Par Philippe NUNES – Ingénieur ENSAIS - ICG
Après un long débat qui a duré 9 mois, le comité national a rendu le 18 juillet 2013 sa « synthèse des travaux du débat sur la transition énergétique de la France ». Beaucoup de dissensions mais un texte final de 31 pages accepté par tous : élus, ONG, Medef, associations, entreprises, …, hormis le syndicat FO. C’est le ministre de l’écologie Philippe MARTIN qui présentera les réelles recommandations au Gouvernement qui seront débattues en octobre 2013 et qui feront ensuite l’objet d’un projet de loi. Voici quelques extraits et quelques résumés commentés, le document de synthèse étant téléchargeable en fin de page.
Continuer à réduire les consommations d’énergie
Pour respecter les engagements européens et internationaux, paquet énergie climat et facteur 4, la France devrait réduire de 50 % sa consommation énergétique finale à échéance de 2050. Cet objectif est modéré jusqu’à 20% par certains acteurs qui ont participé au débat, ceci pour conserver une compétitivité économique. La recommandation du ministre risque de se situer entre ces 2 chiffres.
La transition énergétique est une « transition pour tous », elle conduira nécessairement à des ruptures technologiques et à des changements de modes de vie dans nos façons de consommer l’énergie. Et ce, essentiellement pour les 2 secteurs les plus importants : le bâtiment + les transports. Chacun devra être sensibilisé à la maîtrise de ses consommations en particuliers avec la systématisation et le développement de l'étiquetage énergétique et les futurs compteurs d’énergie électriques intelligents.
Une priorité est faite à la lutte contre la précarité énergétique qui touche plus de 8 millions d’individus. Rénovation prioritaire du parc social, rénovation du parc privé à hauteur de 200 000 logements par an, mise en place d’un bouclier énergétique global substituant les tarifs sociaux actuels du prix de l’énergie, …
Rénover le parc existant du bâtiment : 500 000 logements par an !
La réduction des consommations d'énergie du bâtiment, premier poste de consommation (environ 40 % du total), est "un objectif prioritaire de la transition énergétique".
Il est ainsi prévu un grand programme de rénovation thermique des bâtiments existants, résidentiels et tertiaires. Le rythme moyen étant pour les logements de 500 000 logements rénovés par an, à un niveau BBC, c'est-à-dire basse consommation, équivalent au neuf d’aujourd’hui (RT 2012). L’action de rénovation au niveau BBC s’effectuerait en 1 ou plusieurs étapes dans le temps.
Les autres dispositions pour atteindre cet objectif sont :
- La mise en place de guichets uniques d’information répartis sur tous les territoires. Ils coordonneraient tous les acteurs tels que l’ADEME, l’ANAH, les institutions locales et feraient le lien avec les installateurs artisans, les banques, les énergéticiens comme EDF et GDF SUEZ, …
- La refonte qualitative du DPE (Diagnostic de Performance Energétique) pour le rendre plus technique, plus fiable et plus prescripteur de travaux à réaliser.
- Instaurer un parcours complet de la rénovation thermique en partant de l’audit énergétique jusqu’aux résultats en termes de performances énergétiques. Un contrôle de conformité des travaux étant à l’appui une fois ceux-ci réalisés.
- Instaurer à certaines étapes majeures de la vie du bâtiment une obligation de travaux.
- Revoir l’actuelle réglementation pour l’existant datant de 2007 pour la renforcer et l’amener au niveau BBC, c'est-à-dire de l’actuelle réglementation RT 2012 pour le neuf.
- Changer d’échelle pour la formation des entreprises du bâtiment à un niveau de 300 000 à 400 000 par an et imposer l’éco-conditionnalité des aides publiques telles que le crédit d’impôt. C'est-à-dire les octroyer aux travaux induisant une haute performance énergétique à condition que l’installateur ou l’artisan soit qualifié du label « Reconnu Grenelle Environnement ».
- Développer un cadre financier cohérent des aides actuelles (CIDD, éco-Ptz, CEE, …) et utiliser de nouveaux leviers financiers tels que les tiers investisseurs qui se financent sur les économies d’énergie réellement réalisées.
Optimiser et partager les transports …
Le transport est aujourd’hui le 2ème plus gros poste de consommation d’énergie finale essentiellement sous forme de pétrole. La mobilité des individus doit nécessairement muter vers de nouveaux modes de transport pour la voiture individuelle et pour les transports collectifs. Ces nouveaux modes de transports doivent combiner une maîtrise des distances, de nouveaux véhicules sobres en énergie et peu polluants, afin de présenter le meilleur coût/bénéfice pour la collectivité et l’individu.
Les objectifs de la future voiture individuelle seront qu’elle puisse consommer 2 litres aux 100 km et que puisse se développer la voiture électrique avec les infrastructures adéquates (bornes de charges, batteries, …) pour atteindre un objectif de 10% de déplacements avec véhicules électriques à l’horizon 2030.
Il s’agit également d’étendre le service de voitures partagées, d’instaurer un programme national de « 2 personnes minimum par voiture », d’étudier la possibilité de réduire les vitesses sur autoroutes, routes et en parcours urbain, et de créer des péages à l’entrée des villes.
