Villes intelligentes - les facteurs clefs de succès

Par Philippe NUNES – Ingénieur ENSAIS – ICG – DG d’Xpair

Cette chronique traite du sujet des villes intelligentes, elle vise en particulier à analyser les facteurs de succès des projets de villes intelligentes, notamment les réseaux d’acteurs, permettant de passer de l’échelle du bâtiment intelligent à celle du territoire intelligent.

Le présent propos s’appuie sur une étude du mois de mai 2017 publiée par l’OID - l’Observatoire de l’immobilier durable (OID) et qui intéressera particulièrement les maîtres d’ouvrages, maîtres d’œuvre et les collectivités de toutes natures.

Rapport OID 2017

L’étude – recommandée à la lecture – cf téléchargement ci-dessous - comporte trois parties :
- La première partie analyse l’intégration et la prise en compte du numérique dans les villes ;

- La deuxième partie présente une vision d’ensemble des différentes thématiques au cœur d’une ville intelligente ;

- La troisième partie, basée sur des entretiens de professionnels au cœur de projet de villes intelligentes comme Montréal, Lyon et Paris, étudie plus particulièrement la coopération entre acteurs au sein de leurs projets respectifs.


Téléchargez l’étude de 74 pages « Villes intelligentes, quelles coopérations ? » – par l’OID

Rapport OID 2017 Villes intelligentes


A travers de nombreux exemples, on remarque que la ville intelligente existe avant tout grâce à l’inclusion et à la coopération entre différents acteurs, qui mettent en commun leurs idées, leurs attentes, leurs compétences et leurs moyens afin d’optimiser les villes. Ces acteurs peuvent être les entreprises et les industriels, qui créent des nouvelles structures d’activités, investissent dans des projets et sont une source de l’intégration de l’innovation technologique dans la vie quotidienne. Pour mettre en place ces innovations et une transition numérique dans les territoires, le secteur privé a besoin de l’aval et de la coopération du secteur public (Etat, collectivités territoriales ou encore Union européenne), qui peut être à l’origine de projets de modernisation, peut contribuer au financement d’une initiative privée ou encore mettre en relation des acteurs.
La troisième grande catégorie d’acteurs de la ville intelligente est constituée par les citoyens et les associations, qui sont usagers de services publics et privés et qui peuvent s’engager dans la réflexion sur les améliorations spatiales et technologiques des villes.
La participation des citoyens, habitants des villes et des travailleurs est valorisée pour mettre à profit l’intelligence collective. De plus, la collaboration entre tous les acteurs du système est fondamentale dans l’adhésion au projet de ville intelligente et son approfondissement.

Nous nous attacherons dans cette chronique à mettre en avant le cas « Lyon Smart Community mené sur le territoire de Lyon Confluence.



1

Le projet - Lyon Smart Community et le Community Energy Management System (CEMS)

Villes intelligentes

Lyon Smart Community et le CEMS

Le projet Lyon Smart Community a été mené sur le territoire de Lyon Confluence de 2011 à 2016 et le développement de certains de ses dispositifs est à présent poursuivi dans le cadre du projet européen Smarter Together.

Ce quartier a été choisi comme territoire-pilote dans l’espace lyonnais, afin d’initier et de tester des technologies japonaises (principalement celles de Toshiba), pour acquérir de l’expérience dans ce domaine et pouvoir les étendre à plus grande échelle.


Ce projet englobe quatre volets :

  • La réalisation d’un îlot mixte à énergie positive, baptisé Hikari ;
  • La mise en place d’une flotte de véhicules électriques en auto-partage dénommée Sunmoov’, se rechargeant sur des bornes alimentées en énergie solaire du quartier ;
  • La réalisation de ConsoTab, dans le cadre de la rénovation de la Cité Perrache, proposant aux habitants des logements sociaux de visualiser directement leur consommation sur une tablette ;
  • La quatrième dimension, celle sur laquelle nous nous focalisons, le Community Energy Management System (CEMS) permet de combiner toutes les données des volets précédents et du quartier Confluence sur une plateforme dans le but d’évaluer la performance énergétique de chaque aspect.

“ Bien réfléchir aux objectifs et surtout anticiper la suite
pour ne pas développer une innovation-test qui s’arrête dès la fin du projet ”

Etienne Vignali, chargé de mission développement durable à la SPL Lyon Confluence


Le CEMS a pour objectif final d’améliorer la performance énergétique des bâtiments et équipements en permettant d’étudier les données qu’ils transmettent, pour savoir d’où viennent les écarts entre les prévisions de consommations et la consommation effective, et pouvoir les corriger. Ces données sont combinées sur une plateforme de données sous forme de prototype industriel présentant cinq objectifs :

  • Evaluer la performance énergétique des bâtiments neufs construits
  • Evaluer la performance énergétique des bâtiments éco-rénovés
  • Permettre aux habitants de visualiser leur consommation d’énergie
  • Visualiser la production et la consommation d’énergie dans le quartier
  • Evaluer la consommation d’énergie des voitures électriques

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Les acteurs du projet

Parce qu’ils impliquent des parties prenantes très différentes, les projets de villes intelligentes requièrent de faire face à des défis liés à une information disséminée et à une multiplicité d’enjeux selon les acteurs.

Dans le cadre de Lyon Smart Community, un accord de financement a initié le projet entre le NEDO (New Energy and Industrial Technology Developement Organization, agence gouvernementale japonaise en charge des technologies et de l’énergie), qui subventionne le projet à hauteur de 50 millions d’euros, et la métropole du Grand Lyon, à fois signataire et commanditaire. A la suite d’un appel d’offre adressé aux entreprises japonaises, Toshiba a été choisi par le NEDO pour mettre en avant les technologies japonaises en France, plaçant Lyon Confluence comme démonstrateur. Toshiba a donc développé la plateforme de données du CEMS, ainsi que les technologies des trois autres volets du projet. La Société Publique Locale (SPL) Lyon Confluence est aménageur du quartier, et a été chargée par la métropole de coordonner le projet Lyon Smart Community, avec Hespul comme assistant à la maîtrise d’ouvrage, puisqu’il avait déjà collaboré avec la SPL sur un projet européen précédent.


“Apprendre, améliorer et continuer”
sont les 3 mots-clés de la smart city selon Pamela Vennin, cheffe de projet Grands projets d’expérimentation et réplication dans le domaine de la Métropole Intelligente à la métropole du Grand Lyon


Ce projet a été initié à partir d’une visite des responsables de la Métropole au Japon, permettant une mise en relation avec le NEDO qui recherchait des territoires-démonstrateurs en Europe.

Pour chacun des volets de Lyon Smart Community, les entreprises et parties prenantes ont été approchées ou sélectionnées par des appels d’offre suite à l’accord de financement, qui cadre les rôles de chacun. Bouygues Immobilier a donc coordonné le projet Hikari, Grand Lyon Habitat celui de ConsoTab à la Cité Perrache, Transdev et le service de mobilité du Grand Lyon ont coopéré pour superviser Sunmoov’, mobilisant chacun les multiples parties prenantes de chacun des différents projets.

Lyon Smart Community étant un projet relativement long, de nouveaux acteurs à impliquer ont été identifiés en cours de projet du fait de l’évolution des technologies et des collectivités (développement des plateformes d’open data par exemple), d’autant plus qu’il s’agit d’un projet expérimental. Ainsi, sur le projet Hikari, le besoin d’une entreprise spécialisée dans le raccordement des flux d’énergie a été identifié après le démarrage du prototype. De même, la plateforme de données Data Grand Lyon s’est créée en cours de projet et y a été associée plus tardivement.


“ Les projets de smart city sont très porteurs pour le public et pour le privé,
car ce sont des partenaires complémentaires ”

Pamela Vennin


Les modalités d’implication des parties prenantes ont varié selon les volets du projet, même si une mission de coordination entre la SPL, les services spécialisés du Grand Lyon et l’entreprise Hespul a principalement été chargée de l’animation, pour faire le lien entre acteurs. Concernant le CEMS, la SPL et Hespul ont coordonné les parties prenantes tout au long du projet, tandis que différents services de la Métropole ont été impliqués pour s’adapter aux évolutions du CEMS, passant de la mission énergie fixant les objectifs, au service numérique pour peaufiner les systèmes en coordination avec Data Grand Lyon. Différents formats d’implication des acteurs ont été mis en place, avec environ deux réunions formelles par an (comités de pilotage) réunissant tous les acteurs du projet pour le pilotage global de Lyon Smart Community (par exemple pour l’évaluation du CEMS par un acteur externe), et des réunions plus fréquentes en petit comité pour la gestion quotidienne.

Si le projet Lyon Smart Community s’inscrit principalement dans une « démarche BtoB », ou business to business, selon Pamela Vennin, certains riverains se sont saisis de ces sujets, comme les habitants de l’îlot Hikari qui se sont constitués en association. Les habitants de la Cité Perrache ont été impliqués et informés lors du déploiement de ConsoTab pour les accompagner dans l’usage de leur tablette, afin de permettre une meilleure exploitation des données dans le CEMS.

Community Energy Management System

Focus sur la gestion de l’énergie : les acteurs impliqués dans le Community Energy Management System


Le projet a fait face à des imprévus lors de sa mise en place du fait de son caractère expérimental. Il s’agit donc d’un processus évolutif d’apprentissage, pour déterminer l’avenir de chaque volet après la phase d’expérimentation, certains étant prolongés et d’autres arrêtés, tels que Sunmoov’. En effet, la flotte de véhicules en auto-partage a été confrontée à des difficultés d’appropriation par les riverains, son périmètre d’usage étant relativement restreint puisque les voitures ne pouvaient se recharger que dans les stations Sunmoov’, uniquement implantées dans le quartier. Ce dispositif a donc été remplacé par le nouveau « Bluely » de Bolloré après la fin de l’expérimentation, qui s’étend sur tout le territoire du Grand Lyon. De plus, le CEMS a été confronté à un problème de disponibilité des données, puisque celles-ci n’ont pu être collectées qu’une fois les autres volets mis en place, fin 2015, laissant un délais court pour le réglage et l’analyse des résultats du CEMS, le projet se terminant fin 2016.


“ Ne pas penser seulement à l’investissement ponctuel. Les coûts de maintenance du projet à moyen terme sont à évaluer assez tôt pour trouver des solutions de financement et, éventuellement, adapter le projet ”
Etienne Vignali


Par ailleurs, la collaboration entre des parties prenantes françaises et japonaises a nécessité un temps d’adaptation de chacun des acteurs aux pratiques des autres, notamment concernant la gestion de projet. Toutefois, la présence d’interlocuteurs français chez Toshiba France et NEDO ont permis de surmonter cet obstacle et de construire un socle de pratiques communes, avec une acculturation progressive entre les acteurs. Ce processus a notamment été possible en anticipant la préparation des réunions, pour aplanir les points divergents au préalable, la réunion devenant le moment de confirmation du consensus.

Sur un aspect plus juridique, le projet a également eu à composer avec les règles strictes en matière de collecte de données, puisque l’agrégation de celles-ci ne peut se faire qu’en respectant un certain pas de temps entre chaque collecte. Il faut donc vérifier que la convention de partage des données soit conforme à la réglementation, impliquant de trouver un équilibre entre ce qui est techniquement possible de collecter, ce qui est légal et ce qui est intéressant pour la collectivité. Concernant la législation également, la métropole n’a pas renouvelé le prototype de CEMS avec Toshiba car dans sa première version, la plateforme ne pouvait être répliquée sans passer par l’entreprise japonaise, menant à un service engageant dans la durée, ce qui est interdit par la réglementation européenne. Cela a nécessité une adaptation, une reformulation et un approfondissement du CEMS après l’expérimentation, dans le cadre du projet Smarter Together, comme le présente la partie suivante.


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Bilan et suites du projet

musée des confluences

Ce projet expérimental a permis de pérenniser certains projets et collaborations. Surtout, cela a constitué un gain d’expérience pour tout le territoire et les parties prenantes, afin de pouvoir étendre les dispositifs à toute la métropole après la fin de l’expérimentation, notamment dans le cadre de Smarter Together. De même, Lyon Smart Community a permis de renforcer les liens du Grand Lyon avec les firmes japonaises de haute technologie et d’accroître la visibilité de la Métropole à l’international. Cela a aussi approfondi les relations de la Métropole avec des acteurs français qui ne se seraient pas nécessairement engagés dans un tel projet expérimental sans l’expérience du NEDO et de Toshiba, permettant à toutes les parties prenantes d’envisager des projets plus ambitieux sur le plan environnemental dans l’avenir.

Le projet européen Smarter Together est piloté par Lyon, en partenariat avec Munich et Vienne.
Le consortium de 30 partenaires (dont Toshiba) s’est fixé pour objectif de proposer des solutions intelligentes reproductibles à l’échelle mondiale pour améliorer la performance énergétique des villes et la qualité de vie des citoyens. Ce projet est une reconnaissance de l’expertise des acteurs de Lyon Smart Community, puisque ce projet s’inscrit dans son prolongement.

