Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 13 Décembre 2021
Ma dernière humeur 2021 est maussade. On aurait pu s’attendre, par naïveté peut-être, que la COP 26 allait enfin déboucher vers une avancée notable pour une consolidation de l’objectif « 1,5K d’augmentation maximale de la température moyenne globale terrestre en 2100 ». Le constat est amer. Le Président de la COP 26, le britannique Alok Sharma, s’est dit « profondément désolé » au regard de l’accord final signé par les 200 pays représentés à Glasgow. Songez : une « intensification des efforts » pour sortir du charbon … mais chacun à sa vitesse et selon ses intérêts. Merci, entre autres, à la Chine et l’Inde ! Il est vrai qu’à eux seuls, ces pays représentent presque la moitié de la population mondiale et n’ont aucune intention de freiner leur développement quels que soient les moyens, développement fidèle aux schémas inculqués par les pays occidentaux depuis plus d’un siècle.
Et rien sur l’agriculture. Rien sur les océans. Trop peu sur le financement pourtant promis et programmé durant les COP précédentes pour aider les pays les plus fragiles et les plus exposés aux conséquences du réchauffement climatique, en particulier une grande partie de l’Asie et surtout l’Afrique qui émet peu de CO2.
Seul point positif donc, un accord de principe de sortie « progressif » du charbon ... Le calendrier s’il est tenu, aboutira à une augmentation des émissions de 14% en 2030 alors qu’il faudrait réduire de 45% pour tenir l’engagement du +1,5°. Oh la belle montagne ! Oh la belle souris !
Certains pensent que la souris (numérique, bien sûr) pilotant des technologies salvatrices aboutira à la solution finale pour tout régler en continuant à appliquer les mêmes schémas économiques et financiers ...
Ce nouvel épisode d’une COP sabotée m’incite à remémorer quelques clichés persistants face à cette procrastination collective.
Le principal frein pour agir dans le bon sens : la croissance du PIB
Les décideurs politiques et une majorité de décideurs économiques ne sortent pas du dogme du PIB qui doit continuer à croître indéfiniment.
Pourtant, une telle « croissance » est synonyme d’augmentations de flux de matières et d’énergie. Elle est corrélée à l’empreinte carbone sur l’environnement et les émissions de gaz à effet de serre. L’agence européenne pour l’environnement (EEA) considère qu’il est impossible de découpler la croissance du PIB et les consommations de ressources. La « croissance verte » est un mythe (1).
Y croire, notamment grâce à la technologie, c’est avoir une vision où la matérialité pourrait s’effacer devant le virtuel. Les rares périodes de la diminution des impacts de nos activités sur l’environnement correspondent à des crises économiques.
A la COP 26, on a entendu tout un florilège d’annonces d’objectifs sans précisions sur les moyens. Par exemple, le « grand pétrolier » Mohamed Ben Salam déclare que l’Arabie Saoudite atteindra le 0 émission » en 2060 grâce à une économie circulaire du carbone. Scott Morisson, le « grand charbonnier » va dans le même sens pour l’Australie. Pour gagner du temps et ne pas perdre la face devant des pays déjà en grand danger, ils misent exclusivement sur de chimériques innovations technologiques, jamais sur l’évolution culturelle des sociétés.
Emmanuel Macron est presque aussi caricatural avec son « plan France 2030 » : déploiement de l’avion bas carbone, de l’hydrogène vert, 2 millions de véhicules électriques, des centrales nucléaires de toutes tailles. Rien sur le gâchis énergétique, sur l’agro-écologie, sur la frugalité. Rassurez-vous braves gens, tout sera réglé grâce au numérique, à la robotique, à la génétique, aux start-up ! Continuez à vouloir consommer encore plus d’électricité, continuez à vous en mettre plein la lampe ! En plus, nous allons nous aventurer dans les grands fonds marins et dans l’espace. La transition technologique assurerait la transition écologique. Voilà le rêve proposé pour 2030. « Quand on a un marteau dans la main, tout à la forme d’un clou » (2).
Pourtant, maximiser le PIB n’engendre pas l’amélioration du bien-être. Il y a confusion flagrante entre accroissement du PIB et progrès. Grossir le PIB, c’est grossir la consommation qui nécessite de pratiquer des prix bas (d’où le mirage du progrès), donc des délocalisations, le freinage des salaires, le dumping social, le développement de la grande distribution (de plus en plus numérisée) et l’augmentation de la pression sur les producteurs.
Dans l’OCDE (3), les emplois de services peu qualifiés ont augmenté de 20% en 20 ans pendant que les emplois productifs baissaient de 23%. La délocalisation à induit une multiplication par 3,5 des importations dans l’OCDE entre 1998 et 2021 (4).
