Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 25 Octobre 2021
La pertinence des décisions politiques à court et moyen termes en matière énergétique n’est pas aisée, notamment dans un contexte d’emballement : sortie du dernier rapport du GIEC en Août, préparation de la COP 26 en Novembre à Glasgow, décisions de justice (Conseil d’Etat et tribunal administratif) sur les affaires de « Grande-Synthe » et du « Siècle » obligeant l’Etat à prouver que les nouvelles mesures adoptées vont permettre de respecter la trajectoire 2030 et à réparer les conséquences de son inaction climatique au plus tard le 31 Décembre 2022. Et tout cela au moment où la tension du marché mondial fait exploser les tarifs !
Emmanuel Macron vient de présenter son dernier « Plan France 2030 ». Depuis la mise en place de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), nous sommes passés en Août 2015, de la loi de transition énergétique pour la croissante verte, au Plan Pluriannuel de l’Energie en Avril 2017.
Que la stratégie évolue, s’affine, se concrétise progressivement, cela paraît compréhensible. Qu’à deux années d’intervalle, on constate autant de contradictions que de nouveautés, notamment sur le nucléaire, peut surprendre. Le Plan de relance présidentiel montre une nouvelle fois que nous ne sommes plus à une contradiction près et que notre futur énergétique, décidé exclusivement en « haut lieu », demeure toujours aussi incertain.
En attendant de confronter ce plan à deux scénarii pour 2050 présentés fin Octobre (RTE, Négawatt), tentons d’y voir plus clair.
A l’échelle européenne, le coût du basculement vers une économie décarbonée serait de 1 120 milliards €/an !
Les énergies fossiles jouent la montre
Majoritairement sur la planète, la voiture électrique fonctionne au charbon ! Que le pic de consommation de cette énergie soit proche ou déjà dépassé, la question essentielle reste celle de l’attitude des USA et de la Chine qui détermineront la pente descendante. Il faudrait passer à l’acte vu la trajectoire nécessaire pour contenir le réchauffement climatique à un niveau acceptable. Pour l’instant, il n’en n’est rien. Tout comme l’attitude des acteurs du pétrole et du gaz qui ont tendance à demeurer dans le déni malgré leurs communications et publicités. « Total » par exemple a été et reste particulièrement bipolaire en la matière (1).
La guéguerre entre eux est en partie responsable de la flambée des prix, et par voie de conséquence, celle du prix de l’électricité. Même en France où l’électricité est décarbonée à 90%, les tarifs subissent des hausses sensibles liées au coût marginal quand il est nécessaire de solliciter la dernière centrale fossile pour répondre au pic de la demande (2).
L’explosion des tarifs énergétiques incitent les décideurs politiques à se repencher activement sur la décarbonation des énergies.
La Banque Centrale Européenne rappelle que le coût de l’inaction peut mettre à mal les contraintes réglementaires sensées protéger l’environnement et à soutenir le développement de l’extraction du pétrole en Arctique ! (3)
Les coûts pour une réelle transition écologique
Comment définir une activité économique compatible avec la transition écologique ?
Très vaste sujet qu’il faudrait traiter en entamant la fin de l’hypercentralisation des décisions, une démondialisation de la finance et de l’économie. Le citoyen y travaille efficacement mais à l’échelle locale. Au niveau d’un pays ou d’un continent, les actions doivent être coordonnées et imposées par le politique qui doit orienter les financements dans le cadre de la transition écologique.
Pour les énergies carbonées, il faudrait rendre impossible les financements supportant leur développement. Selon la Commission Européenne, il faut investir 350 milliards €/an pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (4) dans des sources énergétiques « durables » qui ne seraient ni le gaz, ni le nucléaire.
Bruxelles aura du mal à convaincre les décideurs français d’exclure le nucléaire de la nomenclature des énergies vertueuses. A contrario, l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg et l’Espagne ne veulent pas de nucléaire, mais du gaz !
Ainsi, le point de convergence entre la France et l’Allemagne est encore lointain, situation qui fait sourire les Américains, les Anglais et les Russes.
A l’échelle européenne, le coût du basculement vers une économie décarbonée serait de 1 120 milliards €/an dans la décennie à venir. Pour la France seule, la Cour des Compte estime ce coût à 145 milliards €/an (5). Selon une étude de l’Université de New-York s’appuyant sur 738 économistes interrogés, l’inaction coûterait déjà 1450milliards €/an jusqu’en 2026 et 30 000 milliards € jusqu’en 2075. Ces chiffres vertigineux seront probablement oubliés parce qu’hypothétiques et lointains. Cependant, ils donnent une idée de l’échelle des risques encourus.