Un CEMS nouvelle génération est approfondi à partir du prototype industriel de Lyon Smart Community, et élargi à l’ensemble du territoire lyonnais. Dans un souci de capitalisation, une partie des informations est disponible librement sur data Grand Lyon. Ce CEMS nouvelle version est également développé en partenariat avec Toshiba, et reprend les objectifs initiaux pour les approfondir, par exemple à l’aide des compteurs communicants Linky.

Quelques grandes recommandations sont mises en avant par les acteurs de ce projet. Sur la question des plateformes de données, deux aspects sont centraux. Avec le recul, ils soulignent l’importance d’impliquer le plus tôt possible les services numériques en charge de la gestion des plateformes de données pour bénéficier de leur savoir-faire. Par ailleurs, il est nécessaire d’avoir une plateforme adaptée et correspondant aux objectifs du projet avant de l’étendre à grande échelle, car il est plus difficile de modifier un outil mis en place sur tout le territoire, nécessairement plus lourd.

Sur la question des coopérations d’acteurs, les parties prenantes mettent en exergue l’importance de réaliser des points réguliers pour faire remonter les dysfonctionnements et pouvoir les rectifier rapidement. De plus, ils soulignent l’importance de la préparation avant le lancement du projet. D’une part, dans les projets de ville intelligente, généralement expérimentaux, il faut anticiper dès le lancement que certains aspects pourraient ne pas complètement répondre aux objectifs. De même, selon Etienne Vignali, il est indispensable de bien réfléchir au préalable aux objectifs du projet afin de garder en vue la post-expérimentation, et pouvoir approfondir et/ou agrandir à plus grande échelle les dispositifs, en anticipant les coûts de fonctionnement et de maintenance à moyen terme.


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Conclusion

Et Loïs Moulas, Directeur Général de l’OID, de conclure :
« Cette étude part de deux convictions : le bâtiment ne peut être durable s’il est pensé isolément, et le numérique peut être un formidable outil pour la durabilité de l’immobilier. Ouvert sur son territoire, capable d’évoluer pour s’adapter aux nouveaux usages, lieu de production d’électricité, connecté, le bâtiment durable que nous imaginons est indissociable des autres domaines de la ville intelligente, mobilité, énergie, réseaux urbains, transports et gouvernance.

Les technologies intelligentes apportent aux villes des solutions innovantes afin entre autres de réduire les émissions de carbone, optimiser leurs ressources financières et gérer les flux de trafic.

Collectivités territoriales, entreprises, start-ups, citoyens, associations, établissements d’enseignement, les forces vives sont nombreuses et chacune porte des attentes et intérêts propres, qui se reflètent dans des visions différentes de ce que pourrait être une ville intelligente. La construction d’une vision et d’un langage communs est essentielle. C’est ce que nous avons étudié dans ce rapport. De nombreuses villes ont déjà adopté une approche participative pour développer un territoire intelligent. Elles s’associent à divers acteurs pour définir comment intégrer davantage les nouvelles technologies à leurs services publics et leurs plans de développement économiques. Elles favorisent les initiatives afin de faciliter l’utilisation et le partage des données. Elles s’inspirent des travaux déjà réalisés à l’international pour l’élaboration de leur propre stratégie.

Le concept de ville intelligente vise à faire avancer conjointement développement durable, engagement citoyen et innovation technologique dans nos territoires.

De l’utilisation croissante des énergies renouvelables et de procédés d’écoconstruction, à l’émergence de nouveaux modes de travail et d’habitat liée au numérique, nul doute que le secteur immobilier est en pleine révolution. Dans cette dynamique sans précédent, à nous d’imaginer collectivement les bâtiments et services associés qui répondront aux besoins et usages de chacun. »


Téléchargez l’étude de 74 pages « Villes intelligentes, quelles coopérations ? » – par l’OID

Rapport OID 2017 Villes intelligentes



Chronique et étude mise en avant par Philippe NUNES
Ingénieur ENSAIS-ICG et Directeur Général d'XPAIR, ex-dirigeant de bureaux d’études (Project Ingénierie et Ingetec),
il intervient en apportant son éclairage et son expérience de plus de 25 ans dans les métiers du génie climatique et énergétique.


SOURCE ET LIEN

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