Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Si on vous dit « la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2050 est une priorité absolue », et si on vous dit aussi « l’électricité va devenir une énergie encore plus utilisée dans quelques décennies », et si on vous dit encore « le bâtiment est le premier consommateur de cette électricité », alors, vous vous sentez investi d’une mission d’une importance capitale : contribuer à faire consommer moins d’électricité dans les bâtiments et en même temps, faire en sorte que cette électricité soit la moins émettrice en GES. |
1 - Un état des lieux qui rend perplexe
Actuellement, plusieurs équivalences énergie/carbone coexistent. Selon que l’on délivre une étude thermique RT 2012 lors de la livraison d’une construction, ou bien son DPE, ou bien encore son dossier pour l’obtention d’un label dans le cadre de l’expérimentation E+C-, les équivalences électricité/carbone sont différentes :
Dans la RT 2012, aucune modulation liée au GES n’est prévue pour les kWh électriques. Ces derniers sont donc considérés implicitement comme étant aussi émetteurs que ceux issus des énergies fossiles traditionnelles (gaz, fioul, charbon), que ces kWh électriques soient utilisés seulement l’hiver (chauffage) ou le reste de l’année (ECS, éclairage, refroidissement, auxiliaires).
Dans le DPE, une équivalence est définie depuis 2006 : l’étiquette CO2 est établie avec des kWh électriques carbonés à 140 g pour le chauffage et à 40g pour tous les autres usages. Rappelons que dans le DPE, les équivalences énergies fossiles/carbone s’échelonnent entre 224 et 380 g/kWh. Une certaine dissonance donc avec le calcul et les exigences de la RT.
Dans le référentiel E+C-, chaque kWh électrique chauffage est sensé émettre 210 g eqCO2 et pour le reste, entre 65 et 121 g selon les usages et le type de bâtiment.
L’explication de ces incohérences est assez simple. Le sujet est hautement complexe. Les réponses ne sont pas exclusivement scientifiques. Elles découlent également d’une composante politique liée à des équilibres à maintenir entre énergies, c'est-à-dire, d’un rapport de force entre les grands énergéticiens, principalement : EDF, Engie et Total. Ainsi, selon la date et le contexte politique, les valeurs varient … 10 années séparent la sortie du DPE de celle du référentiel E+C-. Entretemps, la RT 2012 a pénalisé l’électricité en alignant ses exigences sur celles des énergies fossiles avec le coefficient 2,58 sans aucune contrepartie sur le carbone.
Ce n’est pas un jugement. Juste un constat. Nous sommes dans un flou qui n’a rien d’artistique !
Peut-être pourrons-nous en sortir grâce à deux évènements qui ont lieu en ce moment. Celui d’une concertation sur la future réglementation, pour l’instant dénommée RE 2020, qui s’appuiera sur l’expérimentation E+C-. Cette concertation devrait se terminée avant les vacances. Nous allons y revenir plus loin.
Et celui du débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) lancé le 19 Mars 2018 et devant se clore fin Juin. La PPE devrait être adoptée avant la fin de l’année et dessiner le paysage énergétique sur les 10 années à venir.
2 - La PPE, un grand débat déjà joué ?
Initiée par la Commission Nationale du débat public, en application de la loi sur la Transition Energétique pour la Croissante verte (08/2015), la PPE n’a pas été demandée par l’exécutif …
Un dossier de 168 pages a été préparé par le Ministère de la Transition écologique pour alimenter le débat afin que la concertation publique débouche sur une feuille de route pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028.
Mais ce fameux dossier, base de discussion, prête à sourire. Il y est bien rappelé les engagements pris dans la loi d’Août 2015 : en 2030, réduction de 30% des énergies fossiles, 1/3 des besoins couverts par les EnR, et la part du nucléaire réduite à 50% ... non pas en 2025 comme prévu, mais plus tard, et enfin, la division par 2 des consommations énergétiques en 2050. Mais, sur les 5 scénarii possibles, seuls les deux plaçant au plus haut la part du nucléaire ont été proposés (1).