Pour l’instant, les investisseurs délaissent les énergies « brunes » mais n’investissent pas assez dans les énergies « vertes » (6). Cette attitude pourrait engendrer une pénurie énergétique, des tensions sur le marché et de graves problèmes sociaux. La cause de cette timidité à sauter le pas serait le déficit de crédibilité des affichages politiques au regard des politiques réellement mises en œuvre.
Il faudrait pourtant que les politiques décident à l’échelle planétaire un investissement de l’ordre de 3% du PIB mondial pour financer la transition réelle et cohérente. Somme aussi colossale que nécessaire.
Concrètement, on fait comment ?
L’électricité, et indirectement l’hydrogène « vert » sont les deux vecteurs énergétiques actuellement envisageables pour sortir des énergies carbonées. Bien entendu, tout dépend comment l’électricité est produite et comment l’hydrogène vert va se développer.
La filière électrique a révélé ses tergiversations sur les stratégies à adopter pour sortir progressivement du nucléaire ou bien pour l’imposer encore longtemps. Les décideurs publics très à l’écoute des électriciens, changent leurs plans au gré de ce qu’on veut bien leur souffler !
Après la malheureuse expérience de l’EPR qui continue son aventure et l’abandon du projet Astrid pour mettre au point un réacteur à « énergie positive », vient se pointer le « PMR », ou petit réacteur modulaire (SMR en globisch), nouveau joker pour que le nucléaire ait encore un bel avenir en France et ailleurs. En s’inspirant des réacteurs élaborés pour les navires, plusieurs pays développent ce concept pour construire ces réacteurs 3 à 30 fois moins puissants qu’un EPR, a priori moins coûteux que des grosses unités, plus souples et plus faciles à gérer. Les questions des déchets et de la prolifération de l’atome semblent ne poser aucun problème. Le déni est tenace.
Selon l’Agence Internationale de l’Energie, 70 projets sont en cours. Les plus avancés sont les Russes, suivis des Chinois et des Coréens (du sud). Les Américains ont déjà investi 1,2miliiard $. Les Anglais ont récemment annoncé investir l’équivalent de 500 millions€. La France n’a pour l’instant dépensé que 50 millions € en études préalables. Cependant, le plan « France 2030 » présenté par Emmanuel Macron précise que sur l’enveloppe globale de 30 milliards € d’ici dix ans, 7 seront consacrés à la décarbonation de l’industrie et au développement de l’hydrogène vert et 1 milliard au PRN.
Ainsi, le Plan pluriannuel sorti il y a 3 ans est à mettre à la poubelle. On change à nouveau de trajectoire. Avec le grand carénage des réacteurs actuels, l’EPR de Flamanville qui sera, s’il fonctionne un jour, le premier des 7 EPR actuellement envisagés et le développement des PMR programmés au plus tôt à partir de 2035, il y a tout lieu de penser que le nucléaire, présenté comme l’indispensable complément aux énergies renouvelables, sera en réalité l’énergie prioritaire en France pour encore plusieurs décennies.
Voilà donc la transition écologique à la française. Il est certain que sans efforts de sobriété et plus d’efforts pour le nucléaire au détriment des énergies renouvelables, il faudra produire « atomiquement » un nombre croissant de kWh électriques qui permettront à chacun de circuler en ville avec sa voiture électrique individuelle, intelligente et autonome (mais pas assez pour éviter les embouteillages vu le nombre de voitures circulant) tout en téléphonant avec son smartphone 5 ou 6 G ou en regardant un film, ou encore en assistant à une réunion en distanciel.
Bref, vive le progrès ! Je me sens déjà heureux. Vraiment merci à tous ceux qui décident à notre place ce futur radieux présenté comme inéluctable. Critiquer ce fantasme imposé par les multinationales et par conséquent, « décidé » par les politiques, c’est prendre le risque de passer pour un ringard passéiste anti-progrès et chantre de la décroissance.
Et bien tant pis. Mon humeur prend théâtralement ce risque. Il n’est pas grand et il me soulage.
Attendons les résultats de la COP 26. Peut-être y verra-t-on par miracle les prémices d’un futur plus poétique ...
- « Comment Total a choisi d’ignorer son impact sur le climat » - Le Monde - 21 Octobre 2021 - Audrey Garric
- « La hausse des prix de l’électricité soumise à un marché interconnecté » - Le Monde - 28/09/2021 - Adrien Pécout
- Edito du Monde - 25/09/2021
- « Energie : tant de nuances de vert » - Le Monde - 28 Septembre 202 - Stéphane Lauer
- « Les trous noirs de la révolution vert » - Le Monde - 21 Septembre 2021 - Jean-Michel Bezat
- « Prix de l’énergie : une incohérence coûteuse » - Le Monde - 17 et 18 Octobre 2021 - Jean Pisani-Ferry
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers