Chaud devant ! Surtout en ville les conséquences sont et seront sensibles ...

Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 03 Mai 2023


L’été 2022 aura été celui des températures record et de la mise en évidence de la forte dépendance de la France en matière énergétique. Une Commission parlementaire s’est mise en place pour comprendre. L’enquête sur la transition énergétique qui vient d’être publiée aboutit à des conclusions aussi édifiantes qu’éculées ! [1]. J’y reviendrai dans une prochaine humeur.

Les conséquences sont et seront particulièrement sensibles dans les centres villes. L’INSEE considère qu’en France, il existe 774 villes denses où vivent 25,5 millions d’habitants qui subissent des surchauffes extrêmes liées au phénomène d’ilot de chaleur urbain. En 2014, les prévisions de Météo France pour 2050 concluaient déjà que le climat de Paris serait celui de Toulouse aujourd’hui. Ce sera probablement pire encore ! Un rapport rédigé en urgence par des élus de la Capitale avance 85 propositions [2] pour adapter la ville afin de résister à de futurs étés andalous !

Nous retrouvons nos deux acolytes Bio et Thanato accoudés à leur bar préféré et en pleine discussion après avoir lu le « Libé » des 22 et 23 Avril 2023 qui titrait « Paris sous 50°C ».
Tendons l’«oreille» …

Bio : Où partez-vous cet été ?

Thanato : Je reste dans ma cave !

Bio : C’est l’article de Libé qui vous met de cette humeur ? Vous pouvez envisager la montagne, il y fait bon les nuits en été  durant lesquelles on souffre habituellement le plus des surchauffes estivales. Ca y est, ça bouge. Les propositions consensuelles pour adapter Paris au changement climatique sont pleines de bon sens et d’espoir. Les futurs PLU et Plan Climat de Paris pour les 15 ans à venir en tiendront compte [3].

Thanato : Vous jouez bien votre rôle d’optimiste béat ! Vous avez bien lu les prévisions ? 34 jours/an de canicule en 2080 contre 14 actuellement. Pour les nuits justement à plus de 25°C, nous allons passer de 5 à 35/an. A cela, il faut ajouter les risques sur les équipements, télécoms, réseau électrique, transports [4]. Vous pensez sérieusement qu’en adaptant la ville, nous allons parvenir à éponger le changement climatique ?

Bio : Si on suit toutes les recommandations proposées, vous ne pourrez pas nier que cela va améliorer les ambiances climatiques extérieures et préserver les chances de maintenir des conditions d’été soutenables. Songez ! Végétaliser partout où c’est possible les sols, végétaliser les façades ou les équiper d’occultations efficaces, végétaliser ou blanchir les toits, créer des ombrages végétaux ou non, préserver des voies de circulation piétonnières ou à mobilité vertueuses, rénover les bâtiments avec des solutions low-tech comme la ventilation naturelle, les occultations, les logements traversants, les isolants biosourcés … [5]

Thanato : Stop ! N’en jetez plus ! J’en ai assez d’entendre ce genre de catalogues de solutions dont certaines sont très discutables et d’autres connues depuis des lustres mais qui, de toute façon, restent couchées sur le papier par manque de volonté politique.

Bio : C’est faux. Des initiatives dans des grandes villes ont concrétisé ces solutions et des programmes sont lancés. Avant de juger de la lenteur des actes, posez-vous la question de la complexité pour un édile à faire évoluer une ville. La volonté politique est nécessaire mais pas suffisante. Le nombre et la variété d’acteurs concernés est important et un tissu urbain ne s’adapte pas en un tour de main.

Thanato : OK ; OK, je m’emporte. Mais ma réaction vient du fait qu’en décidant enfin d’adapter la ville, on croit que cela suffira. Permettez-moi de rappeler une évidence : il va falloir aussi et de manière concomitante trouver les ressorts pour que les habitants des centres ville (mais aussi les autres) adaptent leurs comportements et leurs demandes au nouveau contexte, et inciter une offre industrielle vertueuse sans être obligatoirement low-tech.

Bio : Vous m’avez entendu dire le contraire ?

Thanato : Non bien sûr. Mais je vous prends aux mots. Vous avez cité quelques solutions a priori évidentes. Parmi celles-ci se cachent certains poncifs dont il faudra une fois pour toute se débarrasser.

Bio : Comme quoi par exemple ?