Le principal moteur pour accepter la transition écologique : le social
Rien de sérieux ne peut se modifier sans un changement du comportement des entreprises et des citoyens. Il faut accepter d’augmenter les prix tout en soutenant les bas revenus. Cela va de la hausse de la taxe carbone, de 44€/t en 2019 à 100€/t en 2030, à celle des importations issues de pays où les politiques publiques et sociales sont insuffisantes (dans l’OCDE, la santé et les retraites représentent 16% PIB ; seulement 7% en Chine).
La pression fiscale sur l’énergie est 3 fois plus forte pour les 20% des revenus les plus modestes (7,2%) par rapport aux 20% les plus aisés (2,1%), ces derniers consommant beaucoup plus d’énergie (5) !
Dans une phase de transition énergétique, le soutien des bas revenus nécessite un accroissement de l’action publique vers la hausse fiscale plutôt que l’augmentation de la dette. La taxation du capital a baissé de 38% en 1998 à 28% en 2021. Il faut se reconcentrer vers les rentes immobilières et les marges financières très inégalement redistribuées.
Un chiffre spectaculaire est avancé par Lucas Chancel, chercheur à Science Po : au niveau mondial, un impôt relativement modeste sur les multimillionnaires et un supplément lié aux investissements polluants aboutirait à 1,7% du revenu mondial, chiffre suffisant pour financer la transition énergétique (6).
Transition numérique = transition écologique ?
S’il est indéniable que le numérique a et va encore changer beaucoup d’aspects dans tous les domaines, et en particulier dans le bâtiment et la ville, il est tout aussi indéniable que ces changements ne vont pas systématiquement dans le sens de la transition écologique.
Le numérique est présenté comme une virtualité, un monde dématérialisé. Son statut est imposant, incontournable et synonyme de la modernité, du futur, du progrès.
S’il est certain que le numérique contribuera à gérer la transition écologique, donc de la concrétiser, il ne faut pas s’installer dans le déni de la matérialité.
Le lobby Global e-sustainability Initiative (GeSI) établi à Bruxelles estime que les émissions de gaz à effet de serre évitées grâce aux technologies de l’information et de la communication seraient 10 fois supérieures à celles générées par leur déploiement. Ce constat largement contesté par des chercheurs indépendants a été le déclencheur d’une analyse réalisée par le journaliste Guillaume Pitron sur 10 pays. Son dernier ouvrage « L’enfer numérique » que je vous conseille vivement de lire (7) décortique la question et débouche sur des conclusions totalement opposées à celles du GeSI : la pollution digitale serait colossale et croitrait plus vite que dans tout autre domaine.
Par ailleurs, les ravages produits par le manque d’un contrôle minima des réseaux sociaux et de l’assuétude aux écrans devraient inciter les spécialistes à s’intéresser plus aux impacts digitaux sur nos capacités intellectuelles et sociétales. Guilhem Fouetillou, professeur associé à Science Po, lance l’idée d’un GIEC du numérique (8).
Il nous faudra fatalement revenir sur la question du tout numérique en 2022.
- « La croissance, une croyance comme une autre » - Le Monde - 3 et 4 Octobre 2021 - Stéphane Foucart
- « Une transition peut en cacher une autre » - Le Monde - 31 Octobre et 1er Novembre 2021 - Stéphane Foucart
- Organisation de coopération et de développement économiques
- « Comment passer du PIB au bien-être » - Le Monde - 7 et 8 Novembre 2021 - Patrick Artus
- « Pour une fiscalité énergétique équitable » - Libération - 27 Octobre 2021 - Michaël Clain
- « Il ne peut y avoir de sortie du carbone sans redistribution des revenus et du patrimoine » - Le Monde - 5 Novembre 2021 - Lucas Chantal
- « L’enfer numérique - voyage au bout d’un like » - Guillaume Pitron - Editions Les Liens qui Libèrent - 09/2021
- « Crise climatique et crise numérique, même combat » - Le Monde - 14 et 15 Novembre 2021 - Guilhem Fouetillou
À propos de l'auteur
Bernard Sesolis
Consultant Energie - Environnement, Docteur en géophysique spatiale environnement, Bernard Sesolis a une longue expérience en secteurs publics (Ministère de l’Equipement) comme privés (fondateur et directeur des bureaux d’études Tribu puis Tribu-Energie). Auteur de nombreux ouvrages, il est également investi dans plusieurs associations (AICVF, Effinergie, ICEB...). il poursuit actuellement ses activités de conseil et de formation dans le domaine des bâtiments respectueux de l’environnement et soucieux des usagers