Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 23 Janvier 2023
Ceux qui, comme moi, sont un peu obsédés par les nombres, n’auront pas résisté à vérifier que 2023 n’est pas un nombre premier.
Ceux qui sont obsédés par le progrès technologique et la croissance (cela va souvent de pair) penseront qu’avec cette nouvelle année, nous entrons vraiment dans une ère où le système économique mondialisé et financiarisé ne sera plus antinomique avec l’écologie.
Ceux qui sont obsédés par le futur, principalement et naturellement les « jeunes », penseront qu’il arrive un peu trop vite.
Ceux qui s’en moquent … ne lisent rien sur XPair.
Ceux qui sont monomaniaques seront déçus de cette humeur quelque peu disparate.
2022 fait semblant d’être derrière nous
Cette fin d’année aura vu un dernier fiasco avant les fêtes : la COP 15 de Montréal sur la biodiversité. Pourtant, de nombreux participants et commentateurs sont satisfaits. Il est vrai que sur le papier, un accord a été adopté le 19 Décembre 2022 par 195 états pour protéger 30% de la planète d’ici 2030 (1). Où est le hic ? Le cadre semble solide mais la toile est médiocre.
Beaucoup d’observateurs constatent que les engagements financiers sont décevants et les mécanismes trop peu contraignants. On risque fort en 2030 de faire le même constat que celui issu des objectifs d’Aichi : énoncés en 2010 lors de la COP 10 à Nagoya, sur 20 objectifs visés pour 2020, 6 seulement ont été atteints, et encore, partiellement (2) et (3).
Cela est d’autant plus inquiétant que le climat et la biodiversité interagissent. La crise climatique aggrave l’érosion de la biodiversité et la destruction des écosystèmes met le climat en péril (4).
Autre sujet : l’agression poutinienne sur l’Ukraine a déclenché une crise énergétique qui a modifié quelque peu et dans l’urgence les programmes de sortie des énergies fossiles en Europe. L’exemple allemand avec la relance du lignite est spectaculaire.
Tout comme le nouvel engouement pour le nucléaire en France malgré un fiasco emblématique : Flamanville et son EPR vraiment très très expérimental, vraiment très très cher et qui ne fonctionne toujours pas …
Dans une précipitation assez inhabituelle, le Sénat s’est empressé de voter le 17 Janvier 2023 un projet de loi qui permettrait d’accélérer le rythme de construction des futurs EPR annoncé par le gouvernement (5), avant même une concertation prévue ce printemps. On sent déjà le fait accompli. Et ce, dans le déni de la forte dépendance à la Russie du nucléaire de l’Europe, et donc de la France (6). C’est un sujet sur lequel il faudra revenir comme il faudra revenir sur la stratégie du lobby nucléaire en France.
A ce propos, un échange sur France Culture le 11 Janvier 2023 entre, d’une part, Bernard Accoyer, ex-Président de l’Assemblée Nationale et d’autre part, Marie Tondelier, Secrétaire Nationale du parti des Verts a montré une fois encore le manque de compétence et l‘impossibilité de débattre sérieusement sur ce sujet de la part du monde politique. Ce « débat » s’est résumé à deux monologues sans aucun échange sérieux, frisant parfois le ridicule : parmi les poncifs et les perles entendus, le premier affirme que les lobbies défendant les EnR sont pléthores et qu’il n’existe aucun lobby du nucléaire en France ! Quant à la seconde, elle est incapable de fournir un démenti à cette énormité.
Et puis, il faut citer le phénomène de l’édition de 2022 : la BD « Le monde sans fin » de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain qui s’est déjà vendue à plus de 500 000 exemplaires (7) Succès largement mérité tant cet ouvrage est bien ficelé et bien dessiné par Blain, même si le contenu est du « pur Jancovici » comme le précise le journal Libération du 14 et 15 Janvier 2023 qui lui a consacré sa Une et 4 pages d’articles.
Je ne peux que vous conseiller cette lecture malgré la partie sur les énergies vraiment caricaturale et pro-nucléaire avec de curieux oublis et des raccourcis mal venus. Rien de surprenant de la part de « Janco ».