Thanato : Prenez la ventilation naturelle.  Elle répond à de vrais problèmes inhérents à la ventilation mécanique (consommations d’électricité, fonctionnement permanent dans les logements, parfois génératrice de problèmes acoustiques). Mais en grattant un tout petit peu, on constate que les consommations électriques des VMC récentes sont faibles et qu’elles pourraient encore diminuer quand, enfin il sera réglementairement possible de supprimer la permanence de fonctionnement.

Bio : Mais qu’avez-vous contre la ventilation naturelle ? Pourquoi voulez-vous généraliser la VMC dans les bâtiments existants ?

Thanato : Vous m’avez entendu dire cela ? En revanche, faire croire que la ventilation naturelle est « naturellement » la solution, c’est un peu rapide. Dois-je rappeler qu’il faut maitriser les débits d’air, ni trop, ni trop peu, et que pour y parvenir, c’est difficile avec la ventilation naturelle puisque les débits dépendent des différences de températures entre l’intérieur et l’extérieur et également des caprices du vent.

Bio : Oui, mais on y arrive comme le montrent de nombreuses opérations construites ou rénovées. C’est un combat d’arrière-garde du high-tech contre le low-tech !

Thanato : Expliquez-moi en quoi la VMC est high- tech et la ventilation naturelle, low-tech pour un service rendu comparable. Examinez leurs profils environnementaux (PEP) respectifs. Et puis, je ne suis pas contre la ventilation naturelle quand elle fonctionne relativement bien. Dans un bâtiment équipé ainsi, avec une qualité d'air intérieure correcte et des factures énergétiques qui n’explosent pas, il faut être très circonspect avant de vouloir la remplacer par une VMC.
Mais de là à la présenter comme la solution générique ...

Bio : Ne nous fâchons pas. Vous avez d’autres griefs contre le « catalogue » ?

Thanato : Prenez les logements traversants. Ce n’est pas une solution, c’est un constat. On peut rarement rendre traversant un local ou un logement existant. Et faut-il encore imaginer que les fenêtres s’ouvriront réellement des deux côtés, c’est-à-dire, sans bruit excessif d’un côté comme de l’autre. Ce n’est pas toujours évident en ville.

Bio : D’accord. Mais les recommandations correspondent à différentes situations. Si on peut exploiter un levier existant, pourquoi ne pas le faire ?

Thanato : Bien sûr. Mais je continue. Prenons l’exemple « tarte à la crème » des isolants biosourcés. Il va falloir un jour faire définitivement la peau à l’argument du déphasage de certains isolants biosourcés qui conférerait une inertie plus importante au bâti ; et par là, un meilleur confort d’été. La Ville de Paris impose l’utilisation de ces isolants. Ce choix est politique et j’y adhère. Mais de là à faire croire que ces matériaux vont contribuer à l’adaptation de la ville aux futures canicules ! Il faut malheureusement encore et toujours rappeler que le déphasage d’un isolant est une caractéristique du 3ème ordre ! Pour le panneau de bois, le chanvre ou la ouate de cellulose, ça déphase, certes, mais quoi ? Un flux de chaleur réduit à peau de chagrin … puisque ce sont des matériaux isolants ... Donc avec des effets similaires à des isolants provoquant des déphasages plus faibles.
Une bien mauvaise manière de défendre les isolants biosourcés. Ils méritent mieux que cet argument commercial et folklorique.  

Bio : Oui, mais là encore, même si c’est peu, c’est déjà ça. Il n’existe aucune solution unique pour se protéger à l’intérieur et à l’extérieur des futures périodes caniculaires.

Thanato : Trop peu pour moi et pour les usagers. Désolé. Il y a mieux à faire que d’opter pour de fausses solutions. Nous n’avons plus le temps ou le loisir de faire de grosses bêtises.

 Bio : En quoi nous ferions des bêtises si on ne suivait pas vos préceptes ? Faire tout ce qui est possible, c’est une évidence. Les recommandations ne font qu’énumérer tous les leviers pour adapter la ville. Il ne faut rien négliger.

Thanato : Et bien parlons-en. Pensons d’abord à celles et ceux qui vont vivre en ville dans quelques décennies. Ils devront adapter leur comportement dans une ville adaptée. Mais, sera-ce suffisant d’utiliser ces leviers pour maintenir à un niveau supportable les ambiances intérieures et extérieures en 2050 et plus tard? Nous n’avons aucune certitude, et j’ai même la conviction, que souvent, il faudra aussi faire appel à des systèmes pour baisser les températures dans les bâtiments.

