Thomas LEMERLE, Ingénieur conseil Pôle Construction IDF, Pouget Consultants
En imposant les seuils 2025 de la RE2020, le Pinel +, bien qu’étant avant tout un dispositif fiscal, offre au secteur du logement neuf une opportunité pour se préparer de manière efficace aux futures exigences. En ce sens, il peut être vu comme un moyen pour accélérer la décarbonation de la construction des logements neufs. Après une analyse des critères nécessaires à l’éligibilité Pinel +, Thomas Lemerle, Ingénieur conseil chez Pouget Consultants, explique en quoi le dispositif est vertueux pour la décarbonation de la construction tout en proposant quelques évolutions du dispositif.
Le dispositif Pinel + intègre les seuils 2025 de la réglementation RE2020
Le programme de défiscalisation Pinel, Pinel +
Le dispositif Pinel est un programme de défiscalisation qui encourage l'investissement immobilier dans le secteur locatif. Il a été mis en place en 2014 pour stimuler la construction de logements neufs et ainsi répondre à la demande croissante de logements dans certaines zones géographiques , tout en offrant des incitations fiscales aux investisseurs. Depuis 2023, les avantages fiscaux du Pinel sont revus à la baisse. Toutefois, la création du Pinel + permet de maintenir les taux initiaux jusqu’en décembre 2024.
Pour être éligible au Pinel et au Pinel +, plusieurs conditions principales sont requises telles que le plafonnement des loyers, la zone géographique, la durée de location … [1]. Dans cet article, nous n’aborderons que les conditions environnementales et celles relatives à la qualité du logement nécessaires pour être éligible au Pinel +, c’est-à-dire les deux critères de performance environnementale (RE2020 seuils 2025 et étiquette DPE A) et les trois critères de qualité (surface habitable minimale, espaces extérieurs et double-orientation).
[1] L’ensemble des critères est détaillé dans cette note - Cliquez ici
Les critères de qualité d’usage et de confort du logement
Pour être éligible au Pinel +, les logements doivent respecter les critères décrits dans le tableau ci-dessous. Ces exigences sont en cohérence avec le rapport Girometti-Leclerq paru en 2021, devenu depuis, un véritable référentiel sur les critères de qualité d’usage à intégrer aux logements. Néanmoins, il est à noter que ces critères peuvent impliquer une augmentation des émissions de gaz à effet de serre [2], et donc compliquer l’atteinte du seuil 2025 de la RE2020, imposé par ailleurs pour être éligible au Pinel +.
[2] Voir l’article rédigé par Pouget Consultants et l’EpaMarne - Cliquez ici
Les critères environnementaux
RE2020 seuils 2025
Concernant la partie environnementale, les logements doivent respecter dès aujourd’hui les seuils 2025 de la RE2020 pour être compatibles avec le Pinel +. Pour rappel, la Réglementation Environnementale 2020 (RE2020) encadre la performance énergétique et environnementale des bâtiments neufs. En logements collectifs, les seuils des deux indicateurs liés à l’impact carbone sont progressifs :
- « Ic énergie » encadre l’impact carbone des consommations énergétiques
- « Ic construction » concerne les équipements et matériaux de construction
Atteindre les seuils 2025 de la RE2020 sur ces deux indicateurs est possible dès 2023. Plusieurs systèmes énergétiques et solutions constructives sont d’ores et déjà disponibles, présentant des surcoûts maîtrisés : voir nos articles rédigés à ce sujet [3].
En imposant les seuils 2025, le Pinel + impose donc d’aller plus vite que le rythme de la RE2020. Il permet ainsi à la filière bâtiment de se préparer plus efficacement aux prochains seuils, et de développer les bonnes pratiques qui permettront une décarbonation progressive de la construction neuve.
[3] Voir les 2 articles de Pouget Consultants : Cliquez ici - Cliquez ici
Le DPE A et ses limites
Le deuxième critère environnemental permettant d’être éligible au Pinel + est l’atteinte de l’étiquette A du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE). Le DPE est un dispositif s’appliquant aux bâtiments existants ou neufs, et permettant d’évaluer la performance énergétique et climatique.
Depuis la réforme de 2021, l’étiquette affichée (A à G) correspond à la plus mauvaise performance du logement entre les consommations en énergie primaire (CEP) et les émissions de gaz à effet de serre liées aux consommations énergétiques (EGES).
Graphique présentant les seuils des étiquettes DPE
Pour un bâtiment soumis à la RE2020, l’étiquette atteinte sera A, B ou C suivant les choix énergétiques et la qualité de l’enveloppe thermique du projet. Néanmoins, nous allons voir que le DPE n’est pas particulièrement adapté aux projets de constructions neuves, et l’atteinte du DPE A pour tous les logements est loin d’être évidente, ce qui complexifie fortement l’éligibilité au Pinel +.
Un DPE au logement ou au bâtiment ?
Le premier obstacle réside dans le fait que le DPE et la RE2020 n’utilisent pas la même méthode de calcul. Celle du DPE est beaucoup plus simple, mais la principale différence se situe au niveau du périmètre : le calcul RE2020 est réalisé à l’échelle d’un bâtiment, alors que le DPE sera bien souvent évalué à l’échelle du logement [4].
Pour faire la passerelle entre le calcul RE2020 (bâtiment) et DPE (logement), des clés de répartition [5] sont utilisées. Ces clés sont relativement simples et dépendent de peu de paramètres : la SHAB, la surface des parois déperditives, l’orientation et la surface des baies.
Plan d’un bâtiment avec les étiquettes DPE atteintes
[4] Seuls les bâtiments avec une solution de chauffage et eau chaude sanitaire (ECS) collective sans système de comptage par appartement pourront se passer d’un calcul DPE par logement. Mais cette configuration est rare aujourd’hui.
[5] Voir Annexe 14 de l’arrêté du 31 mars 2021
Ainsi, entre un logement « favorable » et un logement « défavorable », il peut y avoir un facteur 2 sur les consommations affichées dans le DPE ! Au sein d’un même bâtiment, on pourra donc avoir un logement étiquette A (T4, étage intermédiaire et exposé sud) et étiquette B (T2, RDC et exposé nord).
L’étiquette A étant nécessaire pour bénéficier du Pinel +, la compréhension des subtilités de la méthode de calcul est donc indispensable pour pouvoir anticiper quels logements seront étiquette A ou non.
Comment assurer l’atteinte de l’étiquette A ?
Le système énergétique le plus efficace sera de mettre en œuvre une pompe à chaleur pour atteindre le DPE A. Cette étiquette A sera atteinte dans quasiment tous les cas, sauf dans certaines zones climatiques en altitude (H1c par exemple) ou pour des logements très défavorables (T1 au RDC orienté nord).
Pour les autres systèmes énergétiques, la situation se complexifie.
Pour la solution hybride gaz + PAC, l’atteinte du DPE A va dépendre du taux d’hybridation. Si le seuil Ic énergie 2025 est atteint de justesse, le DPE à l’échelle du bâtiment sera à la limite entre étiquette A et B (en bleu sur le graphique ci-dessous). À l’échelle des logements, l’étiquette A sera atteinte seulement pour environ la moitié des logements (T1-T2 étiquette B, T3-T4-T5 étiquette A). C’est souvent le cas lorsque la PAC fonctionne seulement sur un seul usage (ECS traditionnellement) et le gaz produit la totalité du chauffage et l’appoint ECS.
Pour s’assurer de l’étiquette A sur tous les logements avec la solution gaz + PAC, il faudra viser un taux d’hybridation plus important. Cela implique généralement que la PAC fonctionne au minimum sur le chauffage et l’ECS. Par exemple : la PAC couvre 50% des besoins ECS et 20% de la puissance chauffage.
Le cas des réseaux de chaleur urbains (RCU) est le plus épineux. Tout d’abord, les RCU sont plus ou moins vertueux : leur contenu carbone peut varier de 10 à 350 gCO2e/kWh en France (la moyenne se situe autour de 100 gCO2e/kWh). Pour atteindre l’étiquette A sur la partie EGES pour tous les logements, il est préférable que le RCU ait un contenu carbone inférieur à 60 gCO2e/kWh, ce qui est le cas de seulement un tiers des réseaux actuellement.
Deuxième point, les RCU sont peu performants sur l’indicateur CEP. Le contenu carbone du RCU n’aura pas d’incidence sur cet indicateur (voir graphique ci-dessous). Il faudra donc renforcer fortement l’isolation du bâtiment, si on veut s’assurer que tous les logements atteignent l’étiquette A lorsque le projet est raccordé à un réseau de chaleur.
Graphique présentant les étiquettes atteintes pour différents systèmes énergétiques (à l’échelle du bâtiment)
Le DPE est-il adapté à la construction neuve ?
1 - Temporalité du DPE. Au contraire du calcul RE2020 qui est réalisé au moment de la conception, le DPE est réalisé à la livraison du bâtiment. De plus, le DPE n’est pas réalisé par le bureau d’études thermiques de conception, mais par un diagnostiqueur certifié. Certes, il peut être possible d’estimer quels logements seront DPE A dès le début de la conception, mais cela nécessite un calcul dit « pièce par pièce » qui alourdit fortement le temps d’étude. Pour toutes ces raisons, il est difficile de garantir à l’investisseur l’atteinte du DPE A avant la livraison, ce qui rend compliqué l’engagement du maître d’ouvrage dans le dispositif Pinel +.
2 - Évolution des logements. En construction neuve, la conception des logements évolue jusqu’à la fin du chantier. Par exemple, il est fréquent de rassembler plusieurs logements ou les diviser. En divisant un T4 pour créer 2 T2, on passera souvent d’une étiquette A (T4) à une étiquette B (2 T2) car les petits logements consomment plus d’ECS par m² ce qui dégrade leur classement DPE. Cette approche va à l’encontre de l’orientation de la RE2020 qui caractérise la performance à l’échelle du bâtiment, et cela rend plus difficile la compréhension et l’anticipation du DPE A.
3 - Périmètre de calcul. Si seulement certains logements présentent une étiquette B, on peut être tenté d’améliorer spécifiquement l’isolation de ces logements. Mais ce sera peu efficace, car le calcul RE2020 est réalisé à l’échelle du bâtiment. Ce calcul sert de donnée d’entrée pour réaliser les DPE, et donc les améliorations seront donc diluées sur l’ensemble des logements. Nous l’avons vu dans les parties ci-dessus, les calculs DPE et RE2020 n’ayant pas les mêmes échelles de calculs, cela complexifie les études et la garantie d’obtenir l’étiquette DPE A.
4 - Modulations. Il n’y a pas de modulation des seuils dans la méthode DPE, au contraire de la RE2020 qui module la valeur des seuils en fonction de la zone climatique, de l’altitude ... Il sera donc plus compliqué d’atteindre le DPE A dans les nord de la France que dans le sud-est, où les consommations de chauffage seront plus faibles. Ce sera même très compliqué d’obtenir l’étiquette A dans les zones en altitude (cela implique de construire un bâtiment de type « passif »). C’est contraire au principe de la RE2020 qui veut des contraintes réglementaires homogènes dans toute la France.
5 - Réseaux de chaleur. Les stratégies de décarbonation à l’échelle nationale (SNBC notamment) tablent sur un fort développement des réseaux de chaleur. De plus, les lois Énergie Climat de 2019 et la loi Climat et Résilience de 2021 prévoient un classement automatique des réseaux de chaleur, sous certaines conditions, notamment une part d'énergies renouvelables supérieure à 50%. Ce classement impose le raccordement au réseau de bâtiments neufs dans un périmètre défini, dans le but de favoriser et de soutenir le développement durable des réseaux de chaleur alimentés par des énergies renouvelables ou de récupération.
Ainsi, la RE2020 a introduit l’indicateur CEP,nr pour valoriser les RCU intégrant une part d’EnR plus ou moins importante. Les consommations EnR du RCU sont alors considérées comme nulles. Dans la méthode DPE, cette valorisation n’est pas reprise, et les RCU ne permettent pas d’avoir des niveaux de consommation correspondant à l’étiquette A. La méthode RE2020 nous parait donc plus adaptée que le DPE pour favoriser le développement massif des réseaux de chaleur.
Conclusion et propositions
En imposant les seuils 2025 de la RE2020, le Pinel + offre au secteur du logement neuf une opportunité de se préparer de manière plus efficace aux futures exigences. Les solutions techniques existent déjà, et peuvent ainsi se développer continuellement, plutôt que d’attendre une rupture brutale à chaque échéance. L’anticipation des prochains seuils est indispensable si le bâtiment veut réussir sa transition.
Le Pinel + prendra fin en décembre 2024. Néanmoins, il pourrait être prolongé, ou un autre dispositif pourrait être créé. Il nous parait indispensable de continuer à anticiper les seuils de la RE2020 et d’accompagner cette démarche par ce type de dispositif fiscal.
Nous avons vu que le DPE ne parait pas être l’outil le plus adapté pour la construction neuve. Nous proposons de retirer le critère « DPE A » pour rendre un logement neuf éligible au dispositif Pinel +. En effet, au regard de l’ensemble des éléments évoqués sur ce sujet dans cette note, c’est le point le plus inadapté techniquement et incohérent en termes de performance environnementale.
Pour conserver l’ambition initiale du Pinel + et dans la droite ligne des objectifs de la SNBC, nous proposons de remplacer l’exigence de DPE A, par des objectifs exprimés sur des indicateurs de la RE2020 et dont l’incidence technique serait similaire en termes de performance énergie-carbone :
- Un renforcement du seuil Ic énergie à 160 kgCO2e/m² (seuil 2022 en maison individuelle) avec dérogation pour les RCU,
- Un renforcement du seuil Cep,nr de 10%.
Par Thomas LEMERLE, Ingénieur Conseil chez Pouget Consultants
Source et Lien
Pouget Consultants, pour la construction neuve
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