Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 15 Décembre 2021
Tour à tour, négaWatt, RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, et l’Ademe ont déposé leurs imposantes contributions pour comprendre le futur de l’énergie, voire les grandes mutations de la société : production, consommation et usages ainsi que niveau de vie, éducation, parité, … Ceux qui souhaitent croiser ces informations – essentiellement celles sur l’énergie – avec des données plus globales et internationales pourront aussi se plonger dans le rapport annuel sur le marché des énergies de Capgemini.
Ces lectures ont vocation à baliser le « champ des possibles », de fournir des arguments aux débats politiques – d’où la parution du rapport négaWatt avant l’élection présidentielle – et de présenter les transformations structurelles des activités, principalement celles relatives à la production d’énergie et à la construction. Il ne s’agit pas de prédiction ou de futurologie. Pour le moins, chacun y puisera des informations mises à jour, une présentation quasi exhaustive des sujets de débats et, au final, une sérieuse et utile mise en perspective.
Eoliennes en Normandie
Les journalistes appellent cela un « marronnier », c’est-à-dire un sujet qui revient à intervalle régulier, plutôt attendu et fédérateur. À la veille des échéances électorales de 2022, associations, agences et entreprises développent leurs réflexions pour aider les candidats comme les citoyens à faire l’état des lieux environnemental, économique et énergétique du pays. L’exercice est classique et généralement assez enthousiasmant. Les dernières livraisons alimentées par négaWatt, l’Ademe et RTE n’ont pas déçu.
Quels scénarios énergétiques ?
Coutumier du fait depuis sa création en 2001, l’association négaWatt produit maintenant un dossier qui va bien au-delà des sujets énergétiques et environnementaux auxquels il avait habitué militants et connaisseurs des énergies et du bâtiment. Les analyses menées portent désormais sur dix-sept objectifs traités sous tous leurs angles pour aboutir aux scénarios d’une « société plus durable et plus équitable ».
À côté des énergies et du réchauffement climatique figurent aussi des thèmes économiques et sociaux (niveau de vie, emploi, santé, éducation, …), d’amélioration du cadre de vie (biodiversité, …), de gouvernance (justice et paix, …), ainsi que les préoccupations pour l’agriculture et l’industrie. Surfant sur le sujet de la consommation responsable et de l’économie circulaire, négaWatt présente les premiers résultats de sa démarche « négaMat ». Elle reprend par exemple le sujet de la substitution des matériaux dans le BTP en indiquant que 95 % des maisons et 50 % des immeubles pourraient être produits en structure bois en 2050 …
Construction d’un immeuble entier en bois
Idem pour l’Ademe qui adopte une observation globale des activités pour apprécier au plus juste les besoins énergétiques et le développement des filières existantes et émergentes. Le rapport rendu début Décembre figure dans une série feuilletonnée : d’autres seront publiés au cours des prochains mois, avant la tenue, les 29 et 30 Mars à Angers, de la conférence « Grand Défi Écologique ».
RTE, gestionnaire des lignes haute tension du réseau électrique, centre son propos sur les options énergétiques tout en soumettant ses scénarios à quatre « dimensions » : technique, économique, environnementale et sociétale.
Revue de détails …
- A - Chez négaWatt, pour ce qui concerne la production d’électricité, les orientations restent marquées par l’abandon du nucléaire. Certes, à la différence du précédent scénario, la fermeture des centrales est envisagée pour 2045 et non 2035 ; mais le principe est réactualisé et maintenu. À tel point qu’à propos de l’EPR de Flamanville, le démarrage envisagé en 2023 est qualifié de « non viable », et l’option proposée est … son abandon. Petites ou grosses centrales – SMR et EPR – sont catégoriquement repoussées.
Pour répondre à la demande, le mix alternatif calculé pour 2050 se composerait principalement d’éolien (99 GW installés pour 305 TWh produits), de biomasse solide (200 TWh produits), de biogaz (138 TWh produits), de photovoltaïque (144 GW installés pour 168 TWh), d’hydraulique (maintien de 54 TWh produits sur la période 2020-2050) …
Les autres usages de l’énergie seront servis par des bioénergies en lieu et place du pétrole et du gaz fossiles. La biomasse solide devrait passer de 130 TWh en 2020 à près de 200 TWh en 2050, principalement issue des dérivés de l’exploitation du bois (déchets de scieries et de papeterie, …) et de l’exploitation forestière. À cela s’ajoutent les biogaz qui sont promis à une croissance de 10 TWh actuellement à plus de 130 TWh en 2050, et la biomasse liquide – 38 TWh aujourd’hui, 45 en 2050.
