Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 19 Novembre 2019
Depuis le milieu des années 2000, les industriels des réseaux urbains de chaleur ont fait des efforts pour modifier leur bouquet énergétique, inciter les collectivités à développer les réseaux … À l’heure où l’on parle de transition énergétique, la part de marché reste de seulement 5% et les handicaps au développement sont difficiles à lever.
En présentant l’état des lieux des réseaux de chaleur et de froid en 2018, Thierry Franck de Préaumont, président du Syndicat National du Chauffage Urbain (SNCU) se montre, dans un premier temps, satisfait des données recueillies. Si le volume de chaleur fournie aux clients est en légère croissance (25,4 TWh en 2018 contre 25 en 2017), il constate de nombreux points très positifs. Le nombre de logements raccordés a franchi la barre des 40 000 (38 200 en 2017, et 26 120 en 2012 pour 23,3 TWh livrés), ainsi qu’une part d’énergies renouvelables récupérées qui atteint une moyenne nationale de 57%.
En sept ans, le nombre de bâtiments raccordés à un réseau de chaleur a augmenté de 35%
C’est ce qui ressort de l’enquête statistique remise par le SNCU et l’association des collectivités locales Amorce pour le compte du Service de la Donnée et des Etudes Statistiques (SDES) du ministère de la Transition écologique et solidaire.
Cet effort porté sur les énergies vertes tient aux investissements importants pour équiper les réseaux de chaleur urbain de chaudières biomasse à la faveur du Fonds Chaleur. Grâce à cette aide au financement, depuis la fin des années 2000, leur ratio parmi les « énergies vertes » a pratiquement rejoint celui des incinérateurs d’ordures ménagères (voir la figure 2) : 22%.
En moyenne nationale, la chaleur fatale des incinérateurs et la biomasse composent pratiquement la moitié de la ressource de chaleur des réseaux collectifs
Ces investissements continus portent le taux d’énergies renouvelables et récupérées de 25% en 2005 à légèrement plus de 57% fin 2018. L’impact s’exprime par la décarbonation de cette filière : de 217 g/kWh de CO2 en 2006, les émissions totales de gaz à effet de serre des réseaux de chaleur a chuté à 116 g/kWh de CO2 en 2018. Les réseaux de chaleur se retrouvent de fait 35% moins émissifs que les moyens de chauffages électriques (180 g/kWh), et 50% moins émissifs que ceux au gaz (234 g/kWh).
L’investissement en chaufferie biomasse a produit l’essentiel de la réduction du contenu carbone des réseaux de chaleur
Un élan stoppé
Là s’arrête le satisfecit de Thierry Franck de Préaumont. Car son jugement est sans appel : « Le moteur de la croissance des énergies vertes s’est arrêté en 2018. » En effet, après des paliers annuels de 3 à 4% depuis 2010, l’élan n’est plus que de 1% entre 2017 et 2018 (voir la figure 3). Et, toujours selon le président du SNCU, les élections municipales de 2020 ne laissent pas entrevoir de meilleures perspectives.
Depuis 2017, l’investissement en biomasse et en nouveaux réseaux marque le pas
Pourtant, avec l’appui de la structure fédérale de la Fedene, de l’association Amorce et de l’Ademe, cette filière remue ciel et terre pour faire entendre sa voix. Avec le président du SNCU, Pascal Roger, président de Fedene (fédération de syndicats de l’énergie et de l’environnement), déroule le catalogue des arguments.
En premier lieu, les réseaux de chaleur contribuent fortement à la réduction des émissions de chaleur : la seule réduction des émissions au cours de l’année 2018 équivaut au retrait de la circulation de 2,7 millions de voitures.
En deuxième lieu, cette solution collective montre son adaptation à l’extension des réseaux. Les quantités livrées ont proportionnellement beaucoup moins augmenté entre 2012 et 2018 que le nombre de bâtiments raccordés (voir la figure 4) ; c’est aussi un des effets de l’amélioration énergétique des bâtiments. Les livraisons ont donc baissé – 900 MWh par bâtiment en 2012, 700 en 2018 – tout en maintenant des prix stables sur cette période, autour de 70 € HT/MWh. Thierry Franck de Préaumont et Pascal Roger expliquent que les énergies renouvelables et récupérées ont joué un rôle d’amortisseur, le prix des combustibles, notamment la biomasse, étant plus stable que celui des fossiles, gaz notamment.
En troisième lieu, les professionnels s’impatientent en entendant les messages contradictoires qui leurs sont adressés. Ainsi, la loi de transition énergétique de 2015 assignait aux réseaux de chaleur un objectif de 61 TWh livré en 2030, avec un objectif de deux tiers d’énergies vertes (renouvelables et récupérées) (39,5 TWh). Plus récemment, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) a indiqué, pour 2028, une fourchette de 49 à 57 TWh livrés, dont 31 à 36 issus d’EnR&R. Les projets actuels en portefeuille sont bien inférieurs avec cette ambition, constatent la Fedene et le SNCU. « Il faudrait avancer à un rythme d’investissement de 2 TWh par an ! »
Le SNCU pointe un gap entre le niveau d’investissement en réseaux de chaleur et les objectifs définis par programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)
Une ville, un réseau
Face à cela, les moyens de chauffage classiques apparaissent bien mieux traités, notamment par les différentes solutions financières proposées. Une mesure est en particulier à l’origine des débats : celle de l’impossibilité, pour les réseaux de chaleur, de cumuler le Fonds Chaleur avec les certificats d’économie d’énergie (CEE). « Les CEE, rappelle Pascal Roger, ne sont pas des aides : ils bénéficient aux clients, pas aux réseaux. »
Ses actions ont été entendues puisqu’en mars dernier, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique, a ouvert un groupe de travail « Chaleur et froid renouvelables » pour dénouer les problèmes.
Début Octobre, il a produit un catalogue de 25 mesures pour améliorer la compétitivité des réseaux, développer de nouveaux projets et augmenter encore le recours aux renouvelables (à retrouver dans le dossier presse).
Le SNCU met en particulier l’accent sur le potentiel que représentent les 460 villes de plus de 10 000 habitants actuellement sans équipement. « On parle aussi des réseaux de froid, remarque Thierry Franck de Préaumont, le meilleur ami des réseaux de chaleur, notamment en zone urbaine dense ou ce couplage à tout son sens. » Déjà présente et citée parmi les pilotes de diverses actions, la SNCU se dit surtout attachée au principe d’équité entre les énergies et faire valoir ses arguments de manière transparente.
Cette action traduit cependant une montée en puissance de la Fedene et du SNCU auprès des pouvoirs publics. Un état de fait dont Pascal Roger s’était félicité devant ses adhérents lors du dernier congrès à Lyon, fin Septembre. « Nous sommes face à des lobbys, affirme-t-il, reconnaissant qu’il en pilote lui-même un. Depuis 2017, nous participons au Club de la chaleur renouvelable avec le Syndicat des énergies renouvelables et Amorce. »
Un choix résolument politique
L’ambition de la filière est en réalité guidée par un état des lieux aux antipodes des affichages politiques et, d’autre part, par la volonté de rejoindre les pays européens en pointe sur ce sujet. Ainsi, en France, les réseaux de chaleur affichent une part de marché de 5% quand elle atteint 14% en Allemagne et en Autriche – des pays pourtant très « gaz » – et 50%, voire plus, dans les pays scandinaves.
Malgré les investissements de ces dernières années, la France recourt très faiblement aux réseaux de chaleur pour la fourniture de chaleur
Revers de la médaille, on peut comprendre qu’une action forte en faveur des réseaux de chaleur puisse bousculer frontalement la filière des installateurs traditionnels qui répondent à l’essentiel des besoins de chauffage. Ces professionnels sont nombreux, soutenus depuis des années par leurs instances professionnelles, et s’adaptent rapidement aux évolutions techniques que leur proposent les industriels. Au vu de leurs récents succès, l’impatience des professionnels des réseaux de chaleur est cependant compréhensible.
Pascal Roger (au premier plan), président de la Fedene et Thierry Franck de Préaumont, président du SNCU.
« Les réseaux de chaleur et les autres énergies doivent être traités avec équité. »
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.