Une nouvelle illustration symptomatique du manque de sérieux des échanges en France sur ce sujet crucial entre les « pro » et les « anti ».
Parfois pourtant, les débats peuvent permettre de se forger une opinion. Par exemple, l’émission sur LCP du 21 Janvier 2023 « Nucléaire : une solution pour la planète ? » mériterait votre attention si le podcast existe : un documentaire assez anti-nucléaire mais bien documenté suivi d’un échange sérieux et serein entre experts pro et anti.
Il en ressort principalement une divergence de fond sur les progrès scientifiques à venir : arrogance de ceux qui veulent prendre des décisions pour les 100 000 ans à venir (problèmes des déchets) et foi sincère mais aveugle en la technologie (surgénérateurs, fusion nucléaire contrôlée) ou bien, en rester au « déjà là » tout en l’améliorant (EnR).
La technologie est-elle la solution ? Une solution ?
Certains pensent à « la » solution ou à leur solution. La startup « Make sunsets » propose d’envoyer des ballons sondes pour libérer du SO2 dans la stratosphère sensée réduire les apports solaires et engendrer une baisse de la température moyenne de 1° en ne dépensant que quelques dizaines de milliards de dollars par an (8). Solution juteuse puisque cette startup propose de vendre des « cooling permits » pour financer cette démarche. Et ce, sans aucune identification des risques par des entités indépendantes, sans aucune confirmation par des autorités compétentes (GIEC, MIT, …) de l’efficacité d’une telle démarche, sans aucun assentiment politique. Bref, le Far West techno-solutionniste (8).
Une des raisons qui nous empêche d’imaginer un futur ou de bâtir une utopie vers laquelle est justement la place de la technologie dans le monde de demain. Par exemple, critiquer l’emprise du numérique ne signifie pas être contre le numérique. Mais le virtuel proposé par le numérique renvoie en permanence et violemment au réel.
Le numérique est de plus en plus énergivore et gourmand en ressources rares. L’approche critique de la technologie est vitale (9).
Dans son ouvrage « L’âge des « low-tech » (10), Philippe Bihouix, aujourd’hui directeur de l’AREP, prône le techno-discernement. Interviewé récemment (11), il rappelle qu’il n’est pas possible de découpler la croissance du PIB et la croissance des consommations d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. Du point de vue des ressources, si certains métaux se recyclent bien (cuivre, aluminium), la plupart posent problème puisque 30 métaux sur les 60 massivement utilisés dans les industries ont un taux de recyclage inférieur à 1%.
Même si on prône la frugalité heureuse, il ne faudrait pas fustiger les progrès technologiques en médecine, en agriculture. Mais il est impératif d’en mesurer les impacts énergétiques, climatiques, en ressources, sur la biodiversité, sur la qualité des espaces et territoires à forte concentration humaine.
Il faut cesser de laisser aux soi-disant experts la décision que tel ou tel usage est utile ou non. Renoncer à ce qu’on considère socialement comme non nécessaire, voire confortable, c’est l’affaire de tous.
Un exemple spectaculaire du matraquage publicitaire continu et sans précédent pour un objet de consommation, c’est la voiture électrique, un SUV bien sûr. Vous voulez une petite voiture de 700 kg avec une autonomie de 150 km, juste pour vos déplacements suburbains ? Désolé, ce n’est pas disponible parce que ce n’est pas envisagé par ceux qui veulent imposer la voiture électrique. Vous aurez un SUV de 2 tonnes avec une autonomie pouvant atteindre plusieurs centaines de km. Cette voiture nécessite 15 fois plus de lithium ou de cobalt que la première ! Mais qu’importe ! Comme dirait un publicitaire en mal d’inspiration, « qui peut le plus, peut le moins ».
Par ailleurs, on glorifie l’innovation technologique sans se préoccuper des emplois, ou en se préoccupant de les supprimer (caisses automatiques, robotiques, contrôles d’accès, autonomie des véhicules, ...). Mais, dès qu’il est demandé à certains secteurs industriels de s’adapter à des contraintes environnementales, on met en avant le maintien des emplois pour justifier l’inaction !
