Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 04 Juillet 2019
Cet automne a vu une série d’évènements politiques s’entrechoquer à tel point qu’il est difficile de classer ses idées, faire évoluer son point de vue de manière pertinente, … avancer en quelque sorte !
En écoutant « les papous dans la tête » sur France Culture comme tous les dimanches de 12h45 à 13h55 (pas besoin d’être intello pour suivre cette émission littéraire qui est souvent brillante et drôle), une des protagonistes pastichait une soutenance de thèse sur la digression. Et bien sûr, cette soutenance assez hilarante était elle-même une succession de digressions. Cela m’a donné l’idée d’utiliser la digression qui se prête bien à l’actualité.
1/ Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose …
Le mensonge politique est curieusement inhérent à l’exercice. Le politique exposant la vérité ou, au moins, la réalité, est souvent rejeté par « le peuple ».
Les Etats-Unis montrent une fois de plus qu’ils sont capables du meilleur et du pire. Nous sommes dans cette seconde phase. Elire un Donald-président aussi bêtement climato-sceptique est le symptôme que l’américain moyen se moque du changement climatique et des faits avérés et est très réceptif aux « post-vérités ». Cette lame de fond du rejet des élites n’est pas unique expression de la colère, loin de là ! Le Brexit choisi sur la base des énormités de Boris est mû selon le même mécanisme. Tourner le dos à l’Europe semble également affecter l’attitude anglaise face aux objectifs environnementaux du vieux continent. Le Royaume-Uni ne revient pas sur le charbon comme Trump, mais ouvre ses bras atlantistes au gaz de schiste américain (1) et autorise la fracturation hydraulique dans le Lancashire (2). Ce n’est pourtant pas le moment (3).
D’ailleurs, cela me fait penser aussi que les anglais ont fini par accepter l’EPR (4 et 5) ! Ils devront attendre longtemps avant le premier kWh électrique issu de Hinckley Point. Au fait, vous avez vu les problèmes de couvercles de nos centrales ? Il n’y a pas que les EPR qui posent problème. L’Agence pour la Sûreté Nucléaire (ASN) a demandé à EDF de vérifier 18 réacteurs, 7 sont déjà à l’arrêt, 5 seront stoppés prochainement. EDF dit pouvoir maintenir la production en 2016 à 380-390 TWh et même passer à 390-400 TWh en 2017. Formidable ! Notre consommation électrique va pouvoir encore augmenter ... et ce, en toute sécurité.
Merci vraiment. Merci.
A ce propos, j’ai vu à la télé un documentaire (6) qui rappelle que les choix technologiques du nucléaire civil dans les années 70 ont été inspirés par le lobby militaire ! Le réacteur à eau pressurisée s’est développé au détriment de la filière Thorium, plus prometteuse ou moins pire selon les avis, car moins dangereuse et moins pollueuse.
La guerre entre la voiture électrique et la voiture à pétrole à la fin du 19ème siècle s’est conclue par la victoire de cette dernière, alors que la voiture électrique était plus rapide et plus silencieuse. Imaginez 120 ans de R et D sur la voiture électrique, sur le stockage. Mais nous n’allons pas refaire l’Histoire.
En parlant d’histoires justement, certains politiques français nous en racontent de drôles. Devinette : qui a dit le 22/09/2009 : « Nous savons que nous devons limiter [le réchauffement] à 2° et que si nous ne réussissons pas, ce sera la catastrophe. Ce point ne supporte plus aucun débat » ? Le même 7 ans plus tard, le 14/09/2016 : « Qu’il fallait être arrogant comme l’Homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat. Cela fait 4 milliards d’années que le climat change » et « La première cause de dégradation de l’environnement, c’est le nombre d’habitants sur la planète » ? Vous avez sûrement deviné qui est cette girouette qui se prend pour une éolienne … A propos d’une très probable alternance au sein de l’exécutif français, un chercheur à Sciences Po pense que la polarisation gauche/droite s’affirme sur la question environnementale : la gauche dans son ensemble serait moins accro au productivisme alors que la droite, se concentrant plus selon moi sur les questions sécuritaires et migratoires, serait moins sensible à l’état d’urgence concernant l’écologie (7). Que va devenir la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte dans le futur quinquennat ? A ce propos, qu’en sera-t-il de la programmation pluriannuelle de l’énergie, PPE, publiée au JO le 28/10 et censée mettre en application cette loi. Je vous invite à plonger dans cette lecture. On y retrouve des chiffres proches de ceux déjà affichés durant le Grenelle de l’environnement … il y a 9 ans ! Pas de contradictions donc. On se hâte lentement, c’est tout. C’est d’ailleurs le constat d’un récent rapport parlementaire (9). On risque encore de décélérer.
2/ Un peu d’optimisme, que diable !
Tout n’est pas noir. Le ciel se dégage.
L’accord de Paris est entré en vigueur le 04/11/16 après avoir été ratifié par au moins 55 pays représentant 55% des émissions de GES. La COP 22 n’a pas été la catastrophe annoncée suite à l’élection de Monsieur Trump. Les négociations ont confirmé la volonté de mettre en pratique l’accord de la COP21et affirmé que le climato scepticisme chronique du prochain exécutif américain pourrait se heurter à la communauté internationale et même à de grandes entreprises américaines. Cela a fait dire à un commentateur expert de la politique, dont je tairai le nom, que Donald Trump, par son pragmatisme va évoluer et passer du statut d’homme d’affaires n’ayant qu’une vue court-termiste à celui d’homme d’état avec une vision plus long-terme. Comment croire à une telle assertion ? Il ne faut plus rien parier sur la personne de D.Trump. En outre, en démocratie, le politique travaille a priori pour le bien public mais ne pense qu’à son maintien au pouvoir, donc, sans vision lointaine. Seule, l’échéance électorale compte. En dictature (Chine, Corée du Nord, Emirats, ou en autocratie (Russie, Turquie, …), c’est l’inverse. Le dirigeant ne travaille que pour lui et ses proches et il est là pour longtemps. Paradoxalement, il pourrait se payer le luxe d’une vision long terme.
