Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 27 Février 2020
L’événement EnerJ-meeting à Paris le 6 Février dernier a été une occasion de faire le point sur la préparation de la RE 2020. Ce sujet déjà largement abordé sur Xpair (Cf. article de Philippe Nunes, compte-rendu du 07/02, retours sur l’expérience E+C-, …) engendre fatalement de nouvelles questions. La nouvelle règle du « jeu » marquera in fine ce que souhaitent les Pouvoirs Publics. Ils trancheront très prochainement sur le périmètre et les niveaux des futures exigences selon les résultats des simulations en cours et après avoir organisé d’ultimes concertations.
Toute hypothèse de calcul choisie pour ces simulations n’est pas anodine. Certaines sont très « politiques », c’est à dire éloignées de la neutralité inhérente à un modèle physique. Par exemple, le coefficient de passage en énergie primaire de l’électricité (2.3), l’abandon du bilan Bepos avec l’abandon de la prise en compte des autres usages électriques dans les futurs niveaux d’exigence.
Elles ont fait l’objet d’un débat indirect via des pétitions et courriers, principalement entre la filière électrique et des acteurs prônant la sortie du nucléaire.
Messieurs Bio et Thanato, toujours accoudés à leur bar, très attentifs aux échanges entre les sphères de l’administration, les lobbies et les tribunes militantes, ont une vive discussion sur ces arbitrages. Tendons l’oreille ...
Enfin, nous allons sortir de cette RT 2012 bien peu cohérente...
Vous aviez remarqué qu’entre le DPE et la RT, l’aspect « gaz à effet de serre » (GES) était traité de manière très différente. Dans le DPE, une équivalence « énergie/GES » avait été établie en 2007, notamment pour l’électricité où le kWh chauffage était (et est toujours) affublé d’un équivalent effet de serre à 180g CO2 et, pour le kWh autre que le chauffage, à seulement 40g.
Dans la RT 2012, plus aucune équivalence kWh/g CO2, mais un droit à consommer supplémentaire pour le bois et les réseaux urbains vertueux de chaud ou de froid.
Vous y allez fort ! Toutes les énergies ont vu leurs coûts augmenter. Pas seulement l’électricité.
Et la filière électrique n’a pas bronché ?
Un plat qui se mange froid en quelque sorte. Cela dit, si l’objectif est le bas carbone, pourquoi ne pas « rectifier » les effets de la RT 2012 ? D’après EDF, aux jours les plus froids de l'hiver, la France ne dépasse pas 110-120g/kWh pour le contenu carbone du chauffage électrique, et il ne sera pas question de dépasser " largement " ce chiffre à l'avenir, même si l'électrification des logements était actée.
- Avec une demande d’électricité croissante malgré la douceur des hivers (les équipements ménagers voient leurs efficiences augmenter moins vite que leurs nombres), l’électrification des logements actée (!), le développement inéluctable de la voiture électrique, cela ne va pas arranger les perspectives 2035 pour justifier le 2.3 et le bas carbone ... car à en croire le PPE, plus que 50% de l’électricité sera nucléaire sur l’année ... Et du coup, quid en pointe d’hiver ?
- Pas de miracle, mais peut-être une entourloupe : les 120g serait « le contenu carbone du chauffage électrique » selon EDF. Et si, dans les 210g émis pour chaque kWh d’électricité durant l’hiver, la part au prorata énergétique du chauffage était 120g ?
Raisonnement fallacieux … mais il faut bien tenter d’expliquer le miracle ! Si quelqu’un plus subtil ou plus expert pouvait clarifier ce passe-passe ?
Et le pompon, c’est une valeur moyenne fixée à 79g.
Et puis, le coup de Trafalgar du 2.3 pour remplacer le 2.58, à quoi ça rime ?
J’ai cru comprendre que selon EDF, la fixation du Cep à 2,3 a du sens, en ce qu'elle constitue " une réalité physique sur un mix énergétique prospectif " en se basant sur le mix énergétique de 2035 envisagé dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) » ...
Par ailleurs, si on passe de 2.58 à 2.53, il faudra appliquer cette nouvelle hypothèse au DPE Construction…..et donc à tous les DPE ! Un poème !!!
Le plus absurde, c’est que la filière électrique n’a pas besoin de ce fameux 2.3 pour se maintenir dans le marché de la construction. Avec les PAC qui se développent largement, le 2.58 n’est pas un frein. Il n’y a que le convecteur qui aurait du mal à revenir, aussi « intelligent » soit-il.