Oser penser, parler et appliquer la décroissance
Mes humeurs ont déjà abordé ce sujet qui fait rigoler ceux qui confondent quantité et qualité, moyens et finalités, progrès et bonheur.
Dans un article fin 2022, l’ancienne ministre de l’Ecologie Delphine Batho revient sur cette question et sur le sentiment des générations montantes qui n’ont pas, par définition, l’expérience passée et qui sont en conséquence moins conditionnées, moins résignés. L’écologie politique telle qu’elle est pratiquée est à ses yeux dépassée (12).
Un phénomène est croissant, celui du refus de certains étudiants de grandes écoles et d’universités de devenir de futurs cadres de la destruction de la biodiversité, du maintien le plus longtemps possible du dérèglement climatique, du productivisme et de l’incitation au consumérisme.
Le désarroi est profond et l’éco anxiété est croissante. Face aux réactions - violences relatives sur des d’œuvres d’art, désobéissance civile, collectif Dernière Rénovation (13) - qui poussent certains jeunes vers l’activisme écolo ou la marginalité, l’écologie politique est polyphonique en proposant des utopies simplistes ou du pragmatisme microscopique teinté de bonne conscience ou des réponses à l’emporte-pièce. Selon Delphine Batho, le dernier fiasco électoral des écologistes en 2022 serait principalement lié au fait que le mouvement ne veut pas assumer clairement la décroissance.
Pour finir, …
Cette entrée en matière pour 2023 sera suivie de nombreux sujets. Songez par exemple aux développements finaux de la RE2020, à la suite du conflit en Ukraine avec ses conséquences géopolitiques, à la sortie du dernier robot artificiellement « intelligent », le ChatGPT de la société américaine Open AI capable d’écrire et de dialoguer sur n’importe quel sujet (14) ou encore, à la future COP 28 qui se déroulera à Dubaï et présidée par le PDG de la compagnie pétrolière des Emirats Arabes Unis (15). Si, si !
Oui, l’année 2023 s’annonce dense en évènements qui vont toucher nos métiers et nos personnes. De quoi provoquer nos humeurs.
- « A Montréal, des engagements historiques pour la biodiversité » - Le Monde - 20 Décembre 2022 - Perrine Mouterde
- « Il ne sortira rien de la COP 15 » - Le Monde - 18 et 19 Décembre 2022 - Stéphane Foucart
- « COP 15 : des engagements financiers décevants » - Le Monde - 21 Décembre 2022 - Entretien avec l’écologue Paul Leadley - Perrine Mouterde
- « Climat et biodiversité : deux crises liées » - Le Monde - 13 Décembre 2022 - Audrey Garric et Perrine Mouterde
- « La course contre la montre du nucléaire » - Le Monde - 17 Janvier 2023 - Adrien Pécout
- « Nucléaire : l’autre dépendance européenne à la Russie » - Le Monde - 30 Novembre 2022
- Editions DARGAUD, 2021
- « Le climat face au piège techno-solutionnisme », Le Monde, 12 janvier 2023, Théodore Tallent
- « Pour un débat sur la critique de la technologie », Le Monde, 7 octobre 2022, Alexandre Piquard
- Editions du SEUIL - 2014
- « La technologie a trop d’impacts sur la planète pour être la solution » - Le Monde - 29 Décembre 2022 - Interview de Philippe Bihouix par Nabil Wakim
- « Le moment est venu d’assumer la décroissance comme étendard de l’écologie » - Le Monde - 7 Décembre 2022 - , Delphine Batho
- « Activisme écolo - Ce qu’on fait, c’est la moindre des choses » - Libération - 28 Décembre 2022 - Eléonore Disdero et Rémy Artigues
- « IA : dans la tête des créateurs de ChatGPT » - Le Monde - 22 et 23 Janvier 2023 - Alexandre Piquard
- « COP 28 et géant pétrolier : cherchez l’erreur » - Libération – 13 Janvier 2023 - Hala Kodmani
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers
Merci pour cette belle page de réflexions pertinentes qui incitent à approfondir.