NégaWatt promet ainsi une trajectoire menant d’une consommation d’énergies primaires de quelques 3 300 TWh en 2020 et à 88% constituée d’énergies fossiles, à environ 1 060 TWh en 2050, avec seulement 4% d’énergies fossiles ; l’électricité comptera pour la moitié de ces consommations et serait intégralement d’origine renouvelable.
- B - Pour sa part, l’Ademe, qui travaille aussi sur des scénarios de production d’énergie renouvelable depuis de nombreuses années, place ses curseurs en 2015 et 2050 et décline sa vision en quatre scénarios :
- S1, dit « Génération frugale » se fixe à un niveau de consommation d’énergie de -55% par rapport à 2015, avec 88% d’énergie renouvelable ;
- S2, « Coopérations territoriales », est -53% en deçà de 2015, avec 86% d’EnR ;
- S3, « Technologies vertes », affiche une demande énergétique -40% inférieure à celle de 2015, avec 81 à 87% d’EnR, et privilégie fortement les activités telles que rénovation et construction de bâtiment, industrie, … ;
- S4, « Pari réparateur », s’apparente à une version environnementalement raisonnable d’un « business as usual », avec -25% de consommation d’énergie par rapport à 2015, avec 70% d’EnR.
Dans tous les cas de figures, c’est au transport qu’est demandé de supporter le plus gros effort ; viennent ensuite, et pratiquement à parts égales, l’industrie et le bâtiment.
- C - Pour RTE, les débats menés depuis plusieurs mois sur ce sujet ont permis de produire huit scénarios énergétiques pour l’échéance de 2050. Surtout, à la différence des précédentes hypothèses – de négaWatt et de l’Ademe, ils affichent des niveaux de consommations d’électricité très supérieurs à ceux de l’année 2015 prise en référence : 630 TWh en 2050 contre 470 TWh en 2015, en raison du développement de la mobilité électrique et de la réindustrialisation, ainsi que de la prise en compte des effets du changement climatique : vagues de chaleur (30°C et plus pendant 20 à 40 jours de l’année) nécessitant du rafraîchissement, et vagues de froid intense (-5 à -10°C durant 5 à 15 jours par an).
À noter que les hypothèses de travail des groupes réunis depuis 2019 pour réaliser ce travail tiennent compte de la stratégie nationale bas carbone et d’une démographie fixant la population à 71 millions d’habitants en 2050 – récemment, l’Insee a annoncé qu’elle serait plutôt de 69 millions d’habitants.
De tout cela, deux séries de quatre scénarios ont été tirés
Quatre scénarios présentent un mix d’énergies renouvelables et de nucléaire basé sur la mise en service de nouveaux réacteurs de type EPR à partir de 2035 :
- N0 avec 50% d’EnR, 50% de nucléaire prévoit un remplacement progressif des réacteurs actuels par des EPR ;
- N1 prévoit 75-80% d’EnR en 2050, avec une paire d’EPR tous les 4 à 5 ans à partir de 2030-2035 ;
- N2, avec 65-70% d’EnR, accélère le remplacement par des EPR tous les 2-3 ans dès 2030-2035 ;
- et N3, avec 50% d’EnR et 50 % de nucléaire, repose sur un remplacement rapide des centrales des années 1980-1990.
Les groupes de travail au sein de RTE ont aussi développé quatre scénarios prévoyant une sortie du nucléaire entre 2050 et 2060, dits « 100 % EnR » ; à cette échéance, la part du nucléaire ne serait que de 10 à 15% de la production d’électricité, la fin de vie des centrales actuelles étant programmée pour 2060.
Trois d’entre eux – M1, M2 et M3 - « se distinguent […] par la part des trois filières renouvelables principales (éolien terrestre, éolien en mer et photovoltaïque), ainsi que par les inducteurs (sic) du développement des énergies renouvelables (recherche du moindre coût, développement de solutions locales,…) qui ont eux-mêmes un impact sur le type et la taille des installations qui se développent » :
- M1, un mix de production EnR majoritairement photovoltaïque répartie de manière diffuse au maximum sur le territoire ;
- M2, un mix de production renouvelable associant éolien terrestre et off-shore et champs de capteurs photovoltaïques ;
- M3, avec « un développement des énergies marines poussé à ses limites, dans le souci de limiter l’emprise des installations renouvelables à terre » ;
- et M0, prévoyant une sortie rapide du nucléaire dès 2050 et la mise en œuvre d’un mix de production à 100% par énergies renouvelables pour cette date.
Les auteurs du rapport RTE précisent : « l’expression « 100% EnR » ne signifie pas l’absence totale de capacités thermiques ou de capacités de stockage dans le mix électrique à long terme. Ainsi, certaines installations fonctionnant au biogaz ou encore à l’hydrogène de synthèse seront vraisemblablement nécessaires pour assurer la sécurité d’approvisionnement dans ce type de scénario ».