Par ailleurs, aucun scénario d’évolution des consommations, ni d’objectif pour les EnR après 2023 sont précisés. Quant au nucléaire, il passerait de 75% à 50% « dès que possible, selon un rythme de fermeture des centrales en cohérence avec l’évolution de la demande d’électricité et de la progression des EnR et du parc thermique » (!). Cette assertion sans scénario est digne d’Ubu. Selon le Cabinet de Nicolas Hulot, cela pourrait avoir lieu vers 2035 … mais avec quelles hypothèses ce calendrier ?
L’organisation de ce débat public aurait mérité une base de travail moins « artistique ». Songez : une plate-forme pour les contributions en ligne (ppe.debatpublic.fr), des réunions organisées dans les territoires, des ateliers d’informations, des échanges entre experts, un panel de 400 personnes tirées au hasard pour se prononcer sur ces débats. Tout cela reste en « apesanteur » (1). Une première version a même déjà été rédigée en parallèle à cette consultation publique. Nicolas Hulot déclarait pourtant que l’exécutif serait « attentif » à la voix des citoyens. Il semblerait, suite à sa récente déclaration en Mai, qu’il se pose de sérieuses questions sur cette attention portée par Emmanuel Macron et Edouard Philippe, ouvertement pro-nucléaires, et en conséquence, sur sa persistance au sein de gouvernement.
En outre, le débat franco-français sur la question énergétique est aussi maladroit (euphémisme) que l’attitude unilatérale et soudaine de l’Allemagne sur sa politique énergétique après Fukushima. La première leçon de la transition énergétique allemande aura été qu’il ne faut plus concevoir cette nécessité à l’échelle d’un seul pays (2). Les interconnexions sont telles qu’il faudrait, à court terme, poser cette question au sein d’une grande partie de l’Europe.
Pour l’instant, le débat sur la PPE se déroule essentiellement à l’ombre de l’atome français. LA question est : quel mix électrique et quelles parts respectives pour les EnR et le nucléaire ? Les évolutions des consommations ou celles des énergies thermiques renouvelables (bois, biogaz, solaire, …) semblent représenter des sujets tout à fait secondaires.
La filière électrique prend des positions, voire, met en place des stratégies a priori contradictoires. Soit, l’argument économique est mis en avant pour affirmer assez grossièrement que les EnR coûteront toujours plus chères que l’atome, même à terme (exemple (3)), soit EDF mise quand même sur les EnR… (exemples : (4) et (5)) !
Et pendant ce temps, l’EPR, fer de lance de la filière, persiste dans de réels soucis techniques, de calendrier, et économiques (6) et (7).
Dans un tel contexte, il n’est pas certain que pourra se dégager rapidement une feuille de route explicite pour les dix années à venir. Pour ce qui est du contenu carbone de l’électricité et son évolution, on verra cela … plus tard. Pourtant, les acteurs du bâtiment ont besoin, pour bien faire, d’un cadre d’hypothèses solides et plausibles sur plusieurs décennies.
3 - La RE 2020 dans les alambics
Après le dérapage de Julien Denormandie au dernier colloque EnerJ-meeting du 8 Mars 2018 (cf. mon humeur de Mars 2018), l’administration a rattrapé les dires schématiques du Secrétaire d’Etat en avançant l’idée, non pas d’un découplage de l’énergie et du carbone … mais un peu quand même, avec une solution hybride !
Les discussions actuelles tournent autour d’un niveau d’exigence de « base » établi à partir d’un niveau énergétique et d’un niveau carbone minimal. Donc, une approche identique à celle du référentiel E+C-. A partir de cette « base », il serait demandé un effort supplémentaire pour atteindre la future exigence RE 2020. Soit par un effort purement énergétique, soit par un effort purement carbone, soit éventuellement par un mix. Quoiqu’il en soit, cet effort supplémentaire devra être d’intensité « équivalente », qu’on choisisse un chemin basse énergie, bas carbone, ou une combinaison des deux.
Deux idées alimentent aussi les débats actuels. La première concerne l’échelle Carbone. Les premiers retours terrains montrent que le niveau 1 est souvent facile, le 2 souvent impossible. Il est étudié un niveau intermédiaire (1,5) qui pourrait servir de valeur pivot pour définir la fameuse « base ». La seconde issue de la filière béton, part du constat qu’après 50 ans d’exploitation, période concernant le bilan énergie/carbone du référentiel, un bâtiment continue à stocker de l’énergie grise.
Tentons d’illustrer le propos avec des hypothèses fantaisistes. Pour l’instant, personne ne peut avancer quels seront les niveaux d’exigence de la RE 2020. Imaginons que la « base » soit équivalente aux niveaux E2-C1 du référentiel E+C- et, que pour atteindre la conformité à la RE 2020, il faudrait en plus, au moins 1 niveau de plus en E ou bien, ½ niveau en plus en C.
Imaginons encore que l’équivalence E/C permet de répartir de manière fondée les efforts supplémentaires entre E et C à partir de la « base ». Ceci donnerait une limite de la zone RE 2020 avec moins d’un niveau de plus que la base pour E et, en même temps, moins de ½ niveau de plus que la base pour C. La limite pour la RE se situerait au-dessus d’une ligne joignant les points E3C1 et E2C1,5 selon une combinatoire de couples EyCx. où 2 < y < 3 et 1 < x < 1,5.
Ici sont représentées graphiquement 2 tendances de l’exigence pour une équivalence E/C donnée : le trait pointillé gras privilégie la combinatoire ; le trait pointillé fin pénalise la combinatoire. Tout dépendra aussi de la décision publique pouvant privilégier, soit la réduction de la facture énergétique (E), soit celle des émissions de GES (C).
Ce schéma, qui s’appuie à la lettre sur le référentiel E+C-, représente mal l’objectif réel, celui de la réduction des émissions de GES, c'est-à-dire, juste l’axe « Carbone ». En effet, sur le plan E/C, l’énergie d’exploitation du bâtiment figure à la fois dans l’ordonnée et dans l’abscisse. Le seuil Carbone comporte deux composantes : EgesPCE liées à l’énergie grise des produits de construction et Eges qui est la somme de EgesPCE avec les émissions liées aux énergies consommées durant 50 ans.
Pour l’instant, après 45 années de RT, la culture « énergie » ne peut pas s’effacer d’un coup devant celle, balbutiante du « carbone ». Il paraît prématuré d’exprimer l’exigence de la RE uniquement avec le carbone.
Revenons sur l’intensité de l’effort à fournir en plus de l’obtention du niveau de « base ». Cette intensité pourrait être mesurée sur une échelle physique qui suppose une équivalence claire, pérenne entre les énergies et leurs émissions de GES, et qui devrait être applicable dans toutes les démarches, DPE, études de faisabilité, audit, …
Nous venons de constater qu’à travers les tractations autour de la PPE, si cette voie est choisie, elle se fera probablement avec des équivalences au moins autant politiques que scientifiques. Et pour l’heure, le politique reste sensible aux pressions des filières énergétiques et de leurs lobbies et raisonne selon une approche purement économique court-terme (construire vite et beaucoup, donc pas cher). De là à conclure de manière pessimiste que si les hypothèses s’appuient principalement sur le politique, les futurs niveaux d’exigence de la RE 2020 peuvent définir une nouvelle feuille de fausse route.
La physique est têtue. En 2050, il faudra avoir réellement atteint le facteur 4.
Et ce n’est pas avec une succession de postures et de décisions à court terme que nous parviendrons à minima, à stabiliser le climat que nous aurons joyeusement et collectivement dégradé durant des décennies.Bernard SESOLIS Expert Energie Environnement
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Energie quartbone (1) ou/et (2)
(1) : fackteur 4
(2) : quatuor d'énergéticiens éduqués à la Sorbonne, grands virtuoses du trombone à jouer j'encharbonne pour durablement remplir leur bonbonne.