Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 28 Juin 2024
Ce titre aux allures péremptoires n’est pas une lubie. L’année 2023 a été celle de tous les records de chaleur et ceux-ci seront probablement très rapidement battus.
D’évidence, il faut arrêter au plus vite l’usage de toutes les énergies carbonées. D’évidence, cette phrase devenue banale sonne creux, car, d’évidence, de nombreux gouvernants pensent encore que la croissance dans les pays riches et le développement des pays pauvres passent par l’usage massif des énergies fossiles. D’évidence, ils se contrefoutent du GIEC et de ses conclusions tout comme les pétroliers qui jouent la montre avec un cynisme sans limite. Songeons à la COP 28 ! D’évidence, les pays pauvres vont continuer à payer le prix fort en vies humaines et calamités si ces décideurs persistent dans leur coupable logique infantile : décision = profit maximal le plus rapidement possible. Colossale finesse de la part de cette « élite mondiale » industrielle ou politique, qui un peu partout, a confisqué le pouvoir (la liste des dictatures est bien trop longue), ou s’est fait élire par des « peuples » (Canada, Australie, Argentine, peut-être et malheureusement à nouveau, les Etats Unis, …) !
L’Europe considérée comme une grande initiatrice sur les questions environnementales a vu des élections favorables à des partis politiques surfant sur les aspects soi-disant punitifs de l’écologie.
D’évidence, cette humeur est maussade.
Quelles que soient les politiques il faut abandonner les énergies fossiles en électrifiant
Les errances de la politique environnementale française
A cette heure, après l’élection européenne et la dissolution de l’Assemblée Nationale et avant le premier tour des législatives, il n’est pas exclu d’imaginer que la France pourrait être gouvernée par le RN, parti aussi régressif qu’incompétent en matières énergétique et environnementale [1].
Avec des sondages très favorables depuis longtemps à ce parti et la crise agricole début 2024, l’exécutif actuel continue à donner de nombreux signes de fébrilité. Par exemple, en prônant une écologie non punitive « à la française » (E. Macron, le 25 Septembre 2023), une transition écologique contraire à « toute contrainte » (G. Attal, le 28 Avril 2024) ou encore, en ne laissant pas l’Assemblée débattre sur la 3ème programmation pluriannuelle de l’énergie et en passant par décret [2]. Le RN influence clairement les discours dans ces domaines [3].
Si une récente enquête BVA réalisée en Europe montre que la principale angoisse reste le coût de la vie pour 68% des 30 000 personnes interrogées (70% en France), le deuxième sujet est le changement climatique (cité par 45% des sondés, 39% en France) et la troisième principale préoccupation est l’environnement (28%, et 22% en France).
Par ailleurs, 57% des Français sondés pensent que lutter contre le changement climatique serait sources de bénéfices. 62% des agriculteurs estiment que la transition écologique est une nécessité [3].
Ainsi, l’usage de l’idée de l’« écologie punitive », expression largement à côté de la plaque, habituel des partis de droite et d’extrême droite, est devenu également un argument Macronien.
On peut se permettre de caricaturer les clivages politiques à l’aune des choix énergétiques pour le futur. A droite, on penche vers le nucléaire et contre les éoliennes ; au centre, on privilégie largement le nucléaire sans condamner les éoliennes, à gauche, on privilégie les éoliennes et autres EnR et on s’oppose plus ou moins au nucléaire.
Mais quelles que soient les options, il faut abandonner les énergies fossiles en électrifiant le plus d’usages possibles.
Des demandes électrifiées croissantes
Le bâtiment et les transports sont deux secteurs majeurs où le passage à l’électricité pour la décarbonation quoique déjà largement entamé reste d’une urgente priorité.
Cependant les voies pour atteindre la fameuse neutralité carbone en 2050 sont nombreuses et différentes. L’offre industrielle s’est déjà organisée et pour elle, tout est pratiquement bouclé. A terme, les bâtiments seront massivement dotés de PAC et les voitures seront bientôt exclusivement des batteries sur 4 roues. Il suffira que l’électricité fournie soit en quantité suffisante et décarbonée, c’est-à-dire provenant de centrales nucléaires ou éventuellement d’énergies renouvelables.
Mais dans ce qu’on veut nous servir, il y a confusion entre « offre » et « demande ». Puisque l’écologie doit être « non punitive », il ne faudrait pas imposer des solutions toutes faites imaginées (par qui au fait ?) sans l’assentiment du citoyen qui est loin d’être contre la transition écologique.
Les enjeux de la mobilité
La voiture électrique est devenue un sujet politicard (et non politique). Une étude menée sur 5 pays européens dont la France montre que le clivage identitaire et le clivage écologique sont alignés quasiment parfaitement comme le souligne Jean-Yves Dormagen (professeur en sciences politiques - Université de Montpellier) [4]. La voiture électrique en est le symbole.
