ABF, Architectes des Bâtiments de France, la discorde est-elle soluble dans la communication ?

Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 12 Décembre 2024

Deux mois après la publication du rapport du Sénat sur les pratiques des Architectes des Bâtiments de France, le ministère de la Culture lance une campagne de communication sur le fonctionnement de ce service. Ce qui semble éloigné des axes d’amélioration demandés par les parlementaires.

Les Architectes des Bâtiments de France, connus sous l’acronyme ABF, affichent leur envie de reconnaissance. Ce mois de novembre, le ministère de la Culture leur a offert une exposition de choix dans les médias en déclinant une communication institutionnelle – affiches, vidéos – déclinée sur quatre thèmes : l’engagement écologique avec le slogan « Architecture engagée », l’essor économique et la défense du patrimoine avec « Archi Constructif », la qualité de vie avec « Archi nécessaire » et l’accompagnement des maîtres d’ouvrage avec « Archi proche ».

Immeuble parisien sous la gestion des ABF.

Les lecteurs d’Xpair connaissent bien ces interlocuteurs présents dans les Unités départementales de l’architecture et du patrimoine (UDAP), un service qui a rejoint, en 2010, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC).

Au total, ils sont 189 à traiter des dossiers aussi épineux que la préservation des sites protégés, l’aménagement du territoire, la valorisation de l’architecture et du patrimoine et la protection et restauration des monuments historiques. Une charge considérable puisqu’elle porte sur plus d’un millier de sites patrimoniaux remarquables, quelque 2 700 sites classés, 4 500 sites inscrits à l’inventaire des monuments historiques et 45 000 abords de monuments historiques. Soit, chaque année, près de 500 000 dossiers d’autorisations de travaux expertisés.

Désamorcer une contestation

Pourtant, la réputation des ABF, chez les professionnels du bâtiment et les acteurs de l’urbanisme (élus locaux, promoteurs, architectes...), est plus proche de celle du censeur que du partenaire. L’opinion négative a même évolué dans les esprits depuis que les solutions environnementales se sont multipliées en construction neuve ou en rénovation. Quid de l’isolation par l’extérieur, de la pose de menuiseries à double vitrage, de l’installation de panneaux solaires photovoltaïques ou thermiques en toiture, de pompes à chaleur air-eau en terrasse… dans les centres-villes historiques ?

Appelé à intervenir dans les opérations d’urbanisme, l’Architecte des bâtiments de France a la charge d’émettre un « avis conforme » sur les solutions proposées au titre de la qualité architecturale. Selon le ministère de la Culture, si son autorité porte sur 8 % du territoire, près d’un tiers (31,7%) des logements sont concernés par le sésame délivré en dehors de toute autorité hiérarchique. Ce qui, à tout le moins, irrite, au mieux, crée des frustrations. D’autant que les arguments sont le plus souvent d’ordre esthétique que les demandeurs estiment généralement très subjectif. En outre, les opérations de renouvellement urbains augmentent, les dossiers aussi. Et les effectifs ne suivent pas. Il y a là tous les ingrédients du cocktail pour une profonde contestation.

Les parlementaires ont senti le vent tourner, et deux sénateurs, Marie-Pierre Monier et Pierre-Jean Verzelen, membres de la Mission d’information « Architectes des bâtiments de France : périmètres et compétences », ont été désignés pour étudier les problèmes posés.

Après avoir tenu une vingtaine d’auditions et dépouillé les 1 500 réponses et 600 témoignages de leur consultation, ils ont rendu, fin septembre, leur rapport intitulé « Les architectes des bâtiments de France face aux contraintes économiques et aux défis de la transition énergétique et environnementale de notre patrimoine : des pratiques à adapter, une profession à réhabiliter, un cadre de vie à préserver ».

Quartier des Pyramides à Évry-Courcouronnes.

Exemple de dialogue constructif avec les ABF, le quartier des Pyramides à Évry-Courcouronnes en Essonne (91) – source CAUE de Paris.

Quatre sujets de discorde

L’objet de ce travail est avant tout de balayer les sujets de discorde ; en outre, il est plutôt centré sur les différents entre les ABF et les élus, maîtres d’ouvrage les plus souvent en butte aux avis. Vaste programme, mais cette observation permet d’élever le débat au-dessus des récriminations habituelles. Ainsi, les sénateurs mettent sur la table les données relatives à l’avis conforme tant redouté et livrent un contour plus précis des difficultés.

À y regarder de plus près, les refus sont relativement rares : 14 % révèle le rapport, ce en tenant compte des seuls dossiers où l’accord de l’ABF est nécessaire. Pour sa part, la direction générale du patrimoine cite plutôt le chiffre de 7 % de refus, tous dossiers confondus.

En revanche, toujours selon les sénateurs, 36 % des demandes aux ABF reçoivent un non-accord. Et, point dur, 50 % se voient attribuer un accord avec prescriptions ; le demandeur doit alors revoir son projet. Lesdites prescriptions sont généralement importantes et l’impact financier, tout autant.

On le lira dans le rapport parlementaire à partir de la page 67 : les auditions ont révélé quatre principaux « sujets de discorde » :

1- La variabilité et le manque de prévisibilité des avis. Les exemples sont multiples : les réponses différeraient selon que l’ABF s’adresse un élu de village ou de grande ville ; l’avis change après un changement d’ABF ; l’avis d’un même ABF change au fil du temps… Dans les échanges avec les sénateurs, les ABF eux-mêmes le reconnaissent…

2- Les avis sont pris sans que soit pris en compte le coût des travaux. Dans ce cas, ce sont essentiellement les accords avec prescriptions qui sont dénoncés. Les arguments porteraient sur l’insertion environnementale, les matériaux utilisés… Voire des demandes qui obligent à reprendre l’ensemble du projet. Dans ce cas, la critique des personnes pénalisées par ces prescriptions porte surtout sur l’impossibilité de déposer un recours. Seule la négociation avec l’ABF est alors possible. Pour leur part, dans ce cas, les petites communes mettent en avant l’absence de prise en compte des moyens modestes à leur disposition.

3- Le manque de pédagogie des avis. Sur ce point, la conciliation sera difficile : les maîtres d’ouvrage jugent les avis insuffisamment motivés ou explicités ; les ABF estiment que leur rôle est d’accorder ou de refuser l’avis, pas de l’expliquer. Ils n’en auraient matériellement pas les moyens. Ce sujet de la pédagogie revient aussi dans les entretiens lorsque sont évoqués les accords avec prescriptions.

4- L’absence de prise en compte des enjeux de la transition écologique. Des audacieux avaient cru que la loi Elan et son amendement permettant d’installer des panneaux photovoltaïques allaient passer comme une lettre à la poste ? Quelle naïveté. Il a fallu une instruction publiée le 9 décembre 2022 pour faire avancer les choses. Mais, rappelle le rapport d’information, ce texte précise que « la conciliation des principes de la transition écologique et de la préservation du patrimoine repose en particulier sur la qualité de la relation instaurée entre les services de l’État, notamment les ABF, et les porteurs de projets ». On tourne en rond. De leur côté, les ABF indiquent que ces cas litigieux sont marginaux (ils se limitent à 8 % du territoire). Et, là où cela a été autorisé, comme en Belgique, c’est moche, disent plus poliment les ABF. Pour eux, le sujet n’existerait donc pas.

Préparer le dialogue

Les ABF peuvent légitimement arguer qu’ils n’ont plus les moyens d’assurer la mission qui leur est dévolue. Et, qui plus est, tout ce qui leur est demandé en plus. Les parlementaires indiquent par ailleurs une progression de 63 % des demandes d’avis au cours des dix dernières années (2013-2023) avec, dans le même temps, une augmentation d’effectifs de seulement 6 %. Signe que la crise à laquelle doivent faire face les administrations touche aussi cette institution. 40 % des départements ne disposent que d’un Architecte des bâtiments de France.

Le rapport met aussi les données récentes face à l’évolution de ce métier depuis les années 60, date à laquelle a commencé à se développer la protection des monuments, des périmètres de sauvegarde, les sites patrimoniaux, la sécurisation des cathédrales…

Pour huiler les rouages, les sénateurs étayent leur rapport de six axes de travail pour améliorer la situation.

1- Aider les élus locaux à prendre en compte la problématique environnementale, notamment celle liée aux édifices patrimoniaux. Concrètement, il s’agit de simplifier la création des périmètres délimités des abords, ou PDA, définis par la loi de 2016. Initialement, hors élaboration ou révision de plan local d’urbanisme (PLU), cette « règle des 500 m » est soumise à enquête publique ou à consultation de propriétaires ou responsables concernés. Il pourrait être possible de s’en affranchir. Dans le cadre d’un PLU ou PLUi (intercommunal), les élus locaux pourraient faire appel à l’ABF.

Par ailleurs, la médiation pourrait être améliorée. Les délais de recours pourraient passer de sept jours à un mois. Une commission composée des élus locaux, des représentants de l’État, des professionnels de la construction (conseil d’architecture – CAUE, associations de défense du patrimoine...) et les ABF pourraient organiser des réunions périodiques.

2- Améliorer la lisibilité et la prévisibilité des décisions des ABF. Ce changement peut passer par des permanences d’accueil des ABF, la rédaction par ces derniers de leurs priorités et méthodes, la création d’un registre national qui reprendrait les décisions et permettrait de les suivre localement, l’édition de cahiers des charges et de doctrine nationales… Ce dernier point reprend le principe du guide sur l’insertion architecturale et paysagère des panneaux solaires diffusé depuis décembre 2023.

3- Informer sur les problématiques patrimoniales. Les élus et le public, notamment les publics scolaires pourraient faire l’objet d’une culture architecturale. La CAUE pourraient mettre en place des formations.

4- Hiérarchiser les missions des ABF. Les sénateurs remarquent que le rapprochement, en 2010, des UDAP au sein des DRAC est inachevé. Ce serait l’occasion de demander à préciser les missions des UDAP et d’y inscrire le renforcement de la fonction de conseil des ABF…

5- Recruter les ABF. L’idée est lancée de recruter au moins un ABF supplémentaire par département en l’inscrivant dans les lois de finances de 2025 et 2026… Rappelons que ce rapport a été écrit entre mi-2023 et mi-2024.

Par ailleurs, l’enseignement sur ce métier doit être renforcé en écoles d’architecture, et l’accessibilité à l’École de Chaillot, site de formation continue des ABF, plus ouverte.

6- Conjuguer bâti ancien et politiques environnementales. Les sénateurs y voient une occasion de développer le conseil et l’accompagnement des maîtres d’ouvrage par les ABF, du moins, par un référent « transition énergétique et environnementale » au sein des DRAC.

Ils proposent aussi d’amender la loi de 1977 sur l’architecture pour y inscrire la réhabilitation des constructions parmi les activités architecturales d’intérêt public.

La campagne de communication lancée par le ministère de tutelle dans la foulée de la publication de ce rapport sénatorial tente de rééquilibrer les avis qui y sont énoncés. Elle fait la part belle à l’investissement des UDAP et des ABF ; on y décrit une plateforme « Démarches simplifiées » qui permet d’obtenir une information préalable sur un projet avant son dépôt ou de préciser un avis incompris. Elle indique notamment que les avis sont formulés sur des critères objectifs et non esthétiques. De même, les surcoûts liés aux accords avec prescription permettraient de préconiser des matériaux plus économiques à long terme. Vu l’ampleur de la situation décrite par le document du Sénat, les élus et maîtres d’ouvrage semblent avoir des attentes plus concrètes et plus élaborées.

À Lire 

Rapport d’information du Sénat : « Les architectes des bâtiments de France face aux contraintes économiques et aux défis de la transition énergétique et environnementale de notre patrimoine : des pratiques à adapter, une profession à réhabiliter, un cadre de vie à préserver », par Marie-Pierre Monier, Présidente, et Jean-Pierre Verzelen, Rapporteur. Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 septembre 2024.

Le site de la Mission d’information

Le rapport

Les auditions

L’essentiel

Le communiqué de presse du ministère de la Culture


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