Bio : Toujours aussi pessimiste ! Admettons cependant et pour une fois, j’adhère à votre prudence. En quoi cela serait contradictoire avec les 85 recommandations ?

Thanato : Sans chercher la contradiction, je trouve certaines recommandations à côté des clous. D’autres en revanche méritent le détour. Notamment celle interdisant les climatisations rejetant de la chaleur à l’extérieur. Cela dit, s’il faut produire du froid, comment fera-t-on ? Des pistes pour répondre à ce vrai futur problème auraient dues être préconisées.

Bio : En effet, il est très probable que le marché de la clim va exploser, notamment via les PAC réversibles. Ce n’est pas nouveau et l’usage massif de la clim à moyen terme dans les logements ne serait pas de bon augure.


marché clim

Il faudrait que les industriels proposent des systèmes à haute efficience (COP et EER) utilisant des énergies décarbonées, et renouvelables de préférence, avec des PEP corrects, et des fluides frigorigènes vertueux, d’un entretien et de réglages fins et faciles d’usage, et surtout que la chaleur extraite du bâtiment ne chauffe pas ses abords !

Thanato : Vous avez dit l’essentiel. Effectivement, un système répondant à ce cahier des charges permettrait d’envisager une clim après avoir épuiser tous les moyens déjà évoqués pour s’en passer, y compris les systèmes de rafraîchissement adiabatique.
L’offre industrielle y répond de manière éclatée. On peut trouver des machines efficientes, des machines utilisant des fluides à faible GWP (CO2, eau, propane) pour les systèmes à compression, ou des machines à absorption (Br ou NH3) qui existent en version solaire mais qui pourraient exister en version bois !

Bio : Et pour les rejets de chaleur, il suffirait de produire du froid à l’extérieur de la ville et le distribuer via un réseau urbain, comme par exemple, le réseau Climespace à Paris. La chaleur produite pourrait être utilisée, par exemple, pour alimenter un réseau de chaleur urbain (pour le chauffage et/ou l’ECS), ou même pour alimenter un process industriel sur place, en dehors de la ville.

Thanato : Ce que vous décrivez serait adapté aux bâtiments à chauffage / clim collectifs.
Dans le cas d’installations individuelles, il existe un principe simple pour ne pas chauffer la rue : c’est de ne pas la laisser sortir, en la récupérant par exemple pour produire de l’ECS individuelle : Tout comme un chauffe-eau thermodynamique puisant en été la chaleur dans le logement, donc en refroidissant l’ambiance intérieure, et l’hiver, en puisant la chaleur sur l’air extrait. Toutes ces techniques existent déjà. Les filières industrielles devraient être incitées pour configurer autrement les systèmes existants actuels et adapter les puissances aux sources disponibles et aux besoins de chaud, de froid et d’ECS.

Bio : Tout cela semble réaliste et souhaitable. On répondrait ainsi au cahier des charges d’une clim envisageable après avoir exploité tous les moyens pour limiter les ilots de chaleur urbains, comme le changement de comportement des usagers (modification de la demande en confort d’été et des actions potentielles par les intéressés), et comme les actions sur la ville déjà évoquées.

Thanato : Et bien pour une fois, nos désaccords s’estompent. Il faudra effectivement utiliser TOUS les moyens pour adapter la ville et ses habitants, y compris les systèmes.
Collectivement, c’est à notre portée.

A notre santé !
 

  1.  « Les constats sévères de la commission d’enquête sur l’énergie » - Le Monde - 7 Avril 2023 - Luc Bronner
  2. Rapport de la Mission d’Information et d’Evaluation (MIE) « Paris 50°C » - Avril 2023
  3. « Il faut planter dans les interstices à chaque endroit où c’est possible » - Libération - 22 et 23 Avril 2023, interview d’Emmanuel Grégoire, 1er adjoint à la Mairie de Paris, chargé de l’urbanisme - Eric Szeftel
  4. « 50°C : dystopie in Paris » - Libération - 22 et 23 Avril 2023 - Margaux Lacroux
  5. « Un guide pour réfléchir et rafraîchir la ville » - Libération - 22 et 23 Avril 2023 - Eric Szeftel



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