Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 23 Janvier 2021
Nous allons dire adieu à la RT 2012 et bonjour à celle qu’il faudra peut-être bien baptiser « RE 2021 ».
Ce nouveau cadre d’exigences pour les constructions fait déjà l’objet de nombreux articles (1), même si, en ce tout début d’année, tout n’est pas définitivement arrêté.
Certaines tendances clivent le monde de la construction :
- le retour en force de l’électricité avec, principalement, la réduction du coefficient « énergie primaire » de 2,58 à 2,3 et l’impact carbone du chauffage électrique qui passe des 210 g eqCO2/kWh du référentiel E+C-, à 79 g eqCO2/kWh ! (2)
- la fin du gaz non renouvelable (le fuel est déjà passé aux oubliettes).
- le bonus aux matériaux biosourcés, en particulier aux systèmes constructifs bois, amplifié avec la méthode ACV dynamique qui, paradoxalement minimise les impacts du recyclage et du réemploi !!!).
- la mise en avant des énergies renouvelables à des degrés divers.
- l’abandon à court terme des énergies fossiles et des systèmes constructifs traditionnels (bétons classiques, terres cuites, …).
- la volonté d’être plus pédagogique pour la prise en compte du confort d’été.
Cette liste non exhaustive d’options plus ou moins actées (3) mériterait des commentaires, point par point. Les textes risquent encore de bouger. Cette humeur n’en traitera que quelque uns.
La RE 2020, 2021 … un calendrier mal adapté
Avec l’avènement de la RE (Réglementation Environnementale), comment mécontenter tout le monde de la même manière ? La critique est trop facile quand l’art est aussi difficile !
Il faut préalablement saluer l’énorme travail collectif piloté par l’administration. Non pas pour brosser dans le bon sens les poils de la DHUP (serait-elle poilue ?), mais pour constater que les projets de décret et d’arrêté qui circulent depuis Décembre 2020 font montre d’un réel souci de satisfaire un maximum d’attentes tout en étant contraints dans le fond et la forme par des instances très « supérieures ».
A ce jour, les contours des futures exigences sont cernables mais, semble-t-il, basées sur beaucoup d’incertitudes.
L’expérimentation E+C- aura été trop peu exploitée par l’administration. Pourtant, la variété des projets labélisés atteste de l’intérêt qu’ont eu les acteurs à trouver des solutions pertinentes dans ce nouveau champ de contraintes énergie-carbone. Mais le temps aura manqué pour analyser ces retours terrain. Le temps politique n’est pas en phase avec le temps technique. Il faut faire vite ...
15 amendements aux projets du décret et de l’arrêté, présentés en Décembre 2020, ont été formulés principalement par les constructeurs et les promoteurs et envoyés récemment via le conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE).
Ces filières veulent, entre autres, repousser l’échéance à 2022. Pour l’instant, la DHUP s’en tient au calendrier prévu dans le projet de décret : application aux logements, bureaux et enseignements primaire et secondaire au 1er Juillet 2021.
L’Hexagone décarboné ou électrovore
Qu’on se le dise ! Terminé les énergies non renouvelables et carbonées. Depuis le protocole de Kyoto en 1997, nous étions quasiment en stagnation pour prétendre diviser par 4 nos émissions de GES en 2050.
Nous sommes au pied d’un mur qui n’a fait que grandir. Comment faire concrètement ? Très simple : on arrête avec le fuel et le gaz et on massifie les énergies non carbonées. Lesquelles ?
Tout le monde les connaît : les énergies renouvelables, soleil, bois (à condition de planter l’équivalent de ce qu’on brûle), vent, hydraulique, ... et l’électricité récemment affublée d’un coefficient de conversion en CO2 miraculeusement bas pour le chauffage, sûrement grâce au nucléaire, notre chère base énergétique franco-française.
Ce beau talon d’Achille, unique au monde, devrait être LE modèle pour la planète. Nos décideurs politiques et industriels persistent à vouloir le démontrer. Les prospectives énergétiques des pays gros consommateurs d’électricité ne semblent pas aller dans ce sens, même si quelques EPR sont vendus çà et là. Pour la plupart des autres pays, cette solution est trop onéreuse. La SFEN (5) claironne que 36 pays disposeront d’électricité nucléaire en 2040 contre 31 actuellement. Ces chiffres teintés d’optimisme pour cette filière occultent deux informations : d’une part, pour les nouveaux arrivants, la part du nucléaire sera évidemment faible, et d’autre part, au niveau de la planète, la croissance de la demande d’électricité est estimée à 2%/an, soit environ + 50% d’ici 2040. Clairement, l’uranium ne pourra pas assurer une telle évolution !
Ces 2% de croissance annuelle ne seront pas répartis principalement vers les pays émergeants. La boulimie électrique des pays développés est sans fin (faim) parce qu’elle est formatée surtout par deux industries dominantes : la communication (les GAFA et leurs équivalents chinois) et l’automobile.
L’image d’Epinal du futur qu’elle nous impose est celle d’un individu équipé de sa 6G, dans une voiture électrique autonome, qui ne perd pas un instant en télétravail tout en circulant silencieusement en ville entre les arbres et les tours en bois pleines de capteurs en tous genres.
Une ville du futur digne d’Orwell et un contrat de mariage entre la high-tech et la nature très « électrovore ».
La modernité choisie pour nous … mais pas par nous !
La 5G à peine émergente est déjà ringardisée par la 6G, qui sera probablement encore plus électrovore. Les grands opérateurs de la communication l’envisagent dès 2028-2030 pour nous « offrir » de nouveaux usages (mais on ne leur demande rien ...). Parmi ceux-ci, les « jumeaux numériques » ou clones numériques répliquant des objets, des machines, des humains, voire des lieux, comme une usine, une école, un bureau. Un individu pourrait participer virtuellement à une réunion et interagir, tout en étant physiquement à l'autre bout de la planète. Terminés le présentiel et le distanciel, voici la « télé présence » !
Il faut à minima ne pas inventer de nouveaux besoins dont le but premier est de pérenniser ou de développer encore des profits colossaux. Il est impératif de préserver l’électricité afin qu’elle remplisse des fonctions qu’elle seule peut assurer.
Pourtant, en France, les coups de boutoir de la filière électrique déjà constatés il y a un an (peut-être pour se venger de la RT 2012, soi-dit en passant, très pro-gaz), sembleraient avoir enfoncé définitivement les portes. Nous risquons de revenir au chauffage électrique et de commencer à banaliser la climatisation électrique dans les bâtiments. Et ce, aussi bien en construction avec la RE 2020 que dans l’existant avec la nouvelle mouture du DPE utilisant un affichage en énergie finale. Ajouter des choux et des carottes ne gêne aucunement nos décideurs. Il va falloir réformer certains contenus pédagogiques à l’Education Nationale !
L’essentiel de notre politique énergétique revient donc à consommer de plus en plus d’électricité, et donc à redévelopper le nucléaire car, bien entendu, il est considéré en France que les malheureuses petites EnR si intermittentes ne peuvent pas assumer ces besoins croissants ! ... Et ce, en contradiction flagrante avec le PPE élaboré en Décembre 2018 et confirmé en Avril 2020 (4). Pour l’image, un strapontin sera réservé aux EnR.
Et puis, autre mort annoncée, celle des systèmes constructifs carbonés ! Priorité au bois et aux matériaux biosourcés, volonté accentuée par le choix d’une méthode dynamique du calcul carbone qui amplifie l’intérêt réglementaire pour leur emploi.
Ainsi, comme pour toute nouvelle réglementation, il y a ceux qui pleurent et ceux qui rient. Et ceux qui s’adaptent avec plus ou moins de bonne foi. Certains matériaux ou systèmes deviennent miraculeusement « bas-carbone ». Il faudra redoubler de vigilance vis-à-vis de l’offre industrielle.
La pompe à chaleur incontournable ? Le confort d’été traité par la banalisation de la climatisation ?
Quelles sont les options pour produire du chaud ou du froid « bas carbone » ? Le fioul et le gaz une fois éliminés, il reste l’électricité, dotée d’un nouveau coefficient équivalent CO2 qui le rend tout à coup bien plus vertueux, et les EnR.
Dans ce paysage, il est clair que la pompe à chaleur va se tailler la part du lion. Si les exigences de la RE 2020 permettent la réapparition des convecteurs électriques et des PAC air/air.
Ce sujet fait l’objet d’âpres discussions parce que la filière électrique semble frappée d’amnésie sur les inconvénients déjà constatés sur un parc impressionnant de logements construits entre 1980 et 2010.
L’électricité est trop difficile à produire pour la gâcher à produire de la chaleur ! Elle est trop nécessaire pour couvrir les autres besoins électriques en perpétuelle augmentation, bien malencontreusement non intégrés dans le champ réglementaire avec la disparition du bilan Bepos du référentiel E+C-.
Mais alors, docteur, quoi faire ?
Au regard du projet de la RE 2020, on peut convenir de quelques idées banales dont certaines mériteraient d’être réintégrer en dernière minute le cadre de la RE ou, à défaut, le futur label réglementaire :
a) Prôner la frugalité électrique pour les autres usages électriques, bien plus consommateurs que les 5 postes de la RE, en informant et en incitant sur les questions de comportement, de gestion, de mobilités collectives ou légères. Symétriquement, il faut décrypter et dénoncer le matraquage médiatique et publicitaire sur la 5G et la voiture électrique individuelle.
b) Prôner la frugalité pour le chaud et le froid comme le fait timidement le Bbio et s’il faut produire de la calorie ou de la frigorie, privilégier si possible l’usage des énergies peu ou pas carbonées comme les réseaux urbains, le solaire … en particulier pour l’ECS (la France est scandaleusement en queue du peloton européen), le bois, le biogaz.
c) Si, seule l’électricité est envisageable, prescrire des PAC « xxx/eau » avec 3 contraintes : la non-réversibilité contrôlée pour les bâtiments en catégorie CE1, un COP élevé et un GWP contraignant, notamment pour les systèmes non monobloc. Il faut empêcher l’entrée du Cheval de Troie de la climatisation non nécessaire concrétisée par les PAC réversibles.
Sinon, il ne faudra pas pleurer dans 10 ans en constatant des pointes électriques d’été bien plus fréquentes et bien plus carbonées que celles d’hiver !
d) Si le maître d’ouvrage demande la climatisation pour un bâtiment de catégorie CE1, alors, la RE doit pouvoir le tolérer mais qu’avec des solutions EnR et sans rejet de chaud à l’extérieur en site urbain : Réseau urbain froid vertueux (des systèmes de tri-génération existent), PAC absorption solaire, bois, biogaz ou PAC à compression électrique alimentée par du PV ... tous ces systèmes devant recycler la chaleur (par exemple, préchauffage d’ECS, alimentation de process, …).
S’agissant du confort d’été et des « DH » (degrés-heures froid)
Confort d’été, sujet majeur en neuf comme en rénovation
Sujet primordial en conception comme en rénovation, la RE se présente comme un outil à connotation pédagogique. La Tic et la Ticref de la RT 2012 ont fait place aux « DH » (degrés-heures froid) censés être plus pertinents comme paramètre d’exigence réglementaire.
Théoriquement, c’est vrai. La Tic n’était pas représentative d’un bien-fondé minimal pour le confort d’été puisqu’elle exprime un record de température atteint dans le bâtiment. Cela n’a de valeur que pour l’instant considéré et non sur une période de plusieurs semaines ou mois.
DH représente un cumul d’heures pondérées par une intensité d’inconfort. Les catégories d’été CE1 et CE2 de la RT 2012 sont maintenus, mais leurs définitions diffèrent : la situation CE2 correspond à la triple condition suivante : zone de bruit Br2 ou Br3 + zone climatique H2d ou H3 + bâtiment climatisé. S’il manque au moins une de ces conditions, la situation est CE1.
Si le bâtiment est CE1, il est supposé ne pas être climatisé et ses DH ne doivent pas dépasser un certain « seuil bas ». Celui-ci est calé à 350 pour les logements. Si DH dépasse 350, un malus forfaitaire d’énergie primaire est affecté au projet. Ce surplus de consommation est proportionnel à l’écart du dépassement de ce seuil … jusqu’à un « seuil haut » au-delà duquel le projet n’est pas conforme (= 1250 en logement). Si le bâtiment est CE2, alors les consommations de climatisation du projet sont évidemment comptabilisées, sans forfait de consommation supplémentaire. Néanmoins, le projet ne devra pas dépasser également un seuil haut égal à 1850 en logement.
Ce nouveau cadre est intéressant à condition qu’il n’incite pas à dépasser le seuil de 350 en installant une climatisation ! Il a été vérifié que les consommations de climatisation seraient supérieures ou égales au forfait. Mais il faut être certain que ce calage soit pérenne et également bien calé pour les autres types de bâtiments.
Pérenne, parce l’offre industrielle évoluera positivement avec une augmentation du coefficient d’efficacité frigorifique (EER). Il faudra alors baisser le forfait de « pénalisation » pour qu’il ne dépasse pas une consommation liée à une production standard de froid plus faible. Du coup, les acteurs seront plus enclins à climatiser si le malus diminue ! Alors, il faudra peut-être baisser le seuil bas ... oui mais, nous allons bille en tête vers des étés de plus en plus rudes !
Aussi, cette exigence en DH, qui semble bien pensée et équilibrée, mérite un affinage et un scénario de son évolution. Peut-être faudrait-il imaginer un calendrier de seuils des DH entre 2020 et 2030 intégrant des facultés croissantes d’auto-adaptativité des occupants …
Une non-conclusion
Ces premiers sujets sont loin d’être épuisés. Et beaucoup d’autres sujets mériteraient d’ores et déjà d’être abordés et discutés. Compte-tenu du champ d’action de la future RE 2020, celle-ci sera l’objet de nombreuses critiques. Nous avons collectivement un très bel os à ronger !
Il faut rappeler que la RE est un reflet des acteurs de la construction, de leurs rapports de force internes, de leur savoir-faire, de leur volonté d’agir sur une trajectoire commune.
En cela, la Réglementation Environnementale est un formidable outil de réflexions, de remises en cause, et de pédagogie pour insérer le sujet carbone au quotidien dans les projets.
Compte-tenu de l’urgence d’agir avec force, l’effet d’entraînement de la RE vers des constructions de plus en plus vertueuses suppose au moins :
- de laisser les vrais convaincus, « les bons élèves », « les militants » jouer leur rôle de locomotive, d’aiguillon, d’explorateurs, d’expérimentateurs. La RE ne doit pas être un frein administratif ou trop normatif. Cela vaut pour la conception comme pour les matériaux et systèmes.
- de résister aux pressions de certains lobbies qui n’ont pas envie de modifier leur buisiness modele qui leur suffit à court terme. Rétrospectivement, depuis 2000, 10 ans ont été perdus pour traiter certains ponts thermiques ou encore, en 20 ans, le développement des EnR reste bien insuffisant. Comme le décrit Pascal Poggi (1), les « conservateurs » ne sont pas gênés pour demander à la fois de raboter et de retarder la RE … des tout petits pas et le plus tard possible. Il nous faut changer d’époque.
Il est encore temps pour nous souhaiter une année 2021 positive avec la disparition de la pandémie et une sereine banalisation de la Réglementation Environnementale ….
- A lire ou relire par exemple, la pertinente synthèse de Bernard Reinteau : « RE 2020 : les défis de la révolution de la construction » - 14 Décembre 2020 – Xpair ou encore le tableau réaliste de la lutte actuelle des lobbies pour infléchir les exigences et le calendrier de Pascal Poggi - « RE 2020 : de fortes demandes de report à 2022, de rabotage des exigences » - Batirama.com - 13 Janvier 2021.
- Une volonté politique confirmée par Emmanuel Macron exprimant ses préférences électriques nucléaires lors de sa visite aux Usines Creusot fin 2020.
- La concertation entre la DHUP et les acteurs de la construction se poursuit, tant sur le contenu du projet de l’arrêté que sur le calendrier.
- Décrets du 23 Avril 2020 sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) de la France pour 2028.
- SFEN. : Société Française pour l’Energie Nucléaire.
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers
Quelques pointes d'humour qui ne font pas oublier la complexité du problème et parfois le peu de convictions environnementales des parties prenantes!