Par Alain MAUGARD, président de QUALIBAT le 04 Juillet 2019
Suite au plan dressé dans la précédente chronique, celle-ci apporte son éclairage sur le bâtiment bas carbone et justifie cette logique.
La question du bâtiment bas carbone avait été évacuée lors du Grenelle à l’horizon 2020. Il y avait une compétition entre les 2 énergies phares, l’électricité et le gaz et leur valeur carbone annuelle. La valeur carbone annuelle du gaz étant plus exacte et maîtrisable car quel que soit le moment où l’on fait brûler du gaz, il dégage la même quantité de carbone. En revanche, en ce qui concerne l’électricité, à chaque instant T elle n’est pas carbonée de la même façon. Cela dépend comment et à partir de quelle origine l’électricité est produite. Si l’électricité est fournie à partir du nucléaire et des barrages hydrauliques, cette électricité est peu carbonée. Si l’électricité est produite à partir du solaire photovoltaïque ou de l’éolien, elle est de même très peu carbonée. Des exemples en Allemagne où toutes les EnR couvrent la totalité des consommations et permet de fournir une électricité totalement décarbonée. Ainsi, à l’époque lors de la mise en place du Grenelle, il était difficile de traiter de ce problème lié à l’électricité et il a été décidé de le renvoyer à l’horizon 2020, étape du bâtiment à énergie positive, sous-entendu à bas carbone.
Alors, pourquoi cette question revient dans l’actualité en particulier réglementaire ? Tout simplement parce qu’il est urgent de prendre en compte les ordres de grandeur liés au carbone.
1/ Les ordres de grandeur liés au carbone
En premier lieu, prenons un bâtiment conforme à la RT 2012. A la question combien de Kilo équivalent CO2/m².an consomme-t-il, la réponse est en moyenne entre 5 à 10 Kg éq CO2/m².an. Il faut comparer ce chiffre à ce qu’était un logement mal classé de classe « G » avec une consommation carbone de 80 Kg éq CO2/m².an, voire pour des bureaux de classe « G » 145 Kg éq CO2/m².an. Soit avec la RT 2012 attribué à des bâtiments basse consommation, une diminution quasiment par 10 de l’émission de CO2 !
Par ailleurs quel est l’ordre de grandeur du carbone gris, c’est-à-dire de l’énergie qu’il a fallu pour construire le bâtiment ? On l’évalue pour la maison individuelle entre 300 et 500 Kg éq CO2/m², pour un immeuble collectif de 300 à 600 Kg éq CO2/m². Et pour les bureaux de 500 à 800 Kg éq CO2/m² !
Ainsi, lorsque nous avions un logement énergivore (G) avec une consommation de 80 Kg éq CO2/m².an, il fallait 5 années d’exploitation pour couvrir l’énergie grise évaluée par exemple à 400 Kg éq CO2/m². Mais aujourd’hui, avec des logements à 5 Kg éq CO2/m².an, pour couvrir les mêmes 400 kg, il faut 80 ans !! C'est-à-dire avec 80 ans d’exploitation, on atteint juste le carbone dépensé à la construction.
À partir du moment où avec des bâtiments sobres en énergie nous allons effacer la consommation carbone en exploitation, en ressort grandie la quantité carbone due à la construction, l’énergie grise devient alors prédominante.
Nous avons perdu du temps, il faut tout de suite s’attaquer à la valeur carbone du bâtiment.
L’urgence n’est plus de s’attaquer à la part carbone de l’exploitation de telle énergie, électricité ou gaz, question qui a fait couler beaucoup d’encre mais plutôt de porter ses efforts sur l’énergie grise de la construction.
Par ailleurs les chiffres montrent les grandes disparités entre 300 et 500 Kg éq CO2/m², la différence 200 Kg est l’équivalent de 50 ans d’exploitation. Cela montre l’ampleur des efforts à faire sur l’énergie grise et le carbone gris.
Rappelons que les combats pour la diminution d’énergie et pour la diminution de carbone sont bien des combats à mener en parallèle.
Lors des discussions du Grenelle la notion de carbone était directement liée à l’énergie car eu égard aux consommations d’énergie grimpantes, il n’était pas question d’engager des surproductions forcément carbonées pour complémenter le nucléaire. Pour être moins carbone, cela signifiait de consommer moins d’énergie.
Nous nous apercevons donc qu’à force d’agir sur la sobriété énergétique des bâtiments, l’énergie grise émerge en force avec tout son potentiel carbone. Si le sujet avait été alors reporté à 2020, il est aujourd’hui d’actualité et il ne faut pas attendre 2020 et anticiper dès maintenant pour construire des labels, et dans le futur, des réglementations cohérentes au regard de cet objectif carbone.
2/ Le carbone gris de la construction
Comment se définit l’énergie grise et le carbone gris de la construction ? Le calcul par exemple entre 300 à 500 Kg éq CO2/m² s’effectue en premier lieu en analysant les techniques de construction avec les matériaux que l’on va utiliser. Certes il y a principalement 2 postes carbone, celui des matériaux et celui du déroulement du chantier. L’essentiel carbone étant dans les matériaux.
Les fabricants connaissent la quantité d’énergie et de carbone pour fabriquer du béton ou pour élaborer des menuiseries métalliques. Il faut compter aussi le coût du transport. A noter la particularité du matériau bois car celui-ci est considéré comme bio-sourcé c'est-à-dire qu’il a déjà absorbé du carbone dans sa propre composition. Le transport est alors prépondérant pour le bois. Imaginons qu’il vienne du Canada ou des Vosges, l’impact transport est bien différent. Alors que pour le béton armé, beaucoup moins car sa quantité carbone est importante dès sa fabrication.
Il faut ensuite voir combien de temps le matériau est immobilisé et donc s’intéresser à sa durée de vie. Pour le béton comme pour le métal, ce paramètre est favorable car pour la fabrication du béton il a largué quantité de carbone mais sa durée de vie est longue, 100 ans ! Avec le bois-structure, la durée de vie est également longue, quasiment comme le béton. Avec le bois vêture ou parement, sa durée de vie est écourtée et dépend de son entretien. L’exemple du bois est intéressant car selon la manière de le recycler, dépend son bilan carbone. Sera-t-il brûlé (et donc dégagera-t-il tout le carbone emmagasiné, ou sera-t-il recyclé en produits dérivés). Ainsi s’il dégage du carbone, il le fera avec un délai qui peut être très long. A très long terme, l’effet de serre ne sera plus le même et normalement – espérons-le – il sera moins intense. Ainsi, certains sont donc amenés à dire que le bois est neutre voire négatif.
3/ Arbitrer le couple sobriété énergétique – sobriété carbone
Le problème est complexe et dépasse la simple concurrence énergies gaz et électricité, voire EnR, car il se transfère à la fabrication et réalisation du bâtiment qui consomme immédiatement du carbone. Fait important, la quantité de carbone gris dont nous parlons pour la construction, les 300 à 500 Kg éq CO2/m² a été engendrée tout de suite, alors que les 5 à 10 Kg éq CO2/m², c’est au cours du temps … Avant d’avoir engendré du carbone en l’exploitation, on a déjà engendré une quantité de carbone incroyablement élevée à la construction.
Nous voyons bien que à s’acharner à la simple sobriété énergétique d’une réglementation 2020 BEPOS, sans mesurer sa trace carbone, nous ne serons pas forcément à l’optimum de l’effet de serre. Nous allons être amenés à arbitrer différemment. Faut-il un BEPOS très efficace sur le plan énergétique ou un BEPOS très efficace sur le plan carbone ?
Le problème est strictement le même en réhabilitation, voire accentué. Il existe des cas, certes rares, où les travaux de rénovation énergétique de logements ont engendré immédiatement 50 ans de carbone à amortir par des économies d’exploitation. Il aurait été donc plus logique de ne rien faire vis-à-vis de l’effet de serre?
Le bâtiment est en train de muter dans sa double dimension énergétique et environnementale. Peut-être même est-il en avance pour une fois. Par exemple sur le secteur automobile. Si celui-ci vante la baisse de consommation en carburant de ses véhicules, il ne parle absolument pas d’énergie grise et de carbone gris. Est-ce le fait que le transport généré par la délocalisation des usines le pénaliserait ?
4/ Que vont faire les fabricants de matériaux ?
Tous les fabricants de matériaux bio-sourcés vont se trouver en position de force. Tous les matériaux amorphes qui dégagent du carbone vont avoir une stratégie de dégager moins à la fabrication, ou d’utiliser une énergie verte, décarbonée, voire de la produire eux-mêmes afin de maîtriser le processus.
Ils pourront aussi allonger la durée de vie de leurs matériaux ainsi que faciliter le recyclage.
Il est donc temps d’avancer vers cette prochaine réglementation en passant par l’étape label afin d’informer au plus vite les fabricants industriels pour qu’ils puissent prendre les bonnes décisions stratégiques. D’ailleurs, ces réflexions stratégiques concernent le plan national comme le plan international, car la problématique est bien mondiale et tout le monde est en train d’en prendre conscience.
Alors pourquoi l’Europe – à l’initiative de la France – ne généraliserait-elle pas l’étiquetage carbone de tous les matériaux de construction ? C’est peut-être la prochaine COP 21 qui donnera une impulsion nouvelle.
Nous verrons lors de la prochaine chronique que le carbone a un véritable prix comme pour l’énergie et qu’il est urgent d’en estimer le coût.
(1) Cette chronique est inspirée par la note « bâtiment bas carbone » élaborée sous la direction de Jean-Christophe VISIER dans le cadre de RBR 2020.
Alain Maugard
Réponse à Barnabé
Les affirmations d'Alain Maugard ne sont pas si fausses que cela, elles proviennent du groupe de réflexion RBR réglementation bâtiment responsable qui prépare la prochaine réglementation 2020. Quand j'ai interviewé AM il y a quelques semaines, il s'est référé à ce rapport en préparation. Je vous invite à attendre la suite ou à nous indiquer d'autres sources qui infirment les ordres de grandeurs décriés.
Ensuite, pourquoi ne pourrait-on pas comparer le poids carbone des matériaux, du béton et du bois par exemple. Qu'est ce qui nous empêche de connaitre l'énergie du départ, sa transformation, son transport, son installation, jusqu'à son recyclage? Tout en tenant compte de sa durée de vie. C'est une dure bagarre certes, mais si le carbone est si important commençons par nous en soucier dès que commence le projet de conception du bâtiment. Surtout qu'en exploitation ensuite on affine au moindre kWh dépensé! Philippe