Pour les transports en commun, ils doivent être nécessairement développés en commençant par une politique d’aménagement du territoire pour réduire l’étalement urbain, continuer à réaménager les déplacements urbains, tels que couloirs de bus, déplacements doux (à vélos), favoriser les circuits courts de déplacements, rouvrir certaines gares rurales pour organiser des pôles multimodaux.
Une réorganisation du travail (travail à domicile, télétravail, vidéoconférences, …) permettra de réaliser simplement d’importantes économies d’énergie tout en apportant un bénéfice pour les usagers et la société : confort de vie, moindre pollution, ...
Les modes de transport des entreprises sont également à étudier pour être valorisés avec une industrie du fret fluvial et ferroviaire.
Bâtir un nouveau mixte énergétique français
4.1) En commençant par diminuer la part du nucléaire
L’objectif du Président de la République, rejeté par certains, est de diminuer la part actuelle du nucléaire de 75 à 50 % dans le mix électrique à horizon 2025. Cependant chacun s’accorde :
- À anticiper la prochaine stratégie nucléaire de la France : maintien, renouvellement du parc, réduction, voire sortie du nucléaire.
- À lancer une étude de faisabilité mesurant l’objectif du Président de la République (réduction de la part nucléaire de 50% pour 2025)
- À lancer une étude multicritères de sureté en matière de détermination si une centrale nucléaire doit fermer ou non ; étude menée sous le contrôle de l’actuelle ASN, Autorité de Sureté Nucléaire.
Un objectif, rappelle le texte. Est notamment évoquée une "étude pluraliste de faisabilité pour préciser les trajectoires permettant d'atteindre les engagements du président de la République". Mais aussi la possibilité d'intégrer dans la loi un pouvoir de l'État de fermer des centrales pour des raisons de politique énergétique. Une telle décision ne peut aujourd'hui être imposée que pour des motifs de sûreté.
4.2) En évaluant l'impact du potentiel des gaz de schiste
Le sujet est loin d’avoir fait consensus entre ceux qui voient une opportunité d’une énergie à moindre coût et ceux qui souligne le fait que cette filière ne fera que retarder notre transition énergétique et notre indépendance à des énergies polluantes. Néanmoins, la synthèse retient la réalisation d’une étude sur l'impact socio-économique, environnemental et climatique de l'exploitation des gaz de schiste en France.
4.3) En encourageant le développement des énergies renouvelables
Le développement des énergies renouvelables est fortement encouragé. La production d’électricité à base d’énergies renouvelable devant atteindre 27% en 2020 entre 30 et 40% en 2030. Cet objectif étant jugé trop ambitieux par certains (MEDEF) et atteignable par d’autres (ONG).
Privilégier le rapprochement physique entre production des EnR et consommation et encourager l’autoconsommation des énergies renouvelables le plus possible pour les ménages comme pour les entreprises et les collectivités. Lotissements et quartiers pourront être amenés à produire leur propre énergie et à la partager tout autour.
Et d’autres actions telles que renforcer la filière bois-énergie notamment en zones rurales et périurbaines, développer des réseaux de chaleur avec énergies renouvelables, valoriser des chaleurs fatales récupérables et obtenues notamment avec la valorisation des déchets, …
La transition énergétique est une chance pour une nouvelle croissance économique
La transition énergétique doit être une 3ème révolution industrielle, comme l’ont été les deux précédentes révolutions industrielles avec la venue du charbon et du pétrole qui se sont succédé et qui ont porté notre croissance. La transition énergétique doit préparer l’après pétrole et ceci au plus tôt. Elle peut être un levier de choc pour réindustrialiser la France et développer des industries communes avec nos partenaires européens.
Nos changements de modes de vie et nos changements de mode de consommations, feront ainsi appel à de nouveaux produits et biens d’équipements, de nouveaux véhicules, de nouveaux services, …, et pourraient ainsi créer de nouvelles entreprises. Plusieurs centaines de milliers d’emploi sont prévus dans le bâtiment, dans les transports et dans l’énergie.
La transition énergétique est source de financement. Le besoin de financement est estimé à 2000 milliards d’euros cumulés jusqu’en 2050. L’avantage est une réduction de notre déficit énergétique (notre dépendance énergétique notamment au pétrole) qui nous coûte cher chaque année. Il est évalué pour la même période jusqu’en 2050 à 3000 milliards d’euros. Ainsi, l’équilibre ressources et emplois se situe pour la France en 2030 selon les scénarios. Pour financer la transition énergétique plusieurs orientations sont possibles, depuis l’appel à la Banque Publique d’Investissement (BPI), l’utilisation des outils financiers publics tels que Caisse des Dépôts, et la fiscalité verte.
Débat sur la transition énergétique
Téléchargez la synthèse de 31 pages
SYNTHESE TRANSITION ENERGETIQUE
Par Philippe NUNES
Ingénieur ENSAIS-ICG et Directeur Général d'XPAIR, il intervient en apportant son éclairage et son expérience de plus de 25 ans dans les métiers du génie climatique et énergétique.
→ Sources et liens :
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J'ai l'impression que le débat sur la transition énergétique a été rude et sans doute riche. Et maintenant, la suite? Le Ministre vient de reporter ses recommandations à .... 2014, pourquoi? ça cafouille au gouvernement, et que font les Verts?