Quand Monsieur Bardella dit sur RTL le 5 Mai dernier : « la fin du moteur thermique à l’horizon 2035 est un coup de canif dans le pouvoir d’achat de nos citoyens » en promettant de faire machine arrière, ou quand l’AFD, le parti d’extrême droite allemande, adopte comme slogan « Le diesel, c’est super ! », ils surfent sur des clichés et cultivent l’image de milieux populaires ayant un attachement viscéral à la bagnole et indifférents aux enjeux climatiques.
Pour des raisons d’aménagement des territoires, d’étalement urbain ou de dégradation des services de proximité, la voiture est évidemment bien plus nécessaire en milieux périurbains et ruraux. En moyenne, 3 trajets domicile-travail sur 4 y sont assurés par une voiture contre 1 sur 4 à Paris. Dans la campagne des élections européennes, la voiture électrique aura servi de punching-ball.
Le raz de marée publicitaire que nous subissons depuis au moins 10 ans exerce une pression sociale sans précédent. A défaut d’une montre Rolex, il nous est asséné explicitement que si on n’a pas les moyens de s’offrir sa bagnole électrique avant 35 ans, on a raté sa vie …
L’évolution du bâtiment et de la ville doit inclure celle des mobilités tant ce domaine est énergivore et carboné. Avant de dresser les avantages et inconvénients de la voiture électrique, il faut d’abord réfléchir à la pérennisation du « système voiture » crée au siècle dernier et que les industriels veulent continuer à imposer.
Appliqué à toute la planète, notre taux d’équipement de voitures individuelles des pays riches (80%) ferait passer le parc mondial de 1,5 milliard à 4,5 milliards de véhicules ! [5]. Totalement impensable, ne serait-ce qu’à cause des matières premières nécessaires à leurs fabrications. Même en France, selon les spécialistes, le renouvellement total en 2050 est peu réaliste [5 et 6]. En 2030, 2 voitures sur 3 vendues seront électriques mais elles ne représenteront que 1/6 du parc. La Norvège a commencé plus tôt, vers 2012. Aujourd’hui, plus de 90% des ventes sont électriques mais les moteurs thermiques représentent encore 80% du parc norvégien !
On connait les avantages de la voiture électrique : moins de bruit, baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la circulation, un coût « carburant » égal à 2 à 3 centimes €/km au lieu de 10 avec un moteur thermique.
Mais les inconvénients ne doivent pas passer sous le tapis. Les plus connus sont les coûts à l’achat qui auront tendance à baisser inéluctablement, LA question des batteries (qui les fabriquent, avec quoi, sont-elles recyclables (cf. [6], etc, …), le bilan carbone de la fabrication mais aussi l’effet « rebond » [7]. Avec un coût au km aussi bas, l’usager aura tendance à se déplacer encore plus, surtout au regard du coût du km parcouru en TER : 15 centimes € !
L’électrification du parc posera également la question des financements des infrastructures et des coûts externes (insécurité, particules, … il y en aura encore une bonne moitié par rapport au thermique) puisqu’il n’y aura plus les énormes taxes sur les carburants.
Tout cela pour rappeler que la substitution voiture thermique – voiture électrique est loin de pouvoir répondre seule aux enjeux de la transition écologique. Une politique de la Ville et de l’Aménagement, la réduction des distances entre les lieux d’habitation, de travail, de loisirs, le développement des mobilités douces et collectives sont des leviers beaucoup plus importants et universels que la guerre commerciale entre les industriels de l’automobile, entre les européens et américains et les chinois.
Par ailleurs, la voiture est un objet moins fantasmatique Pour diverses raisons, les jeunes générations, particulièrement en sites urbains ont d’autres signes de reconnaissance que la voiture. Le récent développement de l’usage des vélos dans les grandes villes françaises s’est accéléré avec la crise du Covid : +37% d’usagers en 5 ans. Un quart de la population française utilise régulièrement le vélo [8]. 2 milliards € d’aides ont été alloués pour la période 2023-2027 aux collectivités territoriales pour l’aménagement de structures « pro-vélos », y compris en sites ruraux. Il serait irresponsable qu’un futur gouvernement bloque ces sommes, soit pour raison de coupes budgétaires, soit pour raison idéologique, soit pour les deux.
Les cyclistes réguliers ou occasionnels sont majoritaires dans toutes les régions en France sauf dans celle où la pluie est la moins fréquente, la région PACA (no comment !) …
Toutes les mobilités électrifiées vont mathématiquement augmenter la demande.
Quelles électricités ?
Nous avons souvent évoqué dans cette humeur la question de la production. E. Macron a décidé la construction de 6 EPR2 dont le premier produirait à partir de 2035. L’exécutif a même annoncé la construction de 8 EPR2 supplémentaires. Le RN est encore plus fort : il en veut 20 !
Heureusement, des contre-pouvoirs existent (pour combien de temps encore …). L’Autorité de Sûreté s’interroge sur les risques de précipitations pour les entreprises concernées par ces énormes chantiers de construction. Elle met également en garde sur les corrosions sous contraintes pour le prolongement de la durée de vie des réacteurs actuels jusqu’à 60 ans. Quels sont les risques ? Quels sont les coûts ? En attendant les réponses d’EDF, l’ASN se prononcera en 2026 [9].
L’IRSN soulève déjà la question du dimensionnement du site Cigéo de stockage des déchets hautement radioactifs [10] s’il se construisait à terme 14 EPR2.
Quant à l’indépendance énergétique de la France acquise grâce au nucléaire, il s’agit d’un leurre mis en évidence par l’actualité. Framatome a eu le feu vert de Paris pour aider la Hongrie à étendre la centrale de Paks, de technologie russe. Siemens au contraire n’a pas eu l’autorisation du gouvernement allemand pour faire de même. E. Macron sait que les sanctions contre la Russie ne visent pas l’industrie nucléaire … Par ailleurs, il faudra dorénavant chercher l’uranium ailleurs qu’au Niger [11].
Le nucléaire est hautement dépendant des soubresauts géopolitiques, ce qui le rend encore plus aléatoire quand il s’agit d’asseoir une politique énergétique à moyen et long terme.
L’électricité dans le bâtiment
Une autre question doit être relancée. Faut-il continuer de mettre en place des moyens de production hypercentralisés lorsqu’il s’agit d’alimenter 35 millions d’équivalent-logements dont une grande partie est représentée par les maisons individuelles. Voilà un secteur où, le plus souvent, la voiture est indispensable, où on dispose d’une grande surface de toiture ramenée aux m² habitables, où le plus souvent, on n’a pas accès à des transports en commun. La mobilité électrique est ici à promouvoir (voiture, vélo, scooter, …) en production locale grâce au PV et autoconsommation.
Est-ce que les règles de construction incitent les acteurs à développer des productions décentralisées, à mutualiser les énergies entre parcelles comme l’avait envisagé le concept du BEPOS ?
La réponse est mitigée. Oui, si on évoque la récente obligation d’équiper les toitures de certains bâtiments d’un minimum de PV (décret du 29/12/2023). Non, si on analyse la prise en compte de la production d’électricité dans une construction et la part comptabilisée dans son bilan énergétique réglementaire.
Sur cette question, la RE2020 est claire dans son principe. Tout ce qui est produit sur une parcelle et autoconsommée vient en déduction des consommations énergétiques conventionnelles du projet. Cela signifie d’abord que ce qui est produit et exporté (donc, réinjecté dans le réseau collectif) est considéré comme nul dans la comptabilité de la RE2020. Produire trop et fournir de l’électricité à la parcelle voisine qui en aurait besoin à ce moment précis est une stratégie non valorisée dans la RE2020. Adieu l’idée de mutualiser !
Par ailleurs, la comptabilité des énergies consommées selon la RE2020 exclut les consommations mobilières (électroménagers en habitat, bureautique en tertiaire, …). Le label E+C-, au contraire, incluait tous ces postes énergétiques qui représentent souvent à eux seuls plus que l’ensemble des postes traités dans la RE2020. Du coup, pour des raisons de cohérence bien malheureuse, la partie autoconsommée alimentant ces consommations mobilières n’entre pas en déduction du bilan énergétique du projet. Installer des bornes de chargement pour des véhicules électriques où amplifier l’autoconsommation réelle n’est pas une démarche valorisée par la réglementation.
Adieu les incitations pour alléger les charges du réseau électrique collectif ou pour tendre vers l’autonomie énergétique !
Sera-t-il possible de transformer ces « Adieux » en « Au revoir » ? C’est souhaitable. Mais compte tenu de l’ambiance politique du moment, il faut ronger son frein et préserver sa pugnacité.
- « Les faux-semblants de Jordan Bardella sur l’énergie et le climat » - Le Monde - 4 Juin 2024 - Nabil Wakim
- « L’Etat renonce à un débat législatif sur les grands choix énergétiques » - Le Monde - 13 Avril 2024 - Perrine Mouterde
- « La reculade sur le climat, un signe de la pression du populisme » - Le Monde - 9 Avril 2024 - Matthieu Goar
- « Voiture électrique, l’épouvantail du scrutin » - Le Monde - 20 et 21 Mai 2024 - Philippe Bernard
- « La persistance du système voiture » - Le Monde - 26 et 27 Mai 2024 - Sylvie Landriève (Forum Vies Mobiles)
- « Northvolt ou le défi du recyclage des batteries » - Le Monde - 26 Avril 2024 - Anne-Françoise Hivert
- « Le véhicule électrique, ni mirage, ni miracle » - Le Monde - 26 et 27 Mai 2024 - Yves Crozet (professeur en économie, Sciences Po – Lyon)
- « Mobilité douce : les français ont le cycle vertueux » - Libération - 8 et 9 Juin 2024 - Margaux Lacroix, Zoé Moreau
- « Relance du nucléaire : interrogations sur le stockage des déchets » - Le Monde - 13 Juin 2024 - Perrine Mouterde
- « Relance de l’énergie nucléaire : les mises en garde de l’Autorité de Sûreté » - Le Monde - 18 Mai 2024 - Adrien Pécout
- « Niger : le permis d'exploitation du gisement d'Imouraren retiré à l'entreprise française Orano » - RFI - 22 Juin 2024
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers