RE 2020 : les défis de la révolution de la construction

Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 14 Décembre 2020



Après une première annonce le 24 Novembre dernier, les contours de la réglementation environnementale dite RE 2020 ont fait réagir toute la filière du bâtiment. En imposant de nouveaux modes constructifs et d’équipements, ce texte met ce secteur économique à rude (nouvelle) épreuve.


Certes, depuis 1974, il y a toujours eu une dose d’idéologie dans les réglementations énergétiques sur la construction des bâtiments résidentiels neufs. Mais rien de comparable entre la « chasse au gaspi » et la revendication du « zéro carbone », pratiquement « ici et maintenant ». En moins de 50 ans, on est passé d’une production de logements de médiocre qualité énergétique à un savoir-faire pointu, tant en création d’enveloppe que de leur équipement technique. Rien à redire sur le sujet : cette période a permis de cerner pratiquement toutes les facettes de la physique des bâtiments. Sauf que les récentes annonces relatives à la réglementation environnementale 2020 (RE 2020) semblent, contrairement à ses prétentions, mettre les choses cul par-dessus tête pour répondre aux injonctions climatiques.

On connaît le contenu des annonces de Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, et d’Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, et chargée du logement : baisser les consommations d’énergie des constructions ; baisser leurs émissions globales de gaz à effet de serre ; et leur permettre de passer les vagues de chaleur. Les décrets et les arrêtés d’application de ce nouveau texte rendront les nouvelles mesures applicables dès la mi-2021, avec des étapes de révision d’ores et déjà fixées : 2024, 2027, 2030. 


bois massif biosourcé

Résidence Patraera en bois massif biosourcé à Rueil signée J.M Wilmotte – Source Woodeum


Un tournant radical vers une Réglementation Environnementale

Les indications gravées dans le marbre très friable du dossier de presse ministériel sont les suivantes :

  1. un besoin bioclimatique, ou Bbio, 30% inférieur à celui de la réglementation thermique 2012, que ce soit en résidentiel individuel ou collectif ;
  2. un seuil d’émission de dioxyde de carbone de 4 kg/m²/an dans l’individuel, de 14 kg/m²/an dans le collectif qui passera à 6 kgCO2/m²/an en 2024 – le calcul portant sur la construction, son utilisation durant 50 ans et la déconstruction, selon « une analyse en cycle de vie dynamique » ;
  3. une volonté de recours systématique à la chaleur renouvelable ;
  4. un seuil d’inconfort en cas de forte chaleur porté en premier lieu, par le renforcement du Bbio -30% et, en second lieu, par une interdiction de dépasser les températures intérieures de 30°C le jour et 28°C la nuit durant un total annuel de 25 jours ; cette règle minimale qui limite l’inconfort à moins de 350 degrés-heures sera adaptée au sud de la France.


Cette présentation liminaire a été assortie d’annonces empruntes d’une certaine radicalité. À savoir : une volonté d’exclure « de fait le chauffage exclusivement au gaz », l’ouverture très forte aux matériaux valorisant « le stockage temporaire du carbone » et « à l’horizon 2030, l’usage du bois et des matériaux biosourcés quasi-systématiques », ainsi que le recours massif aux pompes à chaleur.


Prochaine RE 2020, le syndrome du bâtiment secoué

Dans les instants qui ont suivi la conférence de presse du 24 Novembre, les observateurs ont eu droit à un spectacle qui avait des côtés très prévisibles. Très logiquement, les professionnels de la construction bois de l’UICB et des isolations biosourcées, ainsi que les fabricants de pompes à chaleur de l’AFPAC ont battu des mains.


installation pompe chaleur

Pompe à chaleur air-eau – Source Daikin


En revanche, chez les constructeurs de maisons individuelles, chez les représentants de la filière béton, chez les producteurs de laines minérales, chez les constructeurs de structures métalliques, chez les défenseurs du gaz naturel qui soutiennent le développement de la méthanisation et du « gaz vert » depuis une dizaine d’années … on a rapidement déclenché un tir nourri de communiqués de réprobation.

Du côté de l’industrie des chaudières à gaz, seule l’association « Énergies & Avenir » est montée au créneau pour défendre la boucle à eau chaude … Le syndicat Uniclima se trouve, pour sa part, assez mal en point. Ses adhérents industriels présentent des chaudières et des pompes à chaleur dans leurs catalogues. Ces derniers produits connaissent d’ailleurs de très fortes progressions quand les chaudières, même à gaz et à condensation, manifestent clairement une décrue. Difficile de tenir une ligne claire.

Certes, la filière bâtiment ne s’attendait pas à une annonce qui, il faut le reconnaître, renverse la table au point de réellement la mettre en difficulté. Comment passer à la construction bois dans le neuf en quelques mois, alors que l’infrastructure nécessaire à cette nouvelle économie n’existe tout simplement pas ? Où est l’industrie locale capable de fournir les composants ? Qui sont les constructeurs capables de répondre à un marché de masse ? Les règles de l’art sont-elles bien à jour ? La période 2021-2024 est décrite comme un temps d’apprentissage, mais cela semble court.

Si depuis près de trente ans ce sujet du bâtiment bioclimatique, de la construction bois version Vorarlberg autrichien et les premiers projets de lotissements de maisons en structure bois ont connu un succès florissant, on est encore loin d’une véritable culture de ce type de construction en France. Passer de productions sophistiquées et plutôt haut de gamme à une production de masse devrait produire quelques déboires.

On peut aussi objecter que les signes avant-coureurs étaient pour le moins explicites ; en clair, il ne faudrait pas jouer les étonnés. On vient de parler du travail de communication des promoteurs du bioclimatisme et des solutions constructives soutenables depuis des années ; ils ont façonné une vision de l’avenir de la construction qu’architectes, bureaux d’études et entreprises ont commencé à tester. Et il faut rappeler les règles européennes transcrites en droit national – de la loi de transition énergétique à la loi Elan – qui porte un objectif « zéro carbone » pour 2050 pour nombre d’activités, dont le bâtiment.

Et, il y a un an, tout le monde a appris, d’une part, que l’administration s’affranchissait unilatéralement du travail qu’avait mené la filière dans le cadre des expérimentations E+C- (1 000 bâtiments) et se débarrasser du niveau « bâtiment à énergie positive », et, d’autre part, que l’électricité se voyait attribuer un contenu carbone de 79 gCO2/kWh contre 210 précédemment, avec un coefficient de conversion énergie finale/énergie primaire ramené de 2,58 à 2,3. Une administration centrale qui pose ce type d’actes anticipe une certaine cohérence.
La pétition lancée par Enertech pour protester contre le défaut criant de concertation n’avait eu aucun effet.

En résumé, cette communication gouvernementale sur les grands principes de la RE 2020 dit clairement une vision de la construction anglée sur du très bas carbone – donc basée sur la structure bois –, alimentée par une énergie électrique qui ne peut être que centralisée pour alimenter les pompes à chaleur – les logements neufs seront donc, comme à la fin des années 70 et au début des années 80, les points de consommation privilégiés des … futures centrales nucléaires.

Le discours d’Emmanuel Macron, Président de la République, début Décembre lors de son passage au Creusot pour évoquer le type de propulsion retenu pour le porte-avion successeur du Charles-de-Gaulle, ne laisse plus de doutes sur les orientations énergétiques posées. Quelques jours plus tard, le journal Le Monde clarifiait les choses.


De la RT 2012 à la RE 2020 : Passage à plus indicateurs



réglementation re2020

Nouvelle réglementation RE 2020, plus précise et vers plus d’indicateurs …


En quelques jours, les professionnels du bâtiment ont pu étudier les contours de cette nouvelle réglementation et les nouveaux indicateurs auxquels ils vont devoir s’affronter. Prosaïquement, le passage de la RT 2012 à la RE 2020 se traduit par la prise en compte de six indicateurs et non plus de deux. Ainsi, aux besoins bioclimatiques (Bbio) – renforcés et qui prennent aussi en compte le rafraîchissement et à la consommation en énergie primaire (Cep) s’ajoutent :

  1. le CEPnr, la consommation d’énergie primaire non renouvelable,
  2. l’indice carbone (Ic) qui remplace l’indice d’émissions de gaz à effet de serre des composants (ex-EgesPCE),
  3. l’indice carbone Energie (Ic Energie, exEges Exploitation) qui totalise les émissions de carbone des consommations d’énergie durant 50 ans de vie du bâtiment,
  4. l’indicateur DH (degrés-heures) pour préciser le confort d’été,
  5. le carbone biogénique stocké, dont le calcul est obligatoire, sans valeur à respecter, mais d’intérêt dit pédagogique.

Il faut aussi noter que le calcul de la surface prise en compte change. Celui de la RE 2020 est plus proche de la surface habitable (Shab) que la SRT de la RT 2012. De fait, compte tenu du renforcement du Bbio, cet indicateur se retrouve en réalité bien plus fortement durci.

Pour ce qui concerne les consommations d’énergie, les niveaux n’étaient pas connus fin Novembre et ont été dévoilés début Décembre. Ils seraient de 55 kWhep/m².an dans l’individuel et de 70 kWhep/m².an dans le collectif.

Enfin, gros point sensible : le calcul des indices carbone et de l’analyse du cycle de vie des constructions. Durant la préfiguration E+C-, ces données étaient calculées d’après les fiches de déclarations environnementales et sanitaires (FDES) des matériaux de construction et les profils environnementaux des produits (PEP) des équipements fournis par la base INIES, ou à défaut par l’administration.

Le ministère a annoncé substituer l’analyse de cycle de vie classique par une analyse de cycle de vie dite dynamique. Schématiquement, cette notion fait a priori la part belle à la biomasse, pénalise les matériaux émetteurs de carbone lors de la phase chantier et valorise peu les matériaux en fin de vie – ce qui est en contradiction avec les récentes lois sur l’économie circulaire. En outre, la méthode de calcul n’est pas précisément fixée et n’est pas partagée au niveau européen. Elle apparaît comme une mesure de sur-normalisation.


La RE 2020 mettra à l’épreuve la filière bâtiment et équipements techniques

Pour les acteurs qui se sont exprimés depuis fin Novembre, les effets de cette réglementation RE 2020 promettent d’être profonds. En moins de 10 ans, la construction béton et briques, bien maîtrisée, devrait laisser place à un savoir-faire de charpentiers. Par ailleurs, le problème du surcoût lié à la réglementation est clairement mis en avant. Lors de l’application de la RT 2012, il a été « absorbé » au prix d’une baisse de prestations, notamment, une surface construite plus faible.

Aujourd’hui, les professionnels soutiennent qu’ils n’ont plus de marges de manœuvre, et que le surcoût des constructions serait au pire de 15%, au mieux de 5%.

Au niveau industriel, d’aucun s’inquiète déjà de la déstabilisation de l’offre de produits – les industries du bois manquant à l’appel pour répondre au marché du neuf – et à la nécessaire importation de produits. On peut aussi s’interroger sur l’orientation forte en faveur de la construction bois au regard du confort d’été : ce type de construction ne présente aucune inertie et montre de réelles faiblesses en cas de canicule ; l’ajout d’une dalle béton permettrait d’amortir les pics de chaleur.

Quant aux produits de chauffage, le souci diffère selon que l’on parle de l’individuel ou du collectif. 

Dans l’individuel, les plus optimistes souhaitent le développement des pompes à chaleur air-eau ou eau-eau. Certains ont soumis la chaudière hybride (pompe à chaleur et chaudière pour les pics de froid) au code de calcul : elle ne passe pas. Les plus pessimistes voient dans ce texte un boulevard pour le chauffage électrique à effet Joule.

En collectif, si la chaudière gaz peut – très difficilement – passer jusqu’en 2024, ultérieurement, son sort est scellé. Même les pompes à chaleur gaz auront du mal à entrer sur les chantiers. Restent les pompes à chaleur. Dans le collectif, les équipements de moyennes puissances sur vecteur eau existent, mais il s’agit de chillers que les bureaux d’études n’ont pas encore l’habitude de prescrire, et que les exploitants n’ont pas l’habitude de suivre. Dans ce domaine, la R&D des fournisseurs asiatiques ne manquera pas se mettre au travail pour répondre à un marché conséquent non seulement français, mais européen.



Commentaires

  • DAMIEN
    0
    18/12/2020

    Bonjour,
    Cet article sur la RE2020 est tout à fait ce que je pense en tant que Bureau d'Etudes Thermiques. Tout électrique à fond la caisse, et tout bois à fond la caisse aussi, et ce jusqu'à la dernière maison qui nous amènera prés du cyprés...
    Je trouve inadmissible, que le fonctionnement au fioul ait trouvé une mort si brutale, et que le fonctionnement au gaz soit déjà intubé et mis en coma artificiel.
    Merci à Bernard REINTEAU d'avoir publié sa pensée.


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