Ne soyez pas moqueur. Il paraît que les convecteurs actuels permettent une économie de 30% à confort égal. Un appareil plus sensible aux variations de température permet une régulation plus fine autour de la consigne, repère une chute brutale de température due à une ouverture de fenêtre, et du coup s’arrête jusqu’à ce que la fenêtre soit refermée, la connexion qui permet la commande à distance, et bientôt, l’intelligence artificielle pour gérer au plus près l’intermittence en fonction des habitudes de l’utilisateur, tout cela ne peut pas être balayé de la main.
Quoi qu’il en soit, ces modifications d’hypothèses sur l’énergie primaire et sur l’équivalent CO2 imposées au dernier moment pour caractériser les niveaux d’exigences de la RE 2020, c’est un coup de force. C’est également un véritable camouflet pour tous les acteurs qui auront expérimenté E+C- durant 2 ans en travaillant avec des hypothèses très différentes.
Mais enfin, c’était une expérimentation justement ! Il a été annoncé également d’autres modifications, d’autres hypothèses, comme l’abandon de la DIES (Durée d'inconfort d'été statistique) pour le confort d’été remplacé par des degrés-heures de froid, ou encore, l’abandon du bilan Bepos en tant qu’exigence, ou encore l’introduction d’un Bio froid fictif pour les bâtiments non climatisés, ou encore, un Bbio prenant en compte la compacité du projet pour ne pas dégrader l’isolation thermique, l’introduction des consommations des parties communes. Toutes ces décisions ne sortent pas du chapeau. L’expérimentation E+C- les concertations avec des experts puis, avec les instances représentant les acteurs de la construction, tout cet ensemble d’actions et de réflexions ont mené à ces décisions pour formuler le cadre définitif de la RE 2020.
Mais, changer la règle du jeu fondamentale des équivalences CO2 et d’énergie primaire, c’est un peu gros. Abandonner le bilan Bepos en laissant au bord de la route tous les autres usages électriques alors que ce poste est devenu prépondérant, c’est aussi un peu gros !
Dans l’habitat, pourquoi faire l’effort de passer de 50 kWhep/m².an à 40 voire 30 (niveau E2 ou E3) tout en laissant en friche 70 kWhep/m².an pour les autres usages ? Vous me direz qu’avec un coefficient 2.3 au lieu de 2.58, on passerait comme par enchantement de 70 à 62. Bravo ! Quel progrès !
Alors là, vous êtes en pleine polémique. L’électro-ménager, la bureautique, … sont des postes pour lesquels le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre n’ont pas la main. Comment un règlement de construction fixerait des exigences sur du mobilier ?
Si c’est pour ajouter une valeur forfaitaire au bilan énergétique de la partie immobilière et de comparer la consommation d’un projet à une référence comportant la même valeur forfaitaire, à quoi cela sert-il ?
Et puis, comment valoriser les bâtiments produisant de l’électricité justement pour couvrir en partie ce poste fatalement électrique ? Ce serait une vraie régression depuis les premiers labels sur le Bepos (Effinergie-2013 et les labels suivants) et un coup de frein pour développer l’autoconsommation.
Ecoutez ! Le vrai sujet aujourd’hui, c’est le carbone et non revenir sur 40 années d’expériences et de progrès sur l’énergie. Il nous reste à peine une génération pour atteindre le facteur 4. L’enjeu de la RE 2020 est de passer des économies d’énergie à la réduction des gaz à effet de serre. C’est de passer des bilans énergétiques aux bilans « carbone », des règles Th-C aux ACV ...
Autre « vrai » sujet abandonné : la QAI et en conséquence, la santé des occupants.
Vous voyez, je ne suis pas qu’un énergéticien nostalgique.
Vous vous donnez le beau rôle. La réglementation Environnementale RE 2020 ne peut pas régler tous les problèmes en suspens dans les bâtiments. L’urgence, c’est construire et rénover bas carbone avec tous les moyens du bord.
On nous bassine avec la voiture électrique, la future 5G, la smartitude généralisée et le tout-bois en construction. Et comment serait assurée la demande croissante d’électricité dans ce scénario? Facile à deviner, non ?
Eh alors ? Vous imaginez autre chose de plus pertinent ? Pour vous, le progrès technologique est forcément nocif ?
Moi aussi. Patron, comme d’habitude !
On peut constater que nos deux compères sont d’avis assez divergents sur la trajectoire à adopter pour 2050.
Nous aurons l’occasion d’y revenir. Pour l’instant, il faut attendre les résultats des simulations de calage des niveaux d’exigences de la RE 2020 pour découvrir le profil du prochain cadre de la construction. Gageons qu’il soit ambitieux sur l’énergie et humble et pédagogique sur le carbone.
À propos de l'auteur Bernard Sesolis Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers
Très bien vu! Des arguments qui s’entendent des deux côtés..
Et si le vrai débat était d’arrêter de construire et plutôt rationaliser l’usage des bâtiments existants trop souvent sous-utilisés...