Et c’est là un dilemme. La démocratie et le développement durable sont-ils donc compatibles ? La globalisation, le développement technologique, la libre circulation des biens, des individus, l’ouverture aux autres, tous ces thèmes seraient des corollaires d’une organisation régulée des multiples démocraties.
Mais la réalité, loin de correspondre à cette vision idéalisée, s’en tient à la concentration des richesses, la surexploitation des ressources et des hommes, la monopolisation culturelle, le dumping social, le rejet des populations ne pouvant ou ne voulant pas suivre ce schéma.
D’où des mécanismes de repli sur soi, sur ceux qui se ressemblent, qui partageraient les mêmes fantasmes historiques, culturels et cultuels, un sentiment commun d’être menacé par un bouc émissaire, celui qui est différent. Certains politiques surfent sur cette vieille recette qui a marché de nombreuses fois et qui marche encore et fait croire à leurs électeurs potentiels l’efficacité de la vengeance par les urnes. En substance : « Puisqu’on me donne la parole, eh bien je vais dire à tous ces dirigeants, à toute cette élite qui profitent pendant que moi, je rame, que je fais confiance à quelqu’un qui me débarrassera de l’Autre ».
Heureusement, parmi ceux qui ne croient plus les élus ou qui n’en attendent pas grand-chose, certains se sont pris en main au lieu de compter sur l’homme … ou la femme providentiel(le).
3/ " Le coup d’état citoyen "
C’est le titre d’un ouvrage écrit par Elisa Lewis et Romain Slitine (10) cité dans le billet de Caroline Broué sur France Culture le 15/10/2016, 8h45 – 9h (11) qui évoque l’expérience du groupe Archer, association d’aide à l’emploi, dans la ville de Roman sur Isère, dans la Drôme.
Cette ancienne capitale de la chaussure a subit comme beaucoup de ville moyenne, l’essor puis le déclin d’une mono-industrie. Plutôt que d’attendre que des entreprises viennent s’implanter via des moyens institutionnels tels que le markéting territorial ou l’obtention de subventions, le groupe Archer s’est constitué pour créer sur place des entreprises avec un mot d’ordre aussi simpliste qu’efficace : l’emploi pour tous, c’est possible… dans une ville où le taux de chômage atteignait 25% ! Cette expérience démarrée il y a 20 ans, crée actuellement 1 200 emplois par an dans le bâtiment, les services à la personne et des secteurs industriels variés (vente de fibre optique, filières bio, relance de la chaussure de qualité « made in Roman », reprises d’entreprises en difficulté, sous-traitances de groupes internationaux selon une logistique « circuit-court ». Du coup, beaucoup moins de personnes exclues ou de chômeurs longue durée.
Cet exemple illustre ce que je crois être un fondement du développement durable : faire confiance aux locaux, valoriser ces savoir-faire plutôt que laisser s’imposer des modèles passe-partout s’appuyant sur l’idée perverse que la modernité n’est issu que du progrès technologique et de la concentration de la puissance économique.
Coexister avec les GAFA (acronyme des Google, Apple, Facebook, Amazon), somme toute, oui … le rapport de force est là pour l’imposer. Mais pas s’écraser devant les GAFA. Ou comment superposer la maille mondialisée de la communication avec celle des réseaux locaux.
Plein d’autres sujets méritaient d’autres digressions, comme par exemple, l’annonce mi-Novembre du nouveau label E+C-, cadre incitatif de l’expérience « énergie-carbone » ou encore, le 28ème sommet des parties du protocole de Montréal qui s’est déroulé à Kigali (Rwanda) les 14 et 15 Octobre, ratifiant la fin proche des HFC, ou la question de la sécurité et l’emploi d’objets connectés, …
De beaux sujets à venir pour les lecteurs-experts d’Xpair ou pour mes prochaines humeurs en 2017.
En attendant, excellente fin d’année !
Bernard SESOLIS
Expert Energie Environnement
- « Le Royaume Uni dit oui au gaz de schiste américain », Le Monde, 29 Septembre 2016 - Eric Albert
- « Envers et contre tous, Londres aura son gaz de schiste», Le Monde, 8 Octobre 2016 - Eric Albert
- « Que reste-t-il des gaz de schiste ? », Le Figaro, 25 Octobre 2016 - Frédéric de Monicault
- « Hinkley P : deux EPR à livrer d’ici à fin 2025 », Le Monde, 17 Septembre 2016 - Jean-Michel Bezat
- « Le jour où EDF a gagné sa bataille d’Angleterre », Le Figaro, 30 Septembre 2016 - Bertille Bayart, Florentin Collomp, Frédéric de Monicault
- « Thorium, la face gâchée du nucléaire », Arte, 20 Septembre 2016 - documentaire de Myriam Tonelotto
- « Une droite de plus en plus hostile à l’écologie », Le Monde, 4 Octobre 2016 - Simon Persico, CEE Sciences Po.
- « La programmation pluriannuelle de l’énergie confirme ses ambitions », Le Moniteur.fr, 2 Novembre 2016
- « La loi TECV trop lente en application », Le Moniteur.fr, 26 ctobre 2016 - Adrien Pouthier
- « Le coup d’état citoyen », Elisa Lewis et Romain Slitine, Editions La Découverte, 2016
- Il est possible d’écouter cette brève émission en podcast.