Le recours à l’hydrogène vert
Comment ressortent ces scénarios soumis aux analyses techniques, économiques, environnementales et sociétales ?
C’est l’objet des discussions dans le rapport rendu récemment, mais les exposés développent d’imposants questionnements – coût des différentes technologies (les lecteurs trouveront d’ailleurs le rassemblement de la décomposition des prix), acceptabilité des parcs de production d’EnR, répartition des moyens de production, flexibilité des moyens de production EnR au pas quotidien, hebdomadaire, mensuel, annuel, …, gestion du réseau, prise en compte des autres vecteurs énergétiques comme l’hydrogène ou les nouveaux gaz (biogaz, gaz de synthèse), cohérence avec les approches développées par les pays européens... Mais, travail de réflexion collective et bilan prévisionnel obligent, ce rapport n’apporte encore aucune réponse sur les meilleurs choix à opérer.
Le bâtiment soumis à la nouvelle donne énergétique
Le sujet a été largement débattu au cours des dix dernières années : le bâtiment, qu’il soit résidentiel ou tertiaire, doit atteindre des niveaux de demandes énergétiques les plus faibles possibles et réduire ses émission de gaz carbonique.
Développement des technologies vertes, production décentralisée d’énergie électrique
Pour négaWatt, en résidentiel, la seule option possible est le passage par un cycle long d’un fort volume de rénovations complètes. Si la stratégie nationale bas carbone fixe une montée progressive du nombre de chantier à 750 000 en 2035 et 1 million en 2045, négaWatt propose de passer à un niveau de 800 000 opérations dès 2030 et de le maintenir sur le long terme ; avant 2030, la priorité doit être donnée aux logements de classe F et G, dits « passoires énergétiques ».
Pratiquement, cette association demande de former 100 000 artisans et de mettre sur pied 25 000 groupements de professionnels. Par ailleurs, les chantiers par gestes seraient remplacés dès 2025 par des rénovations dites complètes, composées de deux ou trois étapes planifiées et permettant d’éviter les impasses techniques et financières, phénomènes bien connues depuis le lancement des programmes d’incitation depuis une quinzaine d’années. Ces mesures sont très proches des préconisations affichées dans le rapport parlementaire sur la rénovation énergétique des bâtiments de Février 2021 piloté par les députés Vincent Descœur et Marjolaine Meynier-Millefert. En copropriétés, les opérations de rénovations complètes et performantes seraient lancées lors des ravalements. Pour ce qui est du tertiaire, négaWatt s’en tient au calendrier fixé par la démarche Eco Energie Tertiaire, en cours d’application depuis quelques mois.
Côté Ademe, les quatre scénarios prévoient des rénovations selon des niveaux élevés pour « Génération frugale » et « Coopérations territoriales » (80% des logements rénovés en 2050), et légèrement moins intenses pour les autres : le scénario « Technologies vertes » indique par exemple que tous les logements seront rénovés, mais seulement la moitié au niveau BBC.
RTE envisage le sujet « bâtiment » essentiellement sous l’angle du choix d’équipements de chauffage par pompe à chaleur. Pour ce qui concerne celui de la rénovation thermique, le transporteur d’énergie renvoie aux travaux menés en collaboration avec l’Ademe en 2020.
Si la mutation énergétique est donc bien développée dans ces exercices de style, on ressort de leur lecture avec une sensation de manque. Si le vœu de développer la rénovation est bien affiché, en revanche, on ne lit rien sur l’échec de ce qui a été mené depuis la fin des années 2000 pour développer la filière des constructeurs-installateurs spécialistes de ces chantiers. Rien sur l’échec de la formation continue par les filières professionnelles et le peu d’enthousiasme des entreprises pour la qualification ; rien sur le déficit de formation initiale par l’éducation nationale et le développement auprès des adolescents d’une orientation par choix vers ce secteur d’activités. Leur enthousiasme et leur militantisme pour les sujets liés au développement durable ne sont-ils pas transformables en activités spécifiques ? C’est un point aveugle de ces travaux.
Sources et Liens
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.
Il semble que toutes ces études prospectives ne prennent pas ou peu en compte les besoins en eau lié au refroidissement des centrales thermiques, quelque soit le combustible utilisé, alors que le débit des fleuves va diminuer de façon importante d'ici 2050. Ce qui implique que la production d'électricité par ces centrales devra forcément être limitée en dessous de la capacité actuelle ; ce qui parait logique puisque ce process avec un rendement de l'ordre de 35% participe de fait au réchauffement du climat( plus de 1000 Twh rejetés dans l'environnement actuellement)