réglementation Environnementale (RE) et permet de s’y préparer.
En adoptant une approche en analyse du cycle de vie (ACV), le label prend en compte l’intégralité de
l’impact carbone du bâtiment, depuis sa construction jusqu’à sa démolition, en passant
par son exploitation. Il fixe également 4 niveaux de bâtiments à énergie positive en
incluant notamment les usages immobiliers.
Aujourd’hui, l’expérimentation lancée par les pouvoirs publics autour du label E+/C- est un succès.
Les acteurs de la construction neuve s’engagent dans ce virage environnemental.
En quelques chiffres :
- près d’une centaine de bâtiments répertoriés, certains atteignant les niveaux les plus ambitieux : Energie 4 et Carbone 2,
- plus de 200 bâtiments déjà engagés dans les programmes OBEC (Objectif Bâtiment Energie Carbone lancé par l’ADEME) dans 10 régions sur 13,
- chez les bailleurs sociaux, 114 opérations en collectif et en individuel groupé (plus de 3550 logements),
- plusieurs centaines de remontées et un référentiel qui a déjà fait l’objet d’une évolution,
- une mallette pédagogique, un MOOC en préparation, des guides méthodologiques pour assurer la montée en compétences des acteurs.
Les 13 communautés régionales de travail autour de l’ACV et du label, animées par les 13 bureaux d’études référents (missionnés par l’ADEME), ont lancé des sessions d’information pour sensibiliser les acteurs locaux (bureaux d’études, architectes, maîtres d’ouvrage ou entreprises).
RE 2020 et Label E+C-, un an après où en sommes-nous et où allons-nous ?
Jean-Christophe VISIER, Directeur Énergie Environnement au CSTB
Aujourd’hui, les premiers bâtiments E+C- sortent de terre. L’observatoire de l’expérimentation E+C- regroupait un an après le lancement de l’expérimentation plus de 80 bâtiments représentant plus de 500 logements, le démarrage est plus rapide que ne l’avait été celui du BBC.
C’est aussi vers les acteurs qu’il faut se tourner pour suivre la dynamique. Comme pour le label BBC un certain nombre d’entre eux se mobilisent précocement que ce soit par tempérament, conviction environnementale ou volonté de se positionner sur des marchés émergents.
Des maîtres d’ouvrage testent le label sur certaines opérations afin de se faire une opinion sur la faisabilité et les coûts associés. Les 4 niveaux énergétiques et les 2 niveaux
carbone leur laissent une palette de possibilités et ils s’interrogent sur les niveaux pertinents pour leur future production.
Des maîtres d’œuvre se forment sur le label pour pouvoir répondre à la demande de ces
premiers maîtres d’ouvrage et les plus en pointe font émerger rapidement une série de solutions pour atteindre les déférents niveaux du label.
Les industriels comprennent que l’impact carbone de leurs produits pourrait devenir demain un critère important sur le marché. Le sujet carbone apparaît dans leurs documents
publicitaires, ils enrichissent la base INIES de plusieurs dizaines de fiches par semaine.
Le travail en commun va être une clé de la réussite : les maîtres d’ouvrage, en demandant
aux industriels de leur fournir les données nécessaires aux exigences de leur marché, vont
permettre à la maîtrise d’œuvre de conduire des projets performants à coût maîtrisé.
L’expérimentation E+C- : une chance à ne pas gâcher, mais à chacun ses responsabilités
Par Dominique DUPERRET, Délégué Général de LCA-FFB
Depuis 2015, LCA-FFB participe à l’expérimentation E+C- : nos professionnels sont à l’origine de la majorité des dépôts au sein de l’Observatoire. Nous nous félicitons qu’aux côtés
des bâtiments dits « exemplaires », les opérations déjà réalisées aient été acceptées.
Ces
dernières sont nécessaires si l’on veut une courbe d’apprentissage acceptable pour les techniques constructives, l’organisation des filières et l’acceptabilité économique des ménages.
Cette prise en compte du réel, tout autant que du souhaitable, sera le gage d’une dé-friction opérante et acceptable des seuils et obligations à venir. Cette expérimentation
est une chance qui s’offre à chacune des filières et aux pouvoirs publics : à chacun ses
responsabilités pour ne pas la gâcher.
Que nous enseignent les premiers pas de l’expérimentation ?
L’expérimentation a un coût. Gageons que ce soit un investissement d’avenir…
Ce coût est estimé à plus de 1 500 € pour une maison individuelle et à plusieurs milliers
d’euros pour les logements collectifs (étude ACV, prestation BET, étude économique et
coûts administratifs).
Maison individuelle : des seuils E1 et partiellement E2 qui tiennent compte des bonnes pratiques actuelles
Pourquoi ? Parce que le respect de la RT 2012 oblige à prendre des marges de sécurité. L’erreur d’analyse serait, sous prétexte d’un niveau déjà atteint à moins de 50 kWh EP/m², de
systématiser des exigences énergie supérieures dès les premiers niveaux. Ce qui obligerait
à être au-delà en raison de ces mêmes marges de sécurité et rendrait dès lors l’exigence
trop lourde pour l’économie énergétique réalisée.
Le niveau E3 quant à lui est difficilement
atteignable, sauf à installer une surface de panneaux photovoltaïques importante, avec des
exigences spécifiques sur la mise en œuvre et la prévention de la sinistralité.
Pour les logements collectifs : isolation nécessaire.
Ils sont dans 80 % des cas chaulés avec l’énergie gaz. Les seuils E1 et E2 peuvent être
atteints en renforçant l’isolation. Seul un raccordement à un réseau de chaleur vertueux
permet d’atteindre le seuil E3.
Toujours des freins sur la partie carbone
Trop de lots sont pris par défaut et ne permettent pas de rechercher des optimisations
sur la partie « poids en carbone ». C’est le résultat du manque de complétude des fiches
FDES ou PEP. Saluons les filières industrielles qui y travaillent beaucoup, mais il y a urgence sur ce point. Le périmètre de l’étude ACV comprend l’aménagement de la parcelle,
qui n’est pas toujours maîtrisé par le constructeur et qui peut lourdement pénaliser le
calcul. À noter également que le dépôt des données économiques n’est pas adapté à la
pratique des professionnels dans la décomposition de leurs coûts de construction.
En résumé, si l’on veut faire de cette expérimentation une réussite indispensable, chacun
doit œuvrer, dans sa sphère de responsabilités, à lever ces freins.
Expérimenter, c’est corriger, apprendre à calculer et se mettre à « penser bas carbone »
Pierre FRICK, Adjoint du Directeur de la Maîtrise d’ouvrage et des Politiques Patrimoniales, UNION SOCIALE POUR L’HABITAT
L’expérience de terrain, c’est le retour du réel après les rêves conceptuels et, aussi, les
stratégies d’nuance des acteurs. Il y a des ajustements, c’est légitime et ne remet pas
en cause la démarche. Il y a des émets inattendus, pas trop, espérons-le.
Il y a la question
du calendrier. Il ne faut pas aller trop vite, car les calculs restent encore incertains.
Pour amplifier la contribution très attendue des bailleurs sociaux à l’expérimentation du
référentiel E+C-, la CDC, l’État et l’USH ont lancé un 1er appel à projets. Le nombre et la
qualité des projets ont dépassé les attentes, ce qui confirme l’engagement des HLM en
faveur des transitions énergétique et environnementale. 114 opérations représentant
3 567 logements ont été sélectionnées. Elles se trouvent à divers stades d’avancement,
tant en conception qu’en réalisation, couvrent l’ensemble des zones climatiques, sont
représentatives des modes constructifs et des vecteurs énergétiques et visent tous les
niveaux Énergie et Carbone du référentiel.
La France a placé le bâtiment au cœur de sa stratégie pour relever le défi du changement
climatique. Le bâtiment représente 45% de la consommation énergétique nationale
et 25 % des émissions de GES. Le Mouvement HLM est engagé de longue date pour
trouver les solutions face à cet enjeu sociétal.
Ainsi, la future réglementation énergétique et environnementale des bâtiments neufs
se prépare avec la mobilisation de la filière autour d’une démarche d’expérimentation,
inédite et copilotée par l’État et le Conseil Supérieur de la CONSTRUCTION et de l’Efficacité Energétique. On ne peut que se réjouir de cette collaboration d’un type nouveau.
Alors, surtout, laissons-la se déployer et aller à son terme. Car, et c’est surtout vrai pour la dimension carbone, il reste bien des inconnues.
L’objectif de l’expérimentation est d’apprécier la faisabilité technique et économique des
solutions ainsi que les courbes d’apprentissage. Les premiers retours des organismes
HLM le montrent, il faut apprendre à calculer avant même d’apprendre à construire
« bas carbone ». Calculer, c’est maîtriser des outils, mais aussi disposer des données environnementales, issues des FDES et des PEP. Il reste beaucoup à faire pour ne plus avoir à
s’appuyer sur des données génériques.
C’est une condition majeure pour obtenir une vraie
mesure de vrais projets. La maîtrise des outils de calcul progresse, notamment grâce aux
dispositifs d’appui comme OBEC. Mais on constate encore des difficultés, par exemple
avec les parkings souterrains ou la production photovoltaïque quand il y a plusieurs bâtiments. Parfois, on en vient d’ailleurs à penser que certaines difficultés à maîtriser la logique
des outils interrogent les outils eux-mêmes. Si on expérimente, c’est qu’on ne s’interdit
pas de réviser les outils comme les règles. Il y aura des éléments à corriger, à reconsidérer,
à réinterroger. C’est légitime et cela ne remet pas en cause la démarche vertueuse d’expérimentation qui est en cours.
Apprendre à calculer, c’est le b.a. ba, mais ce n’est pas encore de l’intelligence. Il faudra
apprendre à penser « bas-carbone ». C’est l’étape suivante et c’est là que la démarche
devient véritablement intéressante. Car au fond, ce qui est essentiel, c’est de savoir à quoi
ressemblera le bâtiment de demain quand sa conception, sa construction et son exploitation seront maîtrisées, et si les logements de demain répondront aux attentes de confort et
d’usage de nos concitoyens.
SOURCE